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Tout en soliloquant, Crébillon poursuivait patiemment sa surveillance.

Neuf heures du matin sonnèrent et il y avait bien deux heures que le poète était aux aguets.

Il commençait à perdre patience lorsque soudain il tressaillit.

La porte d’en face venait de s’ouvrir et un minois de soubrette éveillée se montrait dans l’entrebâillement.

Crébillon aussitôt se leva, paya et sortit.

Sans affection il suivit de loin la soubrette qui venait de quitter la maison et ne cherchait nullement à se cacher. Il la vit entrer chez le droguiste.

Le cœur de Crébillon battit violemment.

– Est-ce que le rêve de Noé serait vrai jusqu’au bout? songea-t-il.

Et, se dissimulant dans une encoignure, il attendit.

Au bout de quelques instants, la soubrette reparut chargée de petits paquets et de fioles, et se dirigea rapidement vers la fameuse porte qui s’ouvrit devant elle et se referma sans bruit.

Alors Crébillon, à son tour, entra chez l’herboriste et, moyennant l’achat de quelques pastilles et d’un sirop souverain pour la toux, à ce que prétendait le droguiste, grâce à quelques compliments adroitement faits, il apprenait que la soubrette venait ainsi chez ce droguiste depuis quelque temps, presque tous les jours, et que la personne malade était une dame qui recevait l’hospitalité chez les maîtres de la soubrette.

Il n’y avait plus de doute à avoir: Noé n’avait pas rêvé…

Restait à savoir si la dame malade était réellement Jeanne.

En quittant le lieutenant de police, le poète s’était dit que puisque Jeanne filait le parfait amour avec le chevalier d’Assas, il ne voyait pas pourquoi il irait les importuner.

Car Crébillon ne doutait pas que l’histoire que lui avait contée Berryer ne fût vraie.

Débarrassé du remords d’avoir livré Jeanne au roi, il s’était dit que le meilleur était de rentrer tranquillement à Paris; ce qu’il aurait fait le matin même, si Noé ne l’avait arrêté par le récit de son rêve.

La conversation entre ces étrangers, surprise par l’ivrogne dans son ivresse, était venue confirmer au poète la sincérité des dires du lieutenant de police.

Mais de deux choses l’une: ou Noé avait puisé dans les fumées de l’ivresse l’histoire qu’il avait racontée et, alors, cette coïncidence d’une femme malade précisément dans la maison reconnue par l’ivrogne n’était qu’une coïncidence extraordinaire, sans plus, ou le tout était vrai.

Alors la malade pouvait fort bien être Mme d’Étioles… ce qui ne lui était pas encore prouvé.

En tout cas, ce qui ressortait de plus clair pour le poète, de tout cet imbroglio, c’est que Jeanne courait un danger réel… qu’elle avait des ennemis puissants qui paraissaient s’acharner à sa perte, sinon à sa vie.

Dès lors, le devoir du poète lui paraissait tout tracé:

Découvrir Jeanne et l’arracher à ses persécuteurs.

Et puisque Berryer, qui n’avait pas menti sur tant de points si importants, prétendait que le chevalier d’Assas pouvait donner la clef de cette énigme: rechercher et trouver coûte que coûte le chevalier.

Telles étaient les réflexions de Crébillon tandis qu’il réintégrait la chambre de l’hôtellerie où l’attendait Noé.

Et le poète, qui le matin comptait rentrer à Paris, était maintenant fermement résolu à ne pas quitter Versailles tant qu’il n’aurait pas découvert la retraite de d’Assas et celle de Jeanne, tant qu’il n’aurait pas reçu l’assurance que rien ne menaçait cette dernière, et, enfin, tant qu’il ne saurait pas d’une manière exacte quelle était cette femme de qualité, malade dans la mystérieuse maison de la ruelle aux Réservoirs.

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