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Toujours sans répondre, le roi montra d’Étioles.

Berryer alors se tourna vers le financier qu’il n’avait pas eu l’air de voir jusque-là, et le toisant avec une suprême impertinence, il laissa tomber dédaigneusement du bout des lèvres:

– Monsieur?…

Et, outrant l’impertinence, il tourna le dos avec désinvolture, comme si ce monsieur eût été un trop infime individu pour que lui, Berryer, lui fit l’honneur de s’occuper de lui et de prêter la moindre attention à ses accusations.

– Alors, fit-il au roi, je puis respirer tranquille… ma tête n’est pas près de tomber.

D’Étioles frémit sous l’outrage, et, malgré qu’il fût loin d’être brave, il crut devoir faire un pas vers le lieutenant de police qui se contenta de le regarder narquoisement en haussant les épaules.

– Ne riez pas, Berryer, reprit le roi qui, ce disant, souriait ironiquement, ne riez pas… c’est fort grave.

Puis, se tournant vers d’Étioles qui s’enfonçait les ongles dans la paume des mains avec rage:

– Or çà, monsieur, voici M. le lieutenant de police: répétez, je vous prie, ce que vous venez de nous dire.

D’Étioles se sentait perdu.

Néanmoins, faisant appel à toute sa volonté, il se campa devant Berryer d’un air arrogant et dit d’un ton ferme:

– Sire, je viens vous demander justice.

– Bien, monsieur, fit le roi gravement. Contre qui?

– Contre… cet homme.

D’Étioles mit dans ces trois mots tout ce qu’il put trouver de dédain, pendant que sa main s’allongeait menaçante vers Berryer impassible, le regardant fièrement avec un mépris non dissimulé.

– Cet homme, fit le roi en insistant sur les mots employés par d’Étioles lui-même, cet homme, c’est M. le lieutenant de police, monsieur, songez-y.

D’Étioles s’inclina en signe qu’il maintenait son accusation.

– Bien, monsieur!… Et vous accusez M. le lieutenant de police de…?

– J’accuse M. Berryer d’avoir enlevé ou fait enlever Jeanne Le Normant d’Étioles, ma femme, fit d’Étioles qui frémissait de terreur mais néanmoins tenait bon jusqu’au bout, ne voulant renoncer à la partie que lorsqu’il la jugerait irrémédiablement perdue.

– Ah! ah! monsieur Berryer, fit le roi en riant, je vous y prends là, mon maître… Qui aurait dit cela d’un homme aussi grave que vous… Comme on se trompe, mon Dieu, sur le compte des gens. Eh bien! monsieur Berryer, ajouta-t-il très gravement, vous avez entendu l’accusation de… monsieur… Qu’avez-vous à répondre?…

– Oh! Sire, fit Berryer avec une indignation bien jouée j’espère bien que le roi ne me fera pas l’injure de m’obliger à me disculper d’une accusation aussi… ridicule.

Et Berryer foudroyait d’Étioles atterré d’un coup d’œil insolent, pendant que celui-ci, rassemblant tout son courage, grondait, menaçant:

– Monsieur!…

– Holà! fit le roi paisiblement, tout doux, monsieur le traitant…

Puis, se tournant vers Berryer:

– Faites entrer, dit-il simplement.

Berryer transmit l’ordre du roi à un officier de service et les portes, s’ouvrant aussitôt, le cabinet du roi se remplit de courtisans. Alors lorsque le roi vit là sous sa main tous les témoins qu’il désirait pour la leçon qu’il voulait infliger à d’Étioles, il se tourna vers lui et, fort gravement, lui dit:

– Il nous plaît, monsieur, de mettre sur le compte de la douleur qui vous égare les propos irrévérencieux que vous avez tenus ici et nous voulons bien les oublier. Mais, ajouta-t-il sur un ton menaçant, n’y revenez pas, mon maître… il y en a qui pourrissent à la Bastille pour moins que cela… ne l’oubliez pas!…

Puis, se tournant vers Berryer pendant que le malheureux d’Étioles foudroyé sentait se jambes se dérober sous lui:

– Monsieur Berryer, ajouta le roi, vous voudrez bien, je l’espère, oublier les propos incohérents de ce… malheureux, – du doigt il désignait d’Étioles, livide, anéanti.

– Sire, fit Berryer, le roi me donne l’exemple en oubliant lui-même.

– Mais ce n’est pas tout, continua le roi qui, se tournant vers d’Étioles, lui dit: Par égard pour le malheur qui vous frappe, nous voulons faire quelque chose pour vous… Berryer, il faudra aider ce malheureux époux à retrouver la femme qu’il aime.

– Sire, je suis aux ordres de Votre Majesté, répondit laconiquement Berryer.

– Très bien! fit le roi d’un air satisfait.

Puis, se tournant vers d’Étioles:

– Allez, monsieur, allez en paix, époux infortuné… M. le lieutenant de police est un habile homme et il saura bien retrouver celle que vous aimez.

Et pendant que d’Étioles écrasé se retirait en chancelant, sans trouver un mot, le roi, avant que le malheureux eût quitté la pièce, dit aux courtisans qui l’entouraient, avec une commisération admirablement jouée:

– Messieurs, plaignez M. d’Étioles… On vient de lui enlever sa femme… sa femme qu’il adore… et je crains bien que la douleur n’ait égaré la raison de ce pauvre homme.

Tout aussitôt les courtisans s’écartèrent devant d’Étioles comme s’il eût la peste, et le cynique personnage, la tête bourdonnante, les yeux vagues, effaré, livide, ayant vraiment l’air d’un fou, comme le roi l’avait donné à entendre, roulant déjà dans sa tête des projets de vengeance terrible, sortit en vacillant comme un homme ivre.

Alors le roi, se tournant vers les courtisans:

– Messieurs, dit-il, l’audience est levée… Monsieur le lieutenant de police, restez… nous avons à travailler.

Aussitôt le cabinet se vida.

– M’est avis, fit le roi, lorsqu’il fut seul avec Berryer, que ce qui désole le plus l’honnête mari qui sort d’ici, c’est que je ne sois pas l’auteur de l’enlèvement de sa femme.

– C’est ce que je pensais aussi, Sire! dit froidement Berryer.

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