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Et il se mit à rire doucement. Mais, lui aussi, autant et peut-être plus que Concini, il était bouleversé par la crainte et l’angoisse, et à part lui, il se disait:

– Si je n’arrive pas à le convaincre, si je ne parviens pas à l’affoler, je suis perdu.

Et juste au même instant, Concini, assommé par cette révélation inattendue, rugissait dans son esprit bouleversé:

– Je suis perdu!… Oh! le démon d’enfer!… Jehan reprit d’un air indifférent:

– Comprends-tu ce qui va se passer?… Mon compagnon sait que, pour rien au monde, je ne voudrais manquer à cette audience d’où sortira ma fortune. Mon compagnon est prévenu. Ne me voyant pas, il comprendra. Alors, il dira ceci au roi: «Sire, ce jeune homme qui vous a assailli l’autre nuit vous a été dépêché par le seigneur Concini et sa noble épouse qui voulaient bellement vous faire assassiner. C’est tellement vrai que, pour le châtier d’avoir manqué son coup, Concini l’a fait poignarder ou jeter dans quelque cul de basse-fosse. Il en est ainsi, Sire, sans quoi ce jeune homme serait ici.» Voilà ce que dira mon compagnon. Et le roi le croira, n’en doute pas.

Ivre de terreur, Concini bégaya:

– Tu as fait cela?… Tu as osé?…

– Écoute donc, gouailla Jehan, je t’ai dit que je te connais. Je me suis gardé… Et bien m’en a pris.

– Mais, c’est faux! hurla Concini, tu mens!… Le roi ne croira jamais!…

– Le roi croira, dit Jehan de sa voix implacable… J’ai des témoins… des preuves.

– Quelles preuves? bégaya Concini dont les dents s’entrechoquaient de terreur.

– Celles que tu as fournies toi-même, dit Jehan avec autorité. Comme tous les poltrons, tu es bavard et vantard. Qu’avais-tu besoin d’aller dire que j’étais arrêté, enfermé au Châtelet, accusé du crime de régicide?… Et quand as-tu dit cela?… Au moment où je me promenais paisiblement avec le roi. Tu l’as dit, Concini, et si tu veux nier, Gringaille, Escargasse et Carcagne, que j’ai prévenus, et devant qui tu l’as dit, viendront attester. La jeune fille le dira aussi. Parce que c’est la vérité. Crois-tu que mes précautions ont été bien prises?

Concini, atterré, ne trouva rien à dire.

Jehan insista de sa voix railleuse:

– Tu seras arrêté, Concini. La douce Léonora le sera aussi. La reine elle-même, votre chère… protectrice, ne pourra rien pour vous. Trop heureuse si elle n’est pas compromise dans l’aventure.

– Nous nierons! Nous dirons que tu as menti sciemment et méchamment, hurla Concini qui retrouvait sa voix.

– Tu oublies, dit froidement Jehan, que nous serons six à t’accuser. Puis, quoi? Et la question que tu oublies aussi, car tu perds la mémoire décidément. La question, elle a son utilité… Et tu n’as pas idée comme elle sait délier les langues les plus rebelles quand elle est bien appliquée.

Concini frémit. Il entrevoyait déjà le chevalet de torture. Il se sentit perdu. Il râla dans son esprit:

«Que ne me suis-je arraché la langue plutôt que d’aller me vanter stupidement devant cette fille et ces trois bravi!… Car je l’ai dit, sang du Christ! j’ai été assez insensé pour le dire!… Que maudite soit l’heure où je t’ai vue et où je me suis épris de toi, Bertille de malheur!…»

Jehan le Brave, en dessous du grillage, se raidissait de toutes ses forces pour paraître calme et impassible. Mais, dans l’effort qu’il faisait, de grosses gouttes coulaient de son front et tombaient lentement à terre. Cette histoire que, sur des données réelles, il avait inventée de toutes pièces, allait-elle produire l’effet qu’il avait escompté? Telle était la question qu’il se posait sans trêve.

Il sentait bien que, là-haut, Concini était en proie à l’épouvante. Mais cette épouvante irait-elle jusqu’à l’amener à lui rendre la liberté? Tel était le point d’interrogation redoutable. Il ne voulut pas le laisser se ressaisir, et d’une voix qui parut effroyablement calme au Florentin livide de terreur, il reprit:

– Figure-toi que tu seras attaché sur le chevalet. On enfoncera les coins. Généralement, tu sais, on n’en supporte guère plus de cinq ou six. Tu sentiras tes os éclater, se briser, s’émietter. Tu sentiras ta chair meurtrie panteler. Alors, pour faire arrêter l’abominable supplice, tu avoueras. Alors, c’est la condamnation à mort. Mais avant, Concini, on te tranchera le poignet, tu seras tenaillé avec des tenailles rougies à blanc et, dans les plaies, le bourreau coulera de l’huile bouillante, du plomb fondu et après…

– Assez, assez! hoqueta Concini, fou d’épouvante. Que veux-tu enfin?

Jehan étouffa un rugissement de joie puissante. Concini était dompté. Il respira fortement, comme si sa poitrine était allégée de l’énorme poids qui l’oppressait. Et de son air le plus ingénu:

– Moi?… je ne veux rien. Je ne demande rien. Je t’ai averti simplement de ce qui t’arrivera si je ne suis pas libre demain. Le reste te regarde. Si je meurs, je mourrai vengé, et cela me suffit. Bonsoir, Concini.

Concini ouvrait la bouche pour crier: «Je vais te rendre la liberté!» À ce moment, une main douce et impérieuse en même temps s’abattit sur son bras. Il se redressa à demi, hagard, hérissé, le poing crispé sur le manche de la dague, et il se trouva face à face avec Léonora.

Elle était accroupie à côté de lui et le regardait de ses magnifiques yeux noirs chargés de tendresse où luisait cependant un peu de pitié dédaigneuse.

– Toi! gronda Concini effaré. Tu étais là?… Comment savais-tu?… Comment es-tu entrée ici?… Comment as-tu pu?…

Dédaignant de répondre à ses questions, elle interrompit dans un souffle:

– J’ai tout entendu!… Que vas-tu faire? Concini d’une voix aussi basse, gronda furieusement:

– Tu as tout entendu et tu demandes ce que je vais faire?… Que veux-tu que je fasse, si ce n’est lui ouvrir la porte et le conduire dehors?… Il nous tient, le misérable!…

– Il ne faut pas faire cela, dit Léonora sur un ton d’irrésistible autorité.

– Tu es folle!… Tu n’as donc pas compris?

– Fais ce que je te dis, crois-moi. Refuse, dit Léonora plus impérieuse.

Concini la regarda jusqu’au fond de l’âme. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle devait avoir son idée. Il hésita cependant.

– Tu nous perds!

Plus froide, plus résolue, plus autoritaire, elle assura:

– Je nous sauve, au contraire! Fais ce que je te dis. Concini avait confiance en la force de ce sombre génie. Il s’inclina, mais il rageait.

– Soit, dit-il. Mais s’il…

– Les boules, interrompit Léonora. Deux!…

Concini fit signe qu’il avait compris. Et en même temps qu’il prenait dans sa poche deux petites boules, guère plus grosses que des pilules, il se pencha sur le grillage, et d’une voix devenue calme à force de volonté, à son tour, il railla:

– Alors, tu as cru bénévolement que tu allais m’effrayer avec cette histoire à dormir debout?… Pauvre petit!…

Jehan chancela:

– Je suis perdu! songea-t-il. Il s’est passé quelque chose que je ne peux deviner, là-haut. Concini avait peur. Il allait céder, je l’ai vu… J’en suis sûr!… Et maintenant!…

– Ton compagnon, reprit Concini, ira trouver le roi et lui dira ce qu’il voudra. Peu m’importe. Moi, je suis innocent et je saurai le prouver s’il le faut. La preuve en est que je ne te rendrai pas la liberté, comme tu as été assez stupide pour l’espérer, parce qu’il m’a plu de te le laisser croire que tu m’avais effrayé. Tu vas crever ici comme je te l’ai dit, d’une mort lente, épouvantable: la mort lente par la faim et la soif.

Et il laissa tomber les deux pilules et regarda.

Jehan ne les vit pas tomber, ces deux boules brunes, qui passèrent invisibles dans la demi-obscurité de son cachot. Il ne les entendit pas exploser, car elles se brisèrent sans bruit. Le coup que lui portait Concini l’écrasait. Après avoir espéré un moment, il se vit irrémissiblement perdu.

D’ailleurs, il n’eut pas le temps de réfléchir. Il se sentit soudain pris à la gorge par une insupportable odeur. Il étendit machinalement les bras et tomba à la renverse, foudroyé comme une masse.

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