Il se passait en elle des choses inconnues qu’elle ne s’expliquait point.
Le coupé s’arrêta. On était avenue Raphaël. La grille du jardin fut ouverte. Le coupé pénétra dans le jardin, vint au perron de la villa. Cinq minutes plus tard, Diane était dans sa chambre.
Une soubrette vint à elle. Elle la renvoya.
– Je veux être seule, dit-elle. Allez vous coucher.
Comme la soubrette se retirait, celle-ci ne put retenir un cri. Diane, en effet, venait d’entr’ouvrir son manteau.
– Oh! ce collier, madame, ce collier!
Diane fut mauvaise:
– Allez-vous-en, Jenny! Allez-vous-en!
– Madame!… Le collier de madame!…
Les yeux de Diane exprimèrent tant de fureur que Jenny disparut.
Diane, restée seule, souleva le collier.
– Oui, c’est un présent royal, dit-elle… Il m’a donné son collier… mais c’est lui que je veux! C’est lui!
Elle déposa le collier dans une cassette et vint tomber dans un fauteuil.
Elle considéra, par les fenêtres ouvertes, la nuit. Elle resta longtemps ainsi puis, le froid l’ayant gagnée, elle se leva et passa dans son cabinet de toilette.
Là aussi, les fenêtres étaient larges ouvertes, ainsi que tous les soirs. C’était une règle d’hygiène qu’elle s’était imposée.
Elle ferma les fenêtres du cabinet de toilette. Les carreaux étaient traversés d’une tringle où glissaient des rideaux.
Mais, au-dessus de cette tringle, le regard pouvait pénétrer.
Et quelqu’un voyait.
Nous avons laissé Pold à cheval sur une grosse branche de marronnier.
Il avait entendu le bruit de la voiture sur l’avenue Raphaël.
– C’est elle! avait-il dit.
Et ses yeux n’avaient plus quitté les trous noirs des fenêtres.
Les fenêtres s’étaient soudain illuminées d’une clarté électrique.
Il avait assisté à la scène, très courte, entre Diane et sa femme de chambre. Il n’en avait pas perdu un mot, pas un geste.
La soubrette était partie, et Diane venait de passer dans l’autre pièce, dont elle avait fermé les fenêtres.
Mais, comme nous l’avons dit, on pouvait tout voir au-dessus des tringles. Pold assista, dans le cabinet de toilette, au commencement du déshabillé de Diane.
Ce qu’il vit eut sans doute le don de l’intéresser, car il ne put retenir des exclamations qui traduisaient son enthousiasme.
Pold n’y tint plus. Il descendit de sa branche. Il reprit le tronc du marronnier dans ses bras et se laissa glisser.
Il fut par terre. Il s’en alla jusqu’au pied du mur. Si les fenêtres du cabinet de toilette étaient fermées, celles de la chambre n’étaient pas encore closes. Il les regarda. Il mesura du regard la distance qui les séparait du sol.
Il étudia le mur. Ce mur était garni d’un treillage qui soutenait une vigne. Un arbre de vigne montait le long de ce treillage.
Pold n’hésita pas. Il tenta l’escalade du treillage en s’aidant de la vigne.
Cette première tentative fut vaine. Il retomba au pied du mur. Pold regarda encore, d’une façon désespérée, les fenêtres.
Il comprenait qu’il n’avait pas une minute à perdre.
Dans quelques instants, les fenêtres de la chambre se fermeraient comme celles du cabinet de toilette.
Et, alors, tout était perdu pour lui. Il ne pouvait espérer que Diane ouvrirait une fenêtre s’il frappait aux carreaux. Diane, certainement, appellerait ses gens.
La situation était critique. Elle était presque désespérée. Et, cependant, il songeait qu’il n’avait pas tant fait pour rester en chemin. Le plus dur de son aventure restait à accomplir. Mais encore ne l’avait-il tentée que pour tout essayer afin de la mener à bonne fin.
Il ne raisonnait plus. Ce n’était plus un enfant. Ce n’était pas un homme. C’était un animal poussé par son instinct et auquel l’instinct fixait un but.
Il grimpa. Il s’arracha les mains, il se brisa les poignets entre le treillage et le mur. Il s’accrocha comme il put, il accomplit des prodiges d’équilibre: il faillit retomber dix fois au pied du mur, il eut la chance de rencontrer des clous où ses pieds se posèrent désespérément.
Il cassa une branche de la vigne et se rattrapa à une autre. Au moment, enfin, où il croyait que ses efforts n’allaient point aboutir, à la seconde précise et définitive où il allait renoncer à l’escalade et se laisser retomber au pied du mur, où sa chute pouvait être dangereuse, il saisit, d’un effort suprême, l’appui-main de la fenêtre. Il était sauvé.
Il resta sur la fenêtre, debout, face à l’intérieur de la chambre et, simplement, croisa les bras.
La chambre était éblouissante de clarté dorée. Tout y semblait en or: la lumière, les murs, les meubles, les divans, les coussins, les tapis et le lit. Un lit très bas et très large, qui paraissait une bête immense accroupie, allongée, étendant ses pattes aux griffes d’or comme des membres las.
Les lèvres de l’impassible Pold laissèrent échapper ces mots:
– Mâtin! c’est rien chouette ici!
Puis il se tut; il attendit. Derrière lui, le jour commençait à poindre.
Dans le cabinet de toilette, Diane venait de passer un peignoir tout en fanfreluches, et en dentelles.
Elle était dans un état de nervosité bien facile à comprendre après les événements d’une telle nuit.
Son amour lui était venu dans des conditions, dans un cadre accompagné d’incidents si exceptionnels qu’il lui en restait une sorte de terreur.
Le mystère dont s’entourait le prince et la toute-puissance dont il semblait disposer, sa richesse prodigieuse le mettaient, à ses yeux, en dehors de tout ce qu’elle avait appris des hommes jusqu’à ce jour.
Or, il y avait des minutes où elle se réjouissait que rien de définitif ne se fût passé entre elle et cet homme, car elle sentait bien qu’elle lui livrerait son âme, qu’elle la lui vendrait, elle qui n’avait jamais vendu que son corps… et il y avait des minutes, au contraire, où une grande exaspération lui venait de ce que cet homme ne l’eût point prise déjà…
Ce sentiment finit par la dominer, par l’envahir tout entière.
– Je veux être à lui! se criait-elle. Je veux être sa chose! Et elle considérait avec horreur la possibilité qu’il fût à une autre…