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Et voilà que tout à coup elle abandonne son cloaque infect pour une retraite charmante et rustique, sa vie immonde, pour partager une existence heureuse et paisible avec les êtres les plus vertueux; les plus tendres, les plus compatissants à ses infortunes…

Enfin tout ce qu’il y a d’admirable dans la créature et dans la création se révèle à la fois et en un moment à son âme étonnée. À ce spectacle imposant, son esprit s’agrandit, son intelligence se développe, ses nobles instincts s’éveillent… Et c’est parce que son esprit s’est agrandi, parce que son intelligence s’est développée, parce que ses nobles instincts se sont éveillés… qu’ayant la conscience de la dégradation première, elle ressent pour sa vie passée une douloureuse et incurable horreur, et comprend, hélas! ainsi qu’elle le dit, qu’il est des souillures qui ne s’effacent jamais…

– Ô malheur à moi! disait la Goualeuse désespérée, ma vie tout entière, fût-elle aussi longue, aussi pure que la vôtre, mon père, sera désormais flétrie par la conscience et par le souvenir du passé… Malheur à moi!

– Bonheur pour vous, au contraire, Marie, bonheur pour vous, à qui le Seigneur envoie ces remords pleins d’amertume, mais salutaires! Ils prouvent la religieuse susceptibilité de votre âme! Tant d’autres, moins noblement bien douées que vous, eussent, à votre place, vite oublié le passé pour ne songer qu’à jouir de la félicité présente! Une âme délicate comme la vôtre rencontre des souffrances là où le vulgaire ne ressent aucune douleur! Mais chacune de ces souffrances vous sera comptée là-haut. Croyez-moi, Dieu ne vous a laissé un moment dans la voie mauvaise que pour vous réserver la gloire du repentir et la récompense éternelle due à l’expiation! Ne l’a-t-il pas dit lui-même: «Ceux-là qui font le bien sans combat, et qui viennent à moi le sourire aux lèvres, ceux-là sont mes élus; mais ceux-là qui, blessés dans la lutte, viennent à moi saignants et meurtris, ceux-là sont les élus d’entre mes élus!…» Courage donc, mon enfant!… soutien, appui, conseils, rien ne vous manquera… Je suis bien vieux, mais Mme Georges, mais M. Rodolphe ont encore de longues années à vivre… M. Rodolphe, surtout… qui vous témoigne tant d’intérêt… qui suit vos progrès avec une sollicitude si éclairée… Dites, Marie, dites, pourriez-vous jamais regretter de l’avoir rencontré?

La Goualeuse allait répondre lorsqu’elle fut interrompue par la paysanne dont nous avons parlé, qui, suivant la même route que la jeune fille et l’abbé, venait de les rejoindre. C’était une des servantes de la ferme.

– Pardon, excuse, monsieur le curé, dit-elle au prêtre, mais Mme Georges m’a dit d’apporter ce panier de fruits au presbytère, et qu’en même temps je ramènerais Mlle Marie, car il se fait tard; mais j’ai pris Turc avec moi, dit la fille de ferme en caressant un énorme chien des Pyrénées, qui eût défié un ours au combat. Quoiqu’il n’y ait jamais de mauvaise rencontre dans le pays, c’est toujours plus prudent.

– Vous avez raison, Claudine; nous voici d’ailleurs arrivés au presbytère; vous remercierez Mme Georges pour moi.

Puis, s’adressant tout bas à la Goualeuse, le curé lui dit d’un ton grave:

– Il faut que je me rende demain à la conférence du diocèse; mais je serai de retour sur les cinq heures. Si vous le voulez, mon enfant, je vous attendrai au presbytère. Je vois, à l’état de votre esprit, que vous avez besoin de vous entretenir longuement encore avec moi.

– Je vous remercie, mon père, répondit Fleur-de-Marie; demain je viendrai, puisque vous voulez bien me le permettre.

– Mais nous voici arrivés à la porte du jardin, dit le prêtre; laissez ce panier là, Claudine, ma gouvernante le prendra. Retournez vite à la ferme avec Marie; car la nuit est presque venue et le froid augmente. À demain, Marie, à cinq heures!

– À demain, mon père.

L’abbé rentra dans son jardin.

La Goualeuse et Claudine, suivies de Turc, reprirent le chemin de la métairie.

III La rencontre

La nuit était venue, claire et froide.

Suivant les avis du Maître d’école, la Chouette avait gagné avec ce brigand un endroit du chemin creux plus éloigné du sentier et plus rapproché du carrefour où Barbillon attendait avec le fiacre.

Tortillard, posté en vedette, guettait le retour de Fleur-de-Marie, qu’il devait attirer dans ce guet-apens en la suppliant de venir à son aide pour secourir une pauvre vieille femme.

Le fils de Bras-Rouge avait fait quelques pas en dehors du ravin pour aller à la découverte, lorsque, prêtant l’oreille, il entendit au loin la Goualeuse parler à la paysanne qui l’accompagnait.

La Goualeuse n’étant plus seule, tout était manqué. Tortillard se hâta de redescendre dans le ravin et de courir avertir la Chouette.

– Il y a quelqu’un avec la jeune fille, dit-il d’une voix basse et essoufflée.

– Que le béquilleur lui fauche le colas , à cette petite gueuse! s’écria la Chouette en fureur.

– Avec qui est-elle? demanda le Maître d’école.

– Sans doute avec la paysanne qui tout à l’heure a passé dans le sentier, suivie d’un gros chien. J’ai reconnu la voix d’une femme, dit Tortillard; tenez… entendez-vous… entendez-vous le bruit de leurs sabots?…

En effet, dans le silence de la nuit, les semelles de bois résonnaient au loin sur la terre durcie par la gelée.

– Elles sont deux… Je peux me charger de la petite à la mante grise; mais l’autre! Comment faire? Fourline n’y voit pas… et Tortillard est trop faible pour amortir cette camarade que le diable étrangle! Comment faire? répéta la Chouette.

– Je ne suis pas fort; mais si vous voulez, je me jetterai aux jambes de la paysanne qui a un chien, je m’y accrocherai des mains et des dents: je ne lâcherai pas, allez!… Pendant ce temps-là vous entraînerez bien la petite… vous, la Chouette.

– Et si elles crient, si elles regimbent, on les entendra de la ferme, reprit la borgnesse, et on aura le temps de venir à leur secours avant que nous ayons rejoint le fiacre de Barbillon… C’est pas déjà si commode à emporter une femme qui se débat!

– Et elles ont un gros chien avec elles! dit Tortillard.

– Bah! bah! si ce n’était que ça, d’un coup de soulier je lui casserai la gargoine, à leur chien, dit la Chouette.

– Elles approchent, reprit Tortillard en prêtant de nouveau l’oreille au bruit de pas lointains, elles vont descendre dans le ravin.

– Mais parle donc, Fourline, dit la Chouette au Maître d’école; qu’est-ce que tu conseilles, gros têtard?… Est-ce que tu deviens muet?

– Il n’y a rien à faire aujourd’hui, répondit le brigand.

– Et les mille francs du monsieur en deuil, s’écria la Chouette, ils seront donc flambés? Plus souvent!… Ton couteau! ton couteau, Fourline! Je tuerai la camarade pour qu’elle ne nous gêne pas; quant à la petite, nous deux, Tortillard et moi, nous viendrons bien à bout de la bâillonner.

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