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– Ah! mon ami, s’écria-t-il, c’est l’honneur après la vie, que tu me donnes, comment m’acquitter jamais!…

– En ne faisant plus que des folies raisonnables. Tiens, comme moi, ajouta-t-il, en se penchant vers sa femme et en l’embrassant.

– Et plus rien à redouter!

– Rien! C’est que j’aurais, morbleu! emprunté les deux millions, oui, et ils l’ont bien vu. Mais ce n’est pas tout. Les poursuites sont arrêtées. Je suis allé à ton hôtel, et j’ai pris sur moi de renvoyer tous tes domestiques, à l’exception de ton valet de chambre et d’un palefrenier. Si tu veux m’en croire, nous enverrons dès demain tous tes chevaux au Tattersal où ils se vendront très bien. Quant au cheval que tu as l’habitude de monter, il sera ici demain.

Ces détails choquaient Berthe. Elle trouvait que son mari exagérait l’obligeance, descendant jusqu’à la servilité.

«Décidément, pensait-elle, il était né pour être intendant.» Sauvresy poursuivait:

– Enfin, sais-tu ce que j’ai fait? Songeant que tu es arrivé ici comme un petit Saint-Jean, j’ai donné l’ordre de remplir trois ou quatre malles de tes effets, on les a portées au chemin de fer, et en arrivant j’ai envoyé un domestique les chercher.

Hector, lui aussi, commençait à trouver l’obligeance de Sauvresy excessive, et qu’il le traitait par trop en enfant ne sachant rien prévoir. Cette circonstance de son dénuement racontée devant une femme, le blessait. Il oubliait que le matin même, il avait trouvé tout simple de faire demander du linge à son ami.

Il cherchait une de ces plaisanteries fines, qui sauvent une situation, lorsqu’il se fit un grand bruit dans le vestibule. Sans doute les malles arrivaient. Berthe sortit pour donner des ordres.

– Vite, pendant que nous sommes seuls, dit Sauvresy, voici tes bijoux. Ah! j’ai eu du mal à les avoir. Ils sont méfiants au mont-de-piété. Je pense bien qu’ils ont commencé par me prendre pour l’associé d’une bande de filous.

– Tu n’as pas dit mon nom, au moins!

– Ça a été inutile. Mon notaire, par bonheur, était avec moi. Non, on ne saura jamais tout ce qu’un notaire peut rendre de services. Ne penses-tu pas que la société est injuste envers les notaires?

Trémorel pensait que son ami parlait bien lestement de choses sérieuses, tristes même, et cette légèreté de ton le contrariait.

– Pour finir, poursuivait Sauvresy, j’ai rendu visite à miss Fancy. Elle était au lit depuis la veille, on l’y avait portée après ton départ, et depuis la veille, m’a dit sa femme de chambre, elle ne cessait de sangloter à fendre l’âme.

– Elle n’avait reçu personne?

– Personne absolument. Elle te croyait bien mort, et quand je lui ai affirmé que tu étais chez moi, très vivant et très bien portant, j’ai cru qu’elle deviendrait folle de joie. Sais-tu qu’elle est vraiment jolie?

– Oui… elle n’est pas mal.

– Puis c’est, je crois, une bonne personne. Elle m’a dit des choses extrêmement touchantes. Je parierais presque, mon cher ami, qu’elle ne tient pas seulement à ton argent, et qu’elle a pour toi une sincère affection.

Hector eut un beau sourire de fatuité. Affection!… le mot était pâle.

– Bref, ajouta Sauvresy, elle voulait à toute force me suivre, pour te voir, pour te parler. J’ai dû, pour obtenir qu’elle me laissât me retirer, lui jurer, avec d’épouvantables serments, qu’elle te verrait demain, non à Paris puisque tu m’as déclaré que tu n’y voulais plus y remettre les pieds, mais à Corbeil.

– Ah! comme cela…

– Donc, demain à midi, elle sera à la gare. Nous partirons d’ici ensemble; pendant que je prendrai le train de Paris, tu monteras, toi, dans celui de Corbeil. Arrange-toi de façon à faire semblant de manger et tu pourras, là-bas, offrir à déjeuner à miss Fancy à l’hôtel de la Belle-Image.

– Il n’y a pas d’inconvénients?

– Pas le moindre. La Belle-Image est une grande auberge que sa position à l’entrée de la ville, à cinq cents mètres du chemin de fer, met absolument à l’abri des curieux et des indiscrets. On peut, d’ici, s’y rendre sans être vu de personne, en suivant le bord de l’eau et en prenant la rue qui tourne le moulin Darblay.

Hector préparait une objection, Sauvresy, d’un geste lui ferma la bouche.

– Voici ma femme, dit-il, plus un mot.

15

En montant se coucher, ce soir-là, le comte de Trémorel était déjà beaucoup moins enthousiasmé du dévouement de son ami Sauvresy. Il n’est pas de diamant où on ne trouve une tache en l’examinant à la loupe.

«Le voici, se disait-il, prêt à abuser de son rôle de sauveur. Il se pose en mentor et fait des phrases. Les gens ne sauraient-ils donc vous obliger sans vous le faire sentir. Ne semblerait-il pas que par cette raison qu’il m’a empêché de me brûler la cervelle, je deviens quelque chose lui appartenant? Pour un peu plus il allait ce soir me reprocher les magnificences de Fancy! Où s’arrêtera son zèle?»

Ce qui n’empêcha pas que le lendemain, au déjeuner, il prétexta un malaise pour ne pas manger et qu’il fit remarquer à Sauvresy qu’il allait manquer le train.

Comme la veille, Berthe accoudée à sa fenêtre, les regardait s’éloigner.

Si grand était son trouble depuis quarante-huit heures qu’elle ne se reconnaissait plus elle-même. Déjà elle en était à n’oser plus ni réfléchir ni descendre au fond de son cœur. Quelle puissance mystérieuse possédait-il donc, cet homme, pour être entré ainsi violemment dans sa vie! Elle souhaitait qu’il s’éloignât pour ne plus revenir jamais, et en même temps elle s’avouait qu’en partant il emporterait sa pensée tout entière. Et elle se débattait sous le charme, ne sachant si elle devait se réjouir ou s’affliger des inexprimables émotions qui l’agitaient, s’irritant de subir une domination plus forte que sa volonté.

Elle avait décidé que, ce jour-là, elle descendrait au salon. Il ne manquerait pas – ne fût-ce que par politesse – d’y descendre, et alors elle pensait que le voyant de plus près, le faisant causer, le connaissant mieux, son prestige s’évanouirait.

Sans doute il allait revenir, et elle guettait son retour, prête à descendre dès qu’elle le verrait au détour du chemin d’Orcival.

Elle l’attendait avec des frémissements fébriles, anxieuse comme on l’est au moment d’une lutte, sentant bien que ce premier tête à tête, en l’absence de son mari, serait décisif.

Mais le temps passait. Il y avait plus de deux heures qu’il était sorti avec Sauvresy et il ne reparaissait pas. Où pouvait-il être?

En ce moment même, Hector arpentait la salle d’attente du chemin de fer de Corbeil, attendant miss Fancy.

Enfin, il se fit, dans la gare, un grand remue-ménage. Les employés couraient, les hommes d’équipe traversaient la voie, roulant des brouettes, les portes s’ouvraient et se refermaient bruyamment. Le train arrivait.

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