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– Monsieur le juge de paix, disait-il, aurait-il par hasard et par bonheur besoin de moi?

– Nullement, maître Robelot, en aucune façon. Je veux seulement vous féliciter d’être arrivé si à propos pour saigner M. Courtois. Votre coup de lancette lui a peut-être sauvé la vie.

– C’est bien possible, tout de même, répondit le rebouteux.

– M. Courtois est généreux, il reconnaîtra bien ce service qui est grand.

– Oh! je ne lui demanderai rien. Je n’ai, Dieu merci! besoin de personne. Qu’on me paie seulement mon dû et je suis content.

– Oui, je sais, on me l’a dit, vos affaires vont bien, vous devez être satisfait.

La parole de M. Plantat était devenue amicale, presque paternelle. Il s’intéressait fort, on le voyait, à la prospérité de maître Robelot.

– Satisfait! reprit le rebouteux, pas tant que monsieur le juge de paix le croit. La vie est bien chère, pour le pauvre monde, puis il y a ces rentrées, ces maudites rentrées qui ne se font pas.

– Cependant, c’est bien vous qui avez acheté le pré Morin, au bas de la côte d’Évry.

– Oui, monsieur.

– Il est bon, le pré Morin, bien qu’un peu humide. Heureusement vous avez de la pierraille dans les pièces de terre que vous a vendues la veuve Frapesle.

Jamais le rebouteux n’avait vu le juge de paix si causeur, si bon enfant, et il ne se lassait pas que d’être un peu surpris.

– Trois méchantes pièces de terre, fit-il.

– Pas si mauvaises que vous dites. Puis, n’avez-vous pas aussi acheté quelque chose à la licitation des mineurs Peyron?

– Un lopin de rien du tout.

– C’est vrai, mais payé comptant. Vous voyez bien que le métier de médecin sans diplôme n’est pas si mauvais.

Poursuivi plusieurs fois déjà pour exercice illégal de la médecine, maître Robelot crut devoir protester.

– Si je guéris les gens, affirma-t-il, je ne me fais pas payer.

– C’est donc, continua le père Plantat, votre commerce d’herboristerie qui vous enrichit?

Décidément, la conversation tournait à l’interrogatoire, le rebouteux devenait inquiet.

– Je gagne passablement avec les herbes, répondit-il.

– Et comme vous êtes un homme d’ordre et d’économie, vous achetez des terres.

– J’ai encore les bêtes, reprit vivement Robelot, qui me rapportent assez. On vient me chercher de plus de trois lieues. Je soigne les chevaux, les vaches, les brebis.

– Toujours sans diplôme?

Le rebouteux prit un air dédaigneux.

– Ce n’est pas un morceau de parchemin, dit-il, qui fait la science. Je ne crains pas les vétérinaires de l’école, moi. C’est dans les prairies et à l’étable que j’étudie les bestiaux. Sans me vanter, je n’ai pas mon pareil pour l’enfle, non plus que, pour le tournis ou la clavelée.

Le ton du juge de paix devenait de plus en plus bienveillant.

– Je sais, poursuivit-il, que vous êtes un homme habile et plein d’expérience. Et tenez, le docteur Gendron, chez qui vous avez servi, me vantait, il n’y a qu’un instant, votre intelligence.

Le rebouteux eut un tressaillement nerveux, qui, pour être très léger, n’échappa point au père Plantat, qui continua:

– Oui, ce cher docteur m’affirmait n’avoir jamais rencontré un aide de laboratoire aussi entendu que vous. «Robelot, me disait-il, a pour la chimie une telle aptitude, et tant de goût en même temps, qu’il s’entend aussi bien que moi à quantité de manipulations extrêmement difficiles.»

– Dame! je travaillais de mon mieux, puisque j’étais bien payé et j’ai toujours aimé à m’instruire.

– Et vous étiez à bonne école chez M. Gendron, maître Robelot; il se livre à des recherches très intéressantes. Ses travaux et ses expériences sur les poisons sont surtout bien remarquables.

L’inquiétude qui, peu à peu, gagnait le rebouteux, commençait à devenir manifeste; son regard vacillait.

– Oui, répondit-il pour répondre quelque chose, j’ai vu des expériences bien curieuses.

– Eh bien, dit le père Plantat, vous qui aimez à vous instruire, et qui êtes curieux, réjouissez-vous. Le docteur va, ces jours-ci, avoir un beau sujet d’études, et certainement il vous prendra pour aide.

Maître Robelot était bien trop fin pour n’avoir pas deviné depuis quelques minutes déjà que cette conversation, cet interrogatoire plutôt, avait un but. Mais lequel? Où en voulait venir le juge de paix? Il se le demandait, non sans une sorte de terreur irraisonnée. Et récapitulant avec la foudroyante rapidité de la pensée, à combien de questions, oiseuses en apparence, il avait répondu et où l’avaient conduit ces questions, il tremblait.

Il crut être habile et esquiver d’autres demandes en disant:

– Je suis toujours aux ordres de mon ancien maître, quand il a besoin de moi.

– Il aura besoin de vous, je vous l’affirme, prononça le père Plantat.

Et d’un ton détaché que démentait le regard de plomb qu’il fit peser sur le rebouteux d’Orcival, il ajouta:

– L’intérêt sera énorme et la tâche difficile. On va, mon brave, exhumer le cadavre de M. Sauvresy.

Robelot était assurément préparé à quelque chose de terrible et il était armé de toute son audace. Cependant, ce nom de Sauvresy tomba sur sa tête comme un coup de massue, et c’est d’une voix étranglée qu’il balbutia:

– Sauvresy!

Le père Plantat, qui ne voulait pas voir, avait déjà détourné la tête et continuait de ce ton qu’on prend en parlant de choses indifférentes, de la pluie et du beau temps.

– Oui, on exhumera Sauvresy. On soupçonne – la justice a toujours des soupçons – qu’il n’est pas mort d’une maladie parfaitement naturelle.

Le rebouteux s’appuyait à la muraille pour ne pas tomber.

– Alors, poursuivit le juge de paix, on s’est adressé au docteur Gendron. Il a, vous le savez, trouvé des réactifs qui décèlent la présence d’un alcaloïde, quel qu’il soit, dans les matières soumises à son analyse. Il m’a parlé de certain papier sensibilisé…

Faisant un héroïque appel à toute son énergie, Robelot s’efforçait de se relever sous le coup et de reprendre contenance.

– Je connais, dit-il, les procédés du docteur Gendron, mais je ne vois pas sur qui peuvent porter les soupçons dont parle monsieur le juge de paix.

Le père Plantat était désormais fixé.

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