Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Moi, dit-il, moi, M. Lecoq, de la Sûreté, je vous donne ma parole d’honneur de retrouver le corps de Mlle Laurence.

Le pauvre maire s’accrocha désespérément à cette promesse comme un noyé au brin d’herbe qui flotte à portée de sa main.

– Oui! n’est-ce pas, dit-il, nous le retrouverons. Vous m’aiderez. On dit que rien n’est impossible à la police, qu’elle sait, qu’elle voit tout. Nous saurons ce qu’est devenue ma fille.

«Merci, ajouta-t-il, vous êtes un brave homme. Je vous ai mal reçu tantôt et jugé du haut de mon sot orgueil; pardonnez-moi. Il est des préjugés stupides: je vous ai accueilli dédaigneusement, moi qui ne savais quelle fête faire à ce misérable comte de Trémorel. Merci encore, nous réussirons, vous verrez, nous nous ferons aider, nous mettrons sur pied toute la police, nous fouillerons la France; il faut de l’argent, j’en ai, j’ai des millions, prenez-les…

Ses forces étaient à bout, il chancela et retomba épuisé sur le canapé.

– Il ne faut pas qu’il reste ici plus longtemps, murmura le docteur Gendron à l’oreille du père Plantat, il faut qu’il se couche, une fièvre cérébrale, après de pareils ébranlements, ne me surprendrait pas.

Le juge de paix, aussitôt s’approcha de Mme Courtois, toujours affaissée sur le fauteuil. Abîmée dans sa douleur, elle semblait n’avoir rien vu, rien entendu.

– Madame, lui dit-il, madame!…

Elle tressaillit et se leva l’air égaré.

– C’est ma faute, disait-elle, ma très grande faute, une mère doit lire dans le cœur de sa fille comme dans un livre. Je n’ai pas su deviner le secret de Laurence je suis une mauvaise mère.

Le docteur à son tour s’était avancé.

– Madame, prononça-t-il d’un ton impérieux, il faut engager votre mari à se coucher sans tarder. Son état est grave, et un peu de sommeil est absolument nécessaire. Je vous ferai préparer une potion…

– Ah! mon Dieu! s’écria la pauvre femme en se tordant les mains, ah! mon Dieu!…

Et la crainte d’un nouveau malheur, aussi épouvantable que le premier, lui rendant quelque présence d’esprit, elle appela les domestiques qui aidèrent M. Courtois à regagner sa chambre.

Elle monta aussi, suivie du docteur Gendron.

Trois personnes seulement restaient au salon, le juge de paix, M. Lecoq et, toujours près de la porte, Robelot, le rebouteux.

– Pauvre Laurence, murmura le vieux juge de paix, malheureuse jeune fille!…

– Il me semble, remarqua l’agent de la Sûreté, que c’est son père surtout qui est à plaindre. À son âge, un pareil coup, il est capable de ne s’en pas relever. Quoi qu’il puisse arriver, sa vie est brisée.

Lui aussi, l’homme de la police, il avait été ému, et s’il le dissimulait autant que possible – on a son amour-propre – il l’avait formellement avoué au portrait de la bonbonnière.

– J’avais, reprit le juge de paix, j’ai eu comme le pressentiment du malheur qui arrive aujourd’hui. J’avais, moi, deviné le secret de Laurence, malheureusement je l’ai deviné trop tard.

– Et vous n’avez pas essayé…

– Quoi? En ces circonstances délicates, lorsque l’honneur d’une famille respectable dépend d’un mot, il faut une circonspection extrême. Que pouvais-je faire? Avertir Courtois? Non, évidemment. Il eût d’ailleurs refusé de me croire. Il est de ces hommes qui ne veulent rien entendre et que le fait brutal peut seul désabuser.

– On pouvait agir près du comte de Trémorel.

– Le comte aurait tout nié. Il m’aurait demandé de quel droit je me mêlais de ses affaires. Une démarche aboutissait simplement à ma brouille avec Courtois.

– Mais la jeune fille?

Le père Plantat poussa un gros soupir.

– Bien que je déteste, répondit-il, me mêler de ce qui en somme ne me regarde pas, un jour j’ai essayé de lui parler. M’armant de précautions infinies, avec une délicatesse toute maternelle, je puis le dire, sans lui donner à entendre que je savais tout, j’ai tenté de lui montrer l’abîme où elle courait.

– Et qu’a-t-elle répondu?

– Rien. Elle a ri, elle a plaisanté, comme savent plaisanter et rire les femmes qui ont un secret à cacher. Et, depuis, il m’a été impossible de me trouver seul un quart d’heure avec elle. Et avant cette imprudence de ma part, car parler fut une imprudence, il fallait agir, j’étais son meilleur ami. Il ne se passait pas de journée qu’elle ne vint mettre ma serre au pillage. Je lui laissais dévaster mes pétunias les plus rares, moi qui ne donnerais pas une fleur au pape. Elle m’avait, d’autorité, constitué son fleuriste ordinaire. C’est pour elle que j’ai réuni ma collection de bruyères du Cap. J’étais chargé de l’entretien de ses jardinières…

Son expansion était à ce point attendrie, que M. Lecoq, qui le guettait à la dérobée, ne put retenir une grimace narquoise.

Le juge de paix allait continuer, lorsque, s’étant retourné à un bruit qui se fit dans le vestibule, il s’aperçut de la présence de Robelot, le rebouteux. Sa figure aussitôt exprima le plus vif mécontentement.

– Vous étiez là, vous? dit-il.

Le rebouteux eut un sourire bassement obséquieux.

– Oui, monsieur le juge de paix, bien à votre service.

– C’est-à-dire que vous nous écoutiez!

– Oh! pour ça, non, monsieur le juge de paix, j’attends Mme Courtois pour savoir si elle n’a rien à me commander.

Une réflexion soudaine traversa le cerveau du père Plantat, l’expression de son œil changea; il fit un signe à M. Lecoq comme pour lui recommander l’attention, et s’adressant au rebouteux d’une voix plus douce:

– Approchez donc, maître Robelot, dit-il.

D’un regard, M. Lecoq avait toisé et évalué l’homme.

Le rebouteux d’Orcival était un petit homme chétif d’apparence, d’une force herculéenne en réalité. Ses cheveux coupés en brosse découvraient son front large et intelligent. Ses yeux clairs étaient de ceux où flambe le feu de toutes les convoitises, et ils exprimaient, quand il oubliait de les surveiller, une audace cynique.

Un sourire bas errait toujours sur ses lèvres plates et minces, que n’ombrageait pas un seul poil de barbe.

D’un peu loin, avec sa taille exiguë et sa face imberbe, il ressemblait à ces odieux gamins de Paris, qui sont comme l’essence même de toutes les corruptions, dont l’imagination est plus souillée que le ruisseau où ils cherchent les sous perdus entre les pavés.

À l’invitation du juge de paix, le rebouteux fit quelques pas dans le salon, souriant et saluant.

30
{"b":"125304","o":1}