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"Moi Julien, Souverain Pontife, César, Auguste, serviteur du Soleil-Roi et de tous les Dieux, exterminateur des Francs et des autres Barbares, libérateur de la Gaule et de l'Italie…" lorsque tout à coup il s'arrêta et me poussa le coude. Je le regardai: il regardait devant lui à l'entrée de la tente en mettant sa main devant la lampe qui parut l'éblouir.

Ne vois-tu rien? me dit-il.

– Non, dis-je, je ne vois rien.

– Tais-toi, dit-il en continuant de regarder, et écoute."

Je n'entendis rien, mais lui, il entendait, car il se leva et salua profondément vers l'entrée de la tente qui s'agita un peu. Il dit comme répondant à quelqu'un:

"Eh bien! soit!»

Ensuite il s'assit avec calme et me dit:

"Tu n'as rien entendu?

– Rien absolument, dis-je.

– Eh bien! donc, c'est qu'il n'y avait rien apparemment. Continuons d'écrire", et il reprit son stylet. – Je le regardai et je trouvai qu'il était plus pâle, mais ses yeux hardis me commandèrent de baisser les miens, et je poursuivis.

Lorsque nous eûmes achevé, il se recoucha par terre, sur sa peau de lion, et dormit profondément. Au jour il fit venir les Aruspices qui déclarèrent qu'on ne devait pas combattre, mais il n'en tint compte. Au lever du soleil, il sacrifia sur une colline, l'armée étant rangée alentour dans l'ordre de bataille qu'il avait tracé. Il alluma le feu de l'autel pour signal du combat et monta à cheval à l'instant. J'étais près de lui. Il était un peu souffrant d'une blessure reçue quelques jours avant.

La chaleur était ardente. Il avait jeté sa cuirasse et ne portait qu'un bouclier très léger. Nous marchions par colonnes et les cohortes séparées par les Triaires, les archers protégeant les flancs des Légions. Les Barbares ne tinrent nulle part de pied ferme, mais ils ne cessaient de nous suivre en troupes innombrables de cavaliers, tirant sur nous et nous tuant beaucoup d'hommes sans que l'on pût leur répondre. Un de leurs corps d'infanterie voulut résister et Julien en eut une grande joie; nous courûmes au pied de la montagne nommée, je ne sais pourquoi, Phrygie, où le combat se livrait. L'Empereur mit pied à terre avec moi et se tint derrière les premiers rangs des hoplites. Un corps de Gaulois les soutenait. Tandis que l'on échangeait des flèches et des traits d'arbalètes, les soldats chantaient l'air du Soleil-Roi et de César socratique. Plusieurs hommes tombèrent autour de nous. Julien me prit le bras et me conduisit près d'eux. Il tendit la main à un centurion qui était tombé à genoux. Ce vieux vétéran évocat lui baisa la main en criant:»Auguste, prends garde à toi. Fuis!» et, tombant en arrière, mourut.»Il n'adore pas", dit Julien. – Alors il s'avança vers un jeune Grec qui, selon l'usage des Lacédémoniens, avait bouclé et parfumé ses cheveux pour le jour du combat. Nous avions remarqué l'adresse avec laquelle il tirait sur les ennemis. Les archers ses compagnons riaient en se battant et en mourant, avec leur ostentation accoutumée. Celui-ci, à demi nu, avait reçu une flèche dans la poitrine. Il s'était couché sur son bouclier, et souriait dédaigneusement à l'ennemi.»Adore Mercure Trismégiste", dit Julien en s'approchant de lui. Il se tourna de l'autre côté et, riant avec éclat, mordit le sable et mourut. Julien se pencha à l'oreille d'un des Barbares auxiliaires Alamans et lui parla dans sa langue. Cet homme qui était renversé lui baisa les pieds, puis, lorsque l'Empereur se fut détourné, il prit du sable et s'en servit pour tracer un signe de croix sur son front. Julien le vit, et me regarda pour deviner ce que je pensais. Je baissai la tête et il continua à donner des ordres. Je ne pus l'empêcher de s'enfoncer dans les rangs des auxiliaires, et lorsque nous observâmes ceux qui étaient frappés de mort, nous les vîmes tous se tracer sur la poitrine le X ou la croix des Galiléens. Quelques-uns criaient:»Jove!» mais bientôt après revenaient à leur signe. Tout d'un coup Julien monta à cheval, je le suivis. Il avait la tête nue et ne tenait à la main que son bouclier. De grands cris retentissaient à l'arrière-garde, il y courut avec moi. La cavalerie des Perses faisait une brèche dans l'aile gauche, et dix éléphants soutenaient cette attaque désespérée. Julien se jeta sur l'ennemi comme s'il eût été invulnérable. Les soldats lui criaient inutilement de se retirer. Il reçut en ce moment un javelot dans le côté. Il voulut arracher le fer, mais il se coupa les doigts et tomba de cheval. Je le reçus dans mes bras. Il se tint debout, ramena son manteau sur lui de sorte que personne ne pût voir sa blessure. Il me dit de le conduire hors de la mêlée, près du Tigre, à quelques pas; ce que je fis.»Jette-moi dans le fleuve, me dit-il, ceux qui croient encore aux Dieux soutiendront le courage de ma pauvre armée en me disant enlevé au ciel comme Quirinus. Les Chrétiens diront: comme Elie." Je lui serrai la main, et je le pris sur les bras pour le précipiter dans le fleuve. En ce moment toute son escorte arriva. On crut que je ne voulais que le soutenir et on l'emporta sous sa tente. L'armée s'arrêta. L'ennemi était dispersé. Tout retentit de cris et de gémissements. Julien se fit étendre sur sa peau de lion et, resté seul avec moi, il découvrit sa blessure. Je vis que le javelot était entré profondément dans le foie. Alors il me dit adieu en m'embrassant, et demeura en silence, penché sur mon front, pendant un instant. Puis il reçut son sang dans sa main et le jetant vers l'Orient:»Voici, dit-il, ma seconde libation, et je le dis encore: Tu l'emportes, Galiléen!» Après un instant de silence:»Tu porteras mon coeur à Daphné, et tu diras à Libanius qu'il ne s'est pas trompé. Maintenant ouvre ma tente." Alors entrèrent les médecins. Julien leur dit que leurs soins étaient inutiles. Il parla de l'immortalité de l'âme avec Priscus, Maxime et moi et, après avoir discouru comme Socrate, il a arraché le javelot, et est mort comme Epaminondas."

Libanius, après avoir achevé cette lettre qu'il me donna, demeura ainsi que nous tous plongé dans un silence profond. Il fut contraint de s'asseoir parce que ses genoux tremblaient. Comme ses yeux étaient fermés et répandaient quelques larmes, je craignis pour lui et m'avançai pour le soutenir, mais il me fit signe de m'éloigner.

"Voici la réponse de Julien, dit-il; il a senti que mes yeux, tout vieux qu'ils soient, avaient vu la lumière véritable. Il ne lui était plus possible de se laisser entraîner sans honte par ce torrent chrétien qu'il avait fait reculer, il s'est retranché lui-même comme on détruit une digue dont l'usage est reconnu pernicieux après une épreuve. Je vivrai pour défendre sa mémoire; et je mourrai dans le culte extérieur des Dieux, qui est vieux comme moi et qui donne encore des Pénates à la moitié du monde. Pour vous, Jean et Basile, soyez chrétiens."

Jean Chrysostome s'inclina et dit:

"O maître, je serai chrétien.

– Je le suis déjà, dit Basile en rougissant légèrement."

En même temps chacun d'eux baisa l'une des mains tremblantes de Libanius et, comme je sentais que je ne devais plus être témoin de leur douleur et que je ne pouvais parler comme eux de ces idolâtries desquelles Moïse nous a préservés, je les laissai et me retirai timidement derrière les colonnes du vestibule, ne pouvant m'empêcher de regarder comme plus grands que des hommes ces glorieux amis, dociles comme des enfants à la voix de leur éloquent et paternel instituteur, et forts comme des géants contre les cris des hommes vulgaires.

Je marchais depuis quelque temps sous les cyprès lorsque tout d'un coup j'entendis des chants lointains que je reconnus pour ceux des Chrétiens. C'étaient des voix d'enfants qui s'élevaient en choeur, et puis de longs silences, puis, après, de fortes voix d'hommes basses et sombres comme devaient être les voix des cadavres ranimés dont Ezéchiel entendit les secrets entretiens. De longs silences encore me permirent de distinguer sur le sable les pas d'une grande foule. Puis les voix des enfants reprirent encore un chant mystérieux, triste, caressant comme celui d'une mère qui charme le berceau d'un fils mourant avec une chanson interrompue par des soupirs, des larmes et des sanglots. Je m'approchai par une allée détournée et je vis une longue suite de moines qui marchaient rangés sur deux files, au milieu d'eux des enfants, puis les vierges, puis les femmes et après elles les hommes, la tête nue et les yeux baissés. En avant de cette longue procession, quatre hommes portaient le corps de Babylas le martyr, qu'ils rapportaient à son tombeau.

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