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Une des extrémités de cette salle était presque plongée dans l’obscurité.

Tout à coup il se fit à cet endroit une sorte de tumulte et de bruit de pas précipités; une porte s’ouvrit et se referma plusieurs fois; une sœur de charité, dont on distinguait le vaste bonnet blanc et le vêtement noir à la clarté d’une lumière qu’elle portait, s’approcha d’un des derniers lits de la rangée de droite.

Quelques-unes des malades, éveillées en sursaut, se levèrent sur leur séant, attentives à ce qui se passait.

Bientôt les deux battants de la porte s’ouvrirent.

Un prêtre entra portant un crucifix… les deux sœurs s’agenouillèrent.

À la clarté de la lumière qui entourait ce lit d’une pâle auréole, tandis que les autres parties de la salle restaient dans l’ombre, on put voir l’aumônier de l’hospice se pencher vers la couche de misère en prononçant quelques paroles dont le son affaibli se perdit dans le silence de la nuit.

Au bout d’un quart d’heure le prêtre souleva l’extrémité d’un drap dont il recouvrit complètement le chevet du lit…

Puis il sortit…

Une des sœurs agenouillées se releva, ferma les rideaux, qui crièrent sur leurs tringles, et se remit à prier auprès de sa compagne.

Puis tout redevint silencieux.

Une des malades venait de mourir…

Parmi les femmes qui ne dormaient pas et qui avaient assisté à cette scène muette, se trouvaient trois personnes dont le nom a été déjà prononcé dans le cours de cette histoire:

Mlle de Fermont, fille de la malheureuse veuve ruinée par la cupidité de Jacques Ferrand; la Lorraine, pauvre blanchisseuse, à qui Fleur-de-Marie avait autrefois donné le peu d’argent qui lui restait, et Jeanne Duport, sœur de Pique-Vinaigre, le conteur de la Force.

Nous connaissons Mlle de Fermont et la sœur du conteur de la Force. Quant à la Lorraine, c’était une femme de vingt ans environ, d’une figure douce et régulière, mais d’une pâleur et d’une maigreur extrêmes; elle était phtisique au dernier degré, il ne restait aucun espoir de la sauver; elle le savait et s’éteignait lentement.

La distance qui séparait les lits de ces deux femmes était assez petite pour qu’elles pussent causer à voix basse sans être entendues des sœurs.

– En voilà encore une qui s’en va, dit à demi-voix la Lorraine, en songeant à la morte et en se parlant à elle-même. Elle ne souffre plus… Elle est bien heureuse!…

– Elle est bien heureuse… si elle n’a pas d’enfant, ajouta Jeanne.

– Tiens… vous ne dormez pas… ma voisine…, lui dit la Lorraine. Comment ça va-t-il, pour votre première nuit ici? Hier soir, dès en entrant, on vous a fait coucher… et je n’ai pas osé ensuite vous parler, je vous entendais sangloter.

– Oh! oui… j’ai bien pleuré.

– Vous avez donc grand mal?

– Oui, mais je suis dure au mal; c’est de chagrin que je pleurais. Enfin, j’avais fini par m’endormir, je sommeillais, quand le bruit des portes m’a éveillée. Lorsque le prêtre est entré et que les bonnes sœurs se sont agenouillées, j’ai bien vu que c’était une femme qui se mourait… alors j’ai dit en moi-même un Pater et un Ave pour elle.

– Moi aussi… et, comme j’ai la même maladie que la femme qui vient de mourir, je n’ai pu m’empêcher de m’écrier: En voilà une qui ne souffre plus; elle est bien heureuse!

– Oui… comme je vous le disais… si elle n’a pas d’enfant!

– Vous en avez donc… vous, des enfants?

– Trois…, dit la sœur de Pique-Vinaigre avec un soupir. Et vous?

– J’ai eu une petite fille… mais je ne l’ai pas gardée longtemps. La pauvre enfant avait été frappée d’avance; j’avais eu trop de misère pendant ma grossesse. Je suis blanchisseuse au bateau; j’avais travaillé tant que j’ai pu aller. Mais tout a une fin; quand la force m’a manqué, le pain m’a manqué aussi. On m’a renvoyée de mon garni; je ne sais pas ce que je serais devenue, sans une pauvre femme qui m’a prise avec elle dans une cave où elle se cachait pour se sauver de son homme qui voulait la tuer. C’est là que j’ai accouché sur la paille; mais, par bonheur, cette brave femme connaissait une jeune fille, belle et charitable comme un ange du bon Dieu; cette jeune fille avait un peu d’argent; elle m’a retirée de ma cave, m’a bien établie dans un cabinet garni dont elle a payé un mois d’avance… me donnant en outre un berceau d’osier pour mon enfant, et quarante francs pour moi avec un peu de linge. Grâce à elle, j’ai pu me remettre sur pied et reprendre mon ouvrage.

– Bonne petite fille… Tenez, moi aussi, j’ai rencontré par hasard comme qui dirait sa pareille, une jeune ouvrière bien serviable. J’étais allée… voir mon pauvre frère qui est prisonnier… dit Jeanne après un moment d’hésitation, et j’ai rencontré au parloir cette ouvrière dont je vous parle: m’ayant entendu dire que je n’étais pas heureuse, elle est venue à moi, bien embarrassée, pour m’offrir de m’être utile selon ses moyens, la pauvre enfant…

– Comme c’était bon à elle!

– J’ai accepté: elle m’a donné son adresse, et, deux jours après, cette chère petite Mlle Rigolette… elle s’appelle Rigolette… m’avait fait une commande…

– Rigolette! s’écria la Lorraine; voyez donc comme ça se rencontre!

– Vous la connaissez?

– Non; mais la jeune fille qui a été si généreuse pour moi a plusieurs fois prononcé devant moi le nom de Mlle Rigolette; elles étaient amies ensemble…

– Eh bien! dit Jeanne en souriant tristement, puisque nous sommes voisines de lit, nous devrions être amies comme nos deux bienfaitrices.

– Bien volontiers; moi, je m’appelle Annette Gerbier, dit la Lorraine, blanchisseuse.

– Et moi, Jeanne Duport, ouvrière frangeuse… Ah! c’est si bon, à l’hospice, de pouvoir trouver quelqu’un qui ne vous soit pas tout à fait étranger, surtout quand on y vient pour la première fois, et qu’on a beaucoup de chagrins! Mais je ne veux pas penser à cela… Dites-moi, la Lorraine… et comment s’appelait la jeune fille qui a été si bonne pour vous?

– Elle s’appelait la Goualeuse. Tout mon chagrin est de ne l’avoir pas revue depuis longtemps… Elle était jolie comme une Sainte Vierge, avec de beaux cheveux blonds et des yeux bleus si doux, si doux… Malheureusement, malgré son secours, mon pauvre enfant est mort… à deux mois; il était si chétif, il n’avait que le souffle… et la Lorraine essuya une larme.

– Et votre mari?

– Je ne suis pas mariée… je blanchissais à la journée chez une riche bourgeoise de mon pays: j’avais toujours été sage, mais je m’en suis laissé conter par le fils de la maison, et alors…

– Ah! oui… je comprends.

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