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– Pourtant, vous voyez que je suis venu quand même. Un peu tard, j’en conviens, mais enfin, ne dit-on pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire?

– Mieux eût valu que vous ne fussiez jamais venu! s’écria la jeune fille d’une voix sourde.

– Que dites-vous donc là?

– Je dis, éclata Bertille sur un ton de foudroyant mépris, je dis que vous avez essayé de vous introduire chez moi comme il y a seize ans, vous vous êtes introduit chez ma mère. Je dis que si je ne vous avais révélé mon nom, vous essayiez de renouveler sur la fille, votre fille, le lâche attentat que vous avez commis naguère sur la mère!

– Vous perdez l’esprit, je crois! balbutia Henri.

Bertille s’approcha de lui jusqu’à le toucher et, en le regardant bien en face:

– Voulez-vous me dire ce que signifiait ce signal, ces deux coups frappés dans les mains que j’ai entendus de ma fenêtre, où je prenais le frais, invisible dans l’ombre? Pourquoi la porte que dame Colline Colle, si peureuse, verrouille et cadenasse elle-même avec tant de soin chaque soir, pourquoi cette porte était-elle ouverte?… Combien vous en a-t-il coûté pour obtenir de cette misérable qu’elle vous ouvre ainsi le logis?…

Effaré, le roi dut reculer devant l’insoutenable éclat du regard de sa fille.

– Oui, je le vois, vous vous demandez comment une jeune fille de mon âge peut avoir deviné de telles infamies. Vous oubliez que le douloureux récit de ma mère m’a révélé bien des choses qu’une enfant de mon âge devrait ignorer. Et c’est là un crime de plus à votre actif. Vous voyez, monsieur, que j’avais le droit d’exiger beaucoup de vous. J’ai imploré cependant. Quoi? Peu de chose, en vérité: l’oubli d’une parole, d’un geste. Et vous avez refusé. Eh bien, soit, achevez l’œuvre commencée, mon père, après la mère, assassinez la fille! Le prétexte est tout trouvé, Sire. Comme lui, j’ai insulté à la majesté royale. Ensemble, envoyez-nous au supplice. Je suis prête. Ainsi, grâce à vous, la mère et la fille n’auront pu s’unir que dans la mort à l’homme de leur choix!

Elle se redressait fièrement, une flamme aux yeux. Et le roi, qui se remettait, songeait, en l’admirant:

– Voilà donc où elle voulait en venir: mourir avec l’homme de son choix, comme elle dit. Un amour pareil, et pour un homme dont elle ne savait pas le nom voici une heure à peine. C’est incroyable. Et pourtant cela est. Après tout, de quoi vais-je me mêler? Pourquoi ne pas la laisser arranger sa vie à sa guise? Qui sait si au fond il ne vaut pas mieux qu’il en soit ainsi? N’allais-je pas me créer bénévolement une foule d’ennuis en la présentant à la cour?… Tout compte fait, cette enfant a raison et il vaut mieux, puisque aussi bien c’est ce qu’elle désire, la laisser dans l’ombre… Mais quelle vivacité, ventre-saint-gris!… et quels coups de boutoir!… je reconnais bien mon sang!

Il allait répondre enfin, rassurer la jeune fille, lorsqu’il lui sembla entendre comme un bruit lointain de lutte. Il prêta l’oreille.

Bertille avait entendu elle aussi. Sans se soucier du roi, elle s’élança, courut au balcon, entrebâilla le volet et jeta un coup d’œil dans la rue.

Pâle comme la mort, mais droite et ferme, elle se dirigea vers la porte d’un pas assuré.

– Où allez-vous? cria le roi, qui l’avait suivie.

– Mourir avec lui, puisque vos gens le veulent tuer!

– Eh jarnidieu! Je ne veux pas sa mort!… Ne l’avez-vous donc pas compris?

Et sur un ton de souveraine autorité:

– Ne bougez pas, madame! Il ne me convient pas d’oublier plus longtemps que moi seul ai le droit de commander partout!

À son tour, il alla voir ce qui se passait dans la rue et jugea la situation d’un coup d’œil prompt et sûr.

– Bon! murmura-t-il en rabattant le volet, ils tiendront bien deux ou trois minutes. J’arriverai à temps.

Et se tournant vers Bertille, qui attendait avec une angoisse visible:

– Mon enfant, dit-il avec douceur, je vous pardonne ce que vous m’avez dit et d’avoir cherché à m’insulter, moi, votre père et votre roi. Taisez-vous. Laissez-moi achever. Je n’ai pas l’intention de vous contraindre en quoi que ce soit. Vous déciderez vous-même sur votre sort et je vous laisserai entièrement libre. Dans quelques jours, je reviendrai vous voir. Rassurez-vous, je viendrai cette fois en plein jour et accompagné de telle sorte que ni vous ni personne ne puisse suspecter mes intentions… Maintenant, faites-moi sortir. Il en est temps.

– Venez vite, Sire, venez vite, pour Dieu! s’écria Bertille en s’élançant.

– Un instant, fit Henri en l’arrêtant. Il ne faut pas que tout ce monde me voie sortir de chez vous à cette heure. Je suis votre père, mais il n’y a que moi qui le sais.

– Ah! que m’importe! Ne perdons pas de temps!

– Il m’importe beaucoup, à moi. Faites comme je dis et ne craignez rien… J’arriverai à temps. N’avez-vous pas une sortie sur le derrière de ce logis!

– Par le cul-de-sac Courbâton… Venez, Sire, venez.

Une minute plus tard, le roi, après avoir contourné l’impasse de ce pas allongé qui lui était habituel, était arrivé à temps pour arrêter l’assaut de ses archers, comme on l’a vu.

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