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Tant que le valet qui avait introduit le père Joseph fut présent dans le cabinet, l’attitude des deux hommes ne varia pas: humble et courbée chez le moine; affable, mais quelque peu hautaine chez le jeune prélat, de tous points l’attitude qui convenait à un supérieur recevant un subordonné.

Dès que la porte se fut fermée, les deux attitudes changèrent.

On eût vainement cherché dans Richelieu les airs impérieux, dominateurs, qu’il avait l’instant d’avant quand il se promenait solitaire dans son cabinet. Sa physionomie s’était faite douce, joyeuse, loyale, franchement jeune. Ses manières se firent enveloppantes, insinuantes, avec une nuance de déférence visible. Malgré tout cependant, le félin perçait. Ses gestes caressaient et sous la caresse on sentait la griffe prête à sortir et à déchirer. Ses lèvres souriaient et ses dents blanches donnaient l’impression de crocs puissants, capables de broyer la proie.

Le moine, lui, n’avait plus cette allure humble et courbée qu’il avait prise devant un témoin. Il s’était redressé. Il ne cherchait pas à dominer. Non. Mais ce n’était plus l’inférieur devant le supérieur. C’était un égal devant son égal. Un gentilhomme en visite chez un autre gentilhomme. Dans ses manières, dans le ton de ses paroles, il y avait un peu de cette assurance bienveillante que donne la supériorité de l’âge et de l’expérience acquise, ou, si l’on préfère, un peu de l’autorité du maître devant son élève.

Et, à considérer l’attitude de Richelieu, oui, c’est cette impression qui eût dominé: un maître et un élève.

Lorsque les formules de politesse alors en rigueur eurent été épuisées, lorsque le capucin se fut assis dans le fauteuil que le jeune prélat lui avait avancé de ses mains aristocratiques:

– Je suppose, dit le père Joseph, que nulle oreille indiscrète ne peut nous entendre?

– Attendez, fit Richelieu.

Il ouvrit la porte de son cabinet et alla pousser le verrou de la pièce qui le précédait. Il revint s’asseoir en disant:

– Maintenant, nul ne pourra approcher de ce cabinet.

Le père Joseph opina doucement de la tête et fixant son œil gris sur le visage souriant de l’évêque:

– Vous savez, dit-il à brûle-pourpoint, que le roi n’en a pas pour longtemps à vivre.

Le sourire se figea sur les lèvres de Richelieu.

– Oui, fit-il, d’une voix sourde, c’est un bruit qui court… Et le roi ne fait rien pour l’arrêter. Au contraire. Il semble que lui-même soit, plus que quiconque, persuadé de sa fin prochaine. Il est cependant plein de force et de vigueur et je ne comprends pas…

– Il est condamné, interrompit le moine d’une voix tranchante. Nulle puissance humaine ne peut le sauver!

Richelieu frissonna. Le moine vit ce frisson et il eut un imperceptible sourire de dédain.

– Donc, fit-il d’une voix très calme, avant longtemps, mettons d’ici quelques mois, si vous voulez, Marie de Médicis sera régente du royaume. Ceux qui sont autour d’elle en ce moment, ceux qui entreront à son service avant que ne sonne pour elle l’heure de la toute-puissance, ceux-là, s’ils sont adroits et intelligents, seront les mieux placés pour bénéficier des faveurs qu’elle pourra répandre autour d’elle. Avez-vous songé, par exemple, à la situation magnifique qui attend cet intrigant italien qui s’appelle Concini? Avez-vous remarqué qu’on tourne déjà autour de lui comme autour du futur dispensateur de grades et d’emplois?

Richelieu eut un geste évasif. Il attendait que le moine dévoilât sa pensée.

– Comment se fait-il, Richelieu, reprit lentement le père Joseph, comment se fait-il que vous n’ayez pas déjà cherché à vous attacher à la fortune de la reine-mère?

Un nouveau frisson secoua le jeune évêque. Le moine disait la reine-mère comme si le roi eût été déjà mort. Il se maîtrisa cependant et, avec une sourde rancœur:

– Eh! dit-il, je ne songe qu’à cela!… Mais je suis encore trop petit personnage pour aborder la reine!… Et si jeune!… Pensez donc que je n’ai pas vingt-cinq ans!…

Il se vieillissait sciemment et cela amena un mince sourire sur les lèvres du moine. L’évêque reprit avec un haussement d’épaules furieux:

– Comme s’il était indispensable d’être vieux pour avoir dans le cerveau de hautaines pensées et sentir gronder en soi de vastes ambitions!…

Il se calma brusquement et acheva d’un ton découragé:

– Concini?… Oui, par lui, je pourrais arriver à la reine. Mais il faudrait que je fusse à même de lui rendre quelque signalé service… et jusqu’ici l’occasion ne s’est pas présentée.

– Dites-moi, fit paisiblement le moine, quel poste ambitionneriez-vous, pour le moment, près de la reine?

Une lueur passa dans l’œil de Richelieu:

– Ah! fit-il d’une voix ardente, si j’étais seulement… aumônier de la reine!… Je me chargerais bien de faire venir le reste, tout seul!

Le père Joseph se pencha sur lui et le regardant droit dans les yeux:

– Richelieu, dit-il avec assurance, je vous apporte le poste que vous convoitez.

Richelieu le considéra longuement sans rien dire. Et brusquement, résolument:

– Que faut-il faire? dit-il.

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