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IX Confession

Sombre et cruel spectacle!

Au milieu de la mansarde, telle que nous l’avons dépeinte, reposait, sur la couche de l’idiote, le corps de la petite fille morte le matin; un lambeau de drap la recouvrait.

La rare et vive clarté filtrée par l’étroite lucarne jetait sur les figures des trois acteurs de cette scène des lumières et des ombres durement tranchées.

Rodolphe, debout et adossé au mur, était péniblement ému.

Morel, assis sur le bord de son établi, la tête baissée, les mains pendantes, le regard fixe, farouche, ne quittait pas des yeux le matelas où étaient déposés les restes de la petite Adèle.

À cette vue, le courroux, l’indignation du lapidaire s’affaiblirent et se changèrent en une tristesse d’une amertume inexprimable; son énergie l’abandonnait, il s’affaissait sous ce nouveau coup.

Louise, d’une pâleur mortelle, se sentait défaillir; la révélation qu’elle devait faire l’épouvantait. Pourtant elle se hasarda à prendre en tremblant la main de son père, cette pauvre main amaigrie, déformée par l’excès du travail.

Il ne la retira pas; alors sa fille, éclatant en sanglots, la couvrit de baisers et la sentit bientôt se presser légèrement contre ses lèvres. La colère de Morel avait cessé; ses larmes, longtemps contenues, coulèrent enfin.

– Mon père! si vous saviez? s’écria Louise, si vous saviez comme je suis à plaindre!

– Oh! tiens, vois-tu, ce sera le chagrin de toute ma vie, Louise, de toute ma vie, répondit le lapidaire en pleurant. Toi, mon Dieu!… toi en prison… sur le banc des criminels… toi, si fière… quand tu avais le droit d’être fière… Non! reprit-il dans un nouvel accès de douleur désespérée, non! je préférerais te voir sous le drap de mort à côté de ta pauvre petite sœur…

– Et moi aussi, je voudrais y être! répondit Louise.

– Tais-toi, malheureuse enfant, tu me fais mal… J’ai eu tort de te dire cela; j’ai été trop loin… Allons, parle; mais, au nom de Dieu, ne mens pas… Si affreuse que soit la vérité, dis-la-moi… que je l’apprenne de toi… elle me paraîtra moins cruelle… Parle, hélas! les moments nous sont comptés; en bas… on t’attend. Oh! les tristes… tristes adieux, juste ciel!

– Mon père, je vous dirai tout…, reprit Louise, s’armant de résolution; mais promettez-moi, et que notre sauveur me promette aussi de ne répéter ceci à personne… à personne… S’il savait que j’ai parlé, voyez-vous… Oh! ajouta-t-elle en frissonnant de terreur, vous seriez perdus… perdus comme moi… car vous ne savez pas la puissance et la férocité de cet homme!

– De quel homme?

– De mon maître…

– Le notaire?

– Oui…, dit Louise à voix basse et en regardant autour d’elle, comme si elle eût craint d’être entendue.

– Rassurez-vous, reprit Rodolphe; cet homme est cruel et puissant, peu importe, nous le combattrons! Du reste, si je révélais ce que vous allez nous dire, ce serait seulement dans votre intérêt ou dans celui de votre père.

– Et moi aussi, Louise, si je parlais, ce serait pour tâcher de te sauver. Mais qu’a-t-il encore fait, ce méchant homme?

– Ce n’est pas tout, dit Louise, après un moment de réflexion, dans ce récit il sera question de quelqu’un qui m’a rendu un grand service… qui a été pour mon père et pour notre famille plein de bonté; cette personne était employée chez M. Ferrand lorsque j’y suis entrée, elle m’a fait jurer de ne pas la nommer.

Rodolphe, pensant qu’il s’agissait peut-être de Germain, dit à Louise:

– Si vous voulez parler de François Germain… soyez tranquille, son secret sera bien gardé par votre père et par moi.

Louise regarda Rodolphe avec surprise.

– Vous le connaissez? dit-elle.

– Comment! ce bon, cet excellent jeune homme qui a demeuré ici pendant trois mois était employé chez le notaire quand tu y es entrée? dit Morel. La première fois que tu l’as vu ici, tu as eu l’air de ne pas le connaître?…

– Cela était convenu entre nous, mon père; il avait de graves raisons pour cacher qu’il travaillait chez M. Ferrand. C’est moi qui lui avais indiqué la chambre du quatrième qui était à louer ici, sachant qu’il serait pour vous un bon voisin…

– Mais, reprit Rodolphe, qui a donc placé votre fille chez le notaire?

– Lors de la maladie de ma femme, j’avais dit à Mme Burette, la prêteuse sur gages, qui loge ici, que Louise voulait entrer en maison pour nous aider. Mme Burette connaissait la femme de charge du notaire; elle m’a donné pour elle une lettre où elle lui recommandait Louise comme un excellent sujet. Maudite… maudite soit cette lettre!… elle est la cause de tous nos malheurs… Enfin, monsieur, voilà comment ma fille est entrée chez le notaire.

– Quoique je sois instruit de quelques-uns des faits qui ont causé la haine de M. Ferrand contre votre père, dit Rodolphe à Louise, je vous prie, racontez-moi en peu de mots ce qui s’est passé entre vous et le notaire depuis votre entrée à son service… cela pourra servir à vous défendre.

– Pendant les premiers temps de mon séjour chez M. Ferrand, reprit Louise, je n’ai pas eu à me plaindre de lui. J’avais beaucoup de travail, la femme de charge me rudoyait souvent, la maison était triste, mais j’endurais avec patience; le service est le service; ailleurs j’aurais eu d’autres désagréments. M. Ferrand avait une figure sévère, il allait à la messe, il recevait souvent des prêtres; je ne me défiais pas de lui. Dans les commencements, il me regardait à peine; il me parlait très-durement, surtout en présence des étrangers.

«Excepté le portier, qui logeait sur la rue, dans le corps de logis où est l’étude, j’étais seule de domestique avec Mme Séraphin, la femme de charge. Le pavillon que nous occupions était une grande masure isolée, entre la cour et le jardin. Ma chambre était tout en haut. Bien souvent j’avais peur, restant le soir toujours seule, ou dans la cuisine, qui est souterraine, ou dans ma chambre. La nuit, il me semblait quelquefois entendre des bruits sourds et extraordinaires à l’étage au-dessous de moi, que personne n’habitait, et où seulement M. Germain venait souvent travailler dans le jour; deux des fenêtres de cet étage étaient murées, et une des portes, très-épaisse, était renforcée de lames de fer. La femme de charge m’a dit depuis que dans cet endroit se trouvait la caisse de M. Ferrand.

«Un jour j’avais veillé très-tard pour finir des raccommodages pressés; j’allais pour me coucher, lorsque j’entendis marcher doucement dans le petit corridor au bout duquel était ma chambre; on s’arrêta à ma porte; d’abord je supposai que c’était la femme de charge; mais, comme on n’entrait pas, cela me fit peur; je n’osais bouger, j’écoutais, on ne remuait pas, j’étais pourtant sûre qu’il y avait quelqu’un derrière ma porte: je demandai par deux fois qui était là… on ne me répondit rien. De plus en plus effrayée, je poussai ma commode contre la porte, qui n’avait ni verrou, ni serrure. J’écoutai toujours, rien ne bougea; au bout d’une demi-heure, qui me parut bien longue, je me jetai sur mon lit; la nuit se passa tranquillement. Le lendemain, je demandai à la femme de charge la permission de faire mettre un verrou à ma chambre, qui n’avait pas de serrure, lui racontant ma peur de la nuit; elle me répondit que j’avais rêvé, qu’il fallait d’ailleurs m’adresser à M. Ferrand pour ce verrou. À ma demande, il haussa les épaules, me dit que j’étais folle; je n’osai plus en parler.

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