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«En foi de quoi, messieurs les jurés, livrez-moi lestement cette scélérate au bourreau, et vous ferez acte de citoyens vertueux, indépendants, fermes et éclairés… Dixi!

«- Ce monsieur envisage la question sous un point de vue très-moral, dira d’un air paterne quelque bonnetier enrichi ou quelque vieil usurier déguisé en chef du jury; il a fait, pardieu! ce que nous aurions tous fait à sa place, car elle est fort gentille, cette petite blondinette, quoiqu’un peu pâlotte… Ce gaillard-là, comme dit Joconde, «a courtisé la brune et la blonde»; il n’y a pas de loi qui le défende. Quant à cette malheureuse, après tout, c’est sa faute! Pourquoi ne s’est-elle pas défendue? Elle n’aurait pas eu à commettre un crime… un… crime monstrueux qui fait… qui fait… rougir la société… jusque dans ses fondements.»

«Et ce bonnetier enrichi ou cet usurier aura raison, parfaitement raison.

«En vertu de quoi ce monsieur peut-il être incriminé? De quelle complicité directe ou indirecte, morale ou matérielle, peut-on l’accuser?

«Cet heureux coquin a séduit une jolie fille, ensuite il l’a plantée là, il l’avoue; où est la loi qui défend ceci et cela?

«La société, en cas pareil, ne dit-elle pas comme ce père de je ne sais plus quel conte grivois:

«- Prenez garde à vos poules, mon coq est lâché… je m’en lave les mains!»

«Mais qu’un pauvre misérable, autant par besoin que par stupidité, contrainte, ou ignorance des lois qu’il ne sait pas lire, achète sciemment une guenille provenant d’un vol… il ira vingt ans aux galères comme receleur, si le voleur va vingt ans aux galères.

«Ceci est un raisonnement logique, puissant.

«Sans receleurs, il n’y aurait pas de voleurs.

«Sans voleurs pas de receleurs.

«Non… pas plus de pitié… moins de pitié, même… pour celui qui excite au mal que pour celui qui fait le mal!

«Que la plus légère complicité soit donc punie d’un châtiment terrible!…

«Bien… il y a là une pensée sévère et féconde, haute et morale.

«On va s’incliner devant la société qui a dicté cette loi… mais on se souvient que cette société, si inexorable envers les moindres complicités de crimes contre les choses, est ainsi faite qu’un homme simple et naïf qui essaierait de prouver qu’il y a au moins solidarité morale, complicité matérielle entre le séducteur inconstant et la fille séduite et abandonnée passerait pour un visionnaire.

«Et si cet homme simple se hasardait d’avancer que, sans père… il n’y aurait peut-être pas d’enfant, la société crierait à l’atrocité, à la folie.

«Et elle aurait raison, toujours raison… car, après tout, ce monsieur, qui pourrait dire de si belles choses au jury, pour peu qu’il fût amateur d’émotions tragiques, pourrait aussi aller tranquillement voir couper le cou de sa maîtresse, exécutée pour crime d’infanticide, crime dont il est le complice, disons mieux… l’auteur, par son horrible abandon.

«Cette charmante protection, accordée à la partie masculine de la société pour certaines friponnes espiègleries relevant du petit dieu d’amour, ne montre-t-elle pas que le Français sacrifie encore aux Grâces, et qu’il est toujours le peuple le plus galant de l’univers?»

XIII Jacques Ferrand

Au temps où se passaient les événements que nous racontons, à l’une des extrémités de la rue du Sentier, s’étendait un long mur crevassé, chaperonné d’une couche de plâtre hérissée de morceaux de bouteilles; ce mur, bornant de ce côté le jardin de Jacques Ferrand le notaire, aboutissait à un corps de logis, bâti sur la rue et élevé seulement d’un étage surmonté de greniers.

Deux larges écussons de cuivre doré, insignes du notariat, flanquaient la porte cochère vermoulue, dont on ne distinguait plus la couleur primitive sous la boue qui la couvrait.

Cette porte conduisait à un passage couvert; à droite se trouvait la loge d’un vieux portier à moitié sourd, qui était au corps des tailleurs ce que M. Pipelet était au corps des bottiers; à gauche, une écurie servant de cellier, de buanderie, de bûcher et d’établissement à une naissante colonie de lapins, parqués dans la mangeoire par le portier, qui se distrayait des chagrins d’un récent veuvage en élevant de ces animaux domestiques.

À côté de la loge s’ouvrait la baie d’un escalier tortueux, étroit, obscur, conduisant à l’étude, ainsi que l’annonçait aux clients une main peinte en noir, dont l’index se dirigeait vers ces mots aussi peints en noir sur le mur: L’étude est au premier.

D’un côté d’une grande cour pavée, envahie par l’herbe, on voyait des remises inoccupées; de l’autre côté, une grille de fer rouillé, qui fermait le jardin; au fond, le pavillon, seulement habité par le notaire.

Un perron de huit ou dix marches de pierres disjointes, branlantes, moussues, verdâtres, usées par le temps, conduisait à ce pavillon carré, composé d’une cuisine et autres dépendances souterraines, d’un rez-de-chaussée, d’un premier et d’un comble où avait habité Louise.

Ce pavillon paraissait aussi dans un grand état de délabrement; de profondes lézardes sillonnaient les murs; les fenêtres et les persiennes, autrefois peintes en gris, étaient, avec les années, devenues presque noires; les six croisées du premier étage, donnant sur la cour, n’avaient pas de rideaux; une espèce de rouille grasse et opaque couvrait les vitres; au rez-de-chaussée on voyait, à travers les carreaux, plus transparents, des rideaux de cotonnade jaune passée à rosaces rouges.

Du côté du jardin, le pavillon n’avait que quatre fenêtres; deux étaient murées.

Ce jardin, encombré de broussailles parasites, semblait abandonné; on n’y voyait pas une plate-bande, pas un arbuste; un bouquet d’ormes, cinq ou six gros arbres verts, quelques acacias et sureaux, un gazon clair et jaune, rongé par la mousse et par le soleil d’été; des allées de terre crayeuse, embarrassées de ronces; au fond, une serre à demi souterraine; pour horizon, les grands murs nus et gris des maisons mitoyennes, percés çà et là de jours de souffrance, grillés comme des fenêtres de prison; tel était le triste ensemble du jardin et de l’habitation du notaire.

À cette apparence, ou plutôt à cette réalité, M. Ferrand attachait une grande importance.

Aux yeux du vulgaire, l’insouciance du bien-être passe presque toujours pour du désintéressement; la malpropreté, pour de l’austérité.

Comparant le gros luxe financier de quelques notaires, ou les toilettes fabuleuses de mesdames leurs notairesses, à la sombre maison de M. Ferrand, si dédaigneux de l’élégance, de la recherche et de la somptuosité, les clients éprouvaient une sorte de respect ou plutôt de confiance aveugle pour cet homme, qui, d’après sa nombreuse clientèle et la fortune qu’on lui supposait, aurait pu dire, comme maint confrère: «Mon équipage (cela se dit ainsi), mon raout (sic), ma campagne (sic), mon jour à l’Opéra (sic)», etc., et qui, loin de là, vivait avec une sévère économie; aussi, dépôts, placements, fidéicommis, toutes ces affaires enfin qui reposent sur l’intégrité la plus reconnue, sur la bonne foi la plus retentissante, affluaient-elles chez M. Ferrand.

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