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Cependant la malade avait ingurgité les quelques gouttes que le poète avait introduites dans sa bouche. Elle eut un soubresaut violent, ouvrit et referma les yeux à plusieurs reprises, puis ses traits crispés se détendirent, les spasmes disparurent, la respiration s’égalisa et elle parut s’endormir doucement.

– Là! fit le docteur en se redressant, tout ira bien.

– Docteur, madame est sauvée, n’est-ce pas? interrogea anxieusement la soubrette.

– Ma foi, mon enfant, je ne réponds de rien; toutefois nous avons de grandes chances de nous en tirer. Maintenant, à nous deux, petite entêtée.

– Oh! docteur, il ne faudrait pas abuser de la complaisance de monsieur.

Et la gentille soubrette désignait Crébillon.

Celui-ci, fort déçu, furieux d’avoir trouvé une étrangère là où il s’attendait à voir Mme d’Étioles, ne demandait pas mieux que de partir, aussi saisit-il la balle au bond pour se retirer.

Le docteur cependant avait sonné et donnait l’ordre à un valet accouru de reconduire le poète déconfit, s’excusant de ne pas l’accompagner lui-même, la petite entêtée ayant besoin de soins immédiats.

Crébillon se retira donc, reconduit par le valet, non sans avoir reçu les remerciements du docteur et de la petite soubrette qui avait insisté pour que ce galant inconnu laissât son nom et son adresse, affirmant que son maître à son tour tiendrait à lui porter ses remerciements lui-même, car il avait, par son heureuse intervention, peut-être sauvé la vie de la malade qui était une parente très affectionnée.

Le poète rentra donc à son hôtellerie, où l’attendait Noé fidèle au poste, de fort méchante humeur, furieux d’avoir perdu un temps précieux à courir une piste illusoire, et se disant qu’il fallait maintenant retrouver à tout prix le chevalier d’Assas.

Deux jours après il recevait la visite d’un homme d’un certain âge, très simplement mis, de manières affables et très douces, qui, parlant avec un fort accent tudesque, se disait le maître de la maison des Réservoirs, lui annonçait que sa parente était hors de danger grâce à son aide généreuse, lui adressait de vifs remerciements, lui faisait force politesses, le priant de faire état de lui et de lui faire l’honneur de le venir visiter ainsi que sa parente, et se retirait enfin en lui laissant un nom barbare que le poète ne pouvait arriver à prononcer.

Et tout en rendant politesse pour politesse, Crébillon se disait:

– Que la peste m’étrangle si je remets jamais les pieds chez toi, Teuton de malheur!

Le poète était rancunier; il ne pardonnait pas à cet inconnu d’avoir perdu trois jours à surveiller inutilement sa maison, alors qu’il avait de si sérieuse besogne à accomplir.

Il était furieux aussi contre Noé qui avait sottement mêlé le rêve à la réalité, et furieux surtout contre lui-même qui avait accepté bénévolement, pour de bonnes réalités, les billevesées d’un ivrogne. Et il se disait pour s’excuser lui-même:

– Mais aussi, comment n’être pas frappé par des coïncidences aussi extraordinaires!

Pourtant, si le pauvre Crébillon avait connu toute la vérité, il eût été bien plus furieux encore… mais pour d’autres causes.

Cette vérité, nous la connaissons, nous, et nous allons la dévoiler au lecteur, s’il veut bien.

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