Saêtta eut un sourire livide.
– Voici mon nouveau projet, dit-il. Je vais mettre Jehan sur la piste du trésor de sa mère… ou, pour mieux dire, de son trésor, car sa mère le lui a légué. Bien entendu, il ignorera la vérité. Pour lui, il s’agira d’une somme à soustraire… d’un vol, pour appeler les choses par leur nom. Ceci sera dur à obtenir de lui, car il a ses idées… mais c’est mon affaire, c’est à moi de le décider. Lorsqu’il le sera, ce trésor que nul n’a pu trouver, il le découvrira, lui, je vous en réponds. Alors…
– Alors?
– Vous interviendrez, vous, signora. Comment? C’est votre affaire. (Il eut un sourire narquois.) Moi, je m’en rapporte à vous. Je suis sûr de ce qu’il aura trouvé, lui, vous saurez vous arranger pour le faire entrer dans vos coffres… Seulement, maintenant que vous savez quel est le but que je poursuis (sa voix se fit rude), je compte sur vous pour le faire délicatement cueillir au bon moment. Pris en flagrante tentative de vol, son compte sera bon… Qu’il soit condamné comme régicide ou comme voleur, pourvu qu’il soit condamné, c’est tout ce que je demande, moi.
Léonora réfléchissait profondément:
– Pourquoi, dit-elle au bout d’un instant, pourquoi ne pas le faire arrêter dès maintenant? Ce serait plus simple, il me semble.
– Vous n’avez donc pas compris, signora? Je ne veux pas qu’on l’envoie pourrir dans un cachot, moi!… Je veux une condamnation en bonne et due forme… avec une belle exécution publique!
– Ne sais-tu pas, dit Léonora avec un sourire livide, qu’on peut toujours s’arranger?
– Non, par le diable! Je veux que la condamnation soit méritée!… Je veux que le populaire qui se pressera sur le passage du condamné puisse justement lui reprocher son crime!… Et puis (il eut un sourire goguenard) vous oubliez le trésor, signora! Le précieux, le merveilleux, le prodigieux trésor!… Si vous faites coffrer Jehan tout de suite, qui donc, je vous le demande, ira vous le dénicher, ce mignon trésor?
– C’est juste! fit Léonora convaincue. Alors, pour arriver au résultat que tu désires, c’est-à-dire à la condamnation de Jehan, je suis obligée de faire intervenir la reine et de lui donner, à mon tour, ce trésor.
– Ceci vous regarde, dit froidement Saêtta. Et en lui-même il songeait:
– Beau sacrifice, ma foi… Comme si je ne savais pas que ces millions ne feront que passer dans les coffres de la reine pour tomber immédiatement dans les tiens!
Léonora reprit très sérieusement:
– Oui, je ne vois que ce moyen de te satisfaire. Je l’emploierai donc. Tu vois, Saêtta, que l’or ne m’éblouit pas autant que tu le pensais.
Saêtta s’inclina profondément en signe d’admiration. En réalité, il dissimulait un sourire railleur. Et en se redressant, il dit d’un air pénétré:
– Vous êtes tout le désintéressement et toute la générosité aussi, signora.
Léonora prit une bourse convenablement garnie et la tendit au bravo, qui la fit disparaître prestement, en disant:
– Quand ton fils sera décidé à chercher ce trésor, tu m’aviseras… Je crois… oui, je suis sûre que tu auras la joie de voir s’accomplir ta vengeance, telle que tu l’as rêvée. Va, Saêtta, va.
Saêtta s’inclina avec cette élégance cavalière, un peu narquoise, qui lui était personnelle et sortit sans ajouter une parole.
Quant à Léonora, elle appuya le coude sur une petite table, placée à son côté, laissa tomber sa tête dans la main, et les yeux perdus dans le vague, impénétrable, elle demeura seule, rêvant, combinant des choses qu’elle seule savait.