Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Mon système est le bon", dis-je en souriant.

Il continua:

"Ah! monseigneur, Dieu est certainement dans l'hostie… Je ne croyais pas qu'une idée pût devenir dans la tête comme un fer rouge… Dieu est certainement dans l'hostie; et si vous me la donnez, monseigneur, l'hostie chassera l'idée, et Dieu chassera les philosophes…

– Vous voyez qu'il pense très bien, me dit tout bas le bon archevêque. Laissons-le dire pour voir."

Le pauvre garçon continua:

"Si quelque chose peut chasser le raisonnement, c'est la foi, la foi du charbonnier; si quelque chose peut donner la foi, c'est l'hostie. Oh! donnez-moi l'hostie, si l'hostie a donné la foi à Pascal. Je serai guéri si vous me la donnez, monseigneur, tandis que j'ai les yeux fermés; hâtez-vous, donnez-moi l'hostie.

– Savez-vous votre Confiteor?» dit l'archevêque.

Il n'entendit pas et poursuivit.

"Oh! qui m'expliquera la SOUMISSION DE LA RAISON? ajouta-t-il avec une voix de tonnerre lorsqu'il prononça les derniers mots… Saint Augustin a dit:»La Raison ne se soumettrait jamais si elle ne jugeait qu'elle doit se soumettre. Il est donc juste qu'elle se soumette quand elle juge qu'elle le doit." Et moi, Nicolas-Joseph-Laurent, né à Fontenoy-le-Château, de parents pauvres, j'ajoute que, si elle se soumet à son propre jugement; c'est à elle-même qu'elle se soumet, et que, si elle ne se soumet qu'à elle-même, elle ne se soumet donc pas et continue d'être reine… Cercle vicieux. Sophisme de saint! Raison d'école à rendre le diable fou! Ah! d'Alembert, joli pédant, que tu me tourmentes!»

Il ajouta ceci en se grattant l'épaule. Je crois que cela vint de ce que j'avais laissé un de ses yeux libre. Je le refermai de la main gauche.

"Hélas! dit-il, monseigneur, faites que je m'écrie comme Pascal:

Joye!

Certitude, joye, certitude, sentiment, vue;

Joye, joye, joye et pleurs de joye!

Dieu de Jésus-Christ… oubli de tout, hormis Dieu.

Il avait vu le Dieu de Jésus-Christ ce jour-là, depuis dix heures et demie du soir jusqu'à minuit et demi, le lundi 25 novembre 1654; et en conséquence, il était tranquille et sûr de son affaire. Il était bien heureux, celui-là… – Aïe! aïe! aïe! voici La Harpe qui me tire les pieds… – Que me veux-tu? On a jeté La Harpe dans le trou du souffleur avec les Barmécides. – Tu es mort."

En ce moment j'ôtai ma main, et il ouvrit les yeux.

"Un rat! cria-t-il… Un lapin!… Je jure sur l'Evangile que c'est un lapin… C'est Voltaire! C'est Vol-à-terre!… Oh! le joli jeu de mots! n'est-ce pas? Hein! mon cher seigneur… il est gentil, mon jeu de mots?… Il n'y a pas un libraire qui veuille me le payer un sou… Je n'ai pas dîné hier, ni la veille… mais je m'en moque parce que je n'ai jamais faim… Mon père est à sa charrue, et je ne voudrais pas lui prendre la main, parce qu'elle est enflée et dure comme du bois. D'ailleurs, il ne sait pas parler français, ce gros paysan en blouse! Cela fait rougir quand il passe quelqu'un. Où voulez-vous que j'aille lui faire boire du vin? Entrerai-je au cabaret, moi, s'il vous plaît? et que dira M. de Buffon avec ses manchettes et son jabot?… Un chat… C'est un chat que vous avez sous votre soulier, l'abbé…"

M. de Beaumont n'avait pu s'empêcher, malgré son extrême bonté, de sourire quelquefois, les larmes aux yeux. Ici il recula en faisant rouler son fauteuil en arrière, et fut un peu effrayé.

Je pris la tête du jeune homme, je la secouai doucement dans mes mains, comme on roule le sac du jeu de loto, et je laissai mes doigts sur ses paupières baissées. Les numéros sortants furent tous changés. Il soupira profondément, et dit, d'un ton aussi calme qu'il s'était montré emporté jusque-là:

"Trois fois malheur à l'insensé qui veut dire ce qu'il pense avant d'avoir assuré le pain de toute sa vie!

… Hypocrisie, tu es la raison même! tu fais que l'on ne blesse personne, et le pauvre a besoin de tout le monde… Dissimulation sainte! tu es la suprême loi sociale de celui qui est né sans héritage… Tout homme qui possède un champ ou un sac est son maître, son seigneur et son protecteur. Pourquoi le sentiment du bien et du juste s'est-il établi dans mon coeur? Mon coeur s'est gonflé sans mesure; des torrents de haine en ont coulé, et se sont fait jour comme une lave. Les méchants ont eu peur; ils ont crié, ils se sont tous levés contre moi. Comment voulez-vous que je résiste à tous, moi seul, moi qui ne suis rien, moi qui n'ai rien au monde qu'une pauvre plume, et qui manque d'encre quelquefois?»

Le bon archevêque n'y tint plus. Il y avait un quart d'heure qu'il tremblait et étendait les bras vers celui qu'il nommait déjà son enfant; il se leva pesamment de son fauteuil et vint pour l'embrasser. Moi, qui tenais mes doigts sur ses yeux avec une constance inébranlable, je fus pourtant forcé de les ôter, parce que je sentais quelque chose qui les repoussait, comme si les paupières se fussent gonflées. A l'instant où je cessai de les presser, des pleurs abondants se firent jour entre mes doigts et inondèrent ses joues pâles. Des sanglots faisaient bondir son coeur, les veines du cou étaient grosses et bleues, et il sortait de sa poitrine de petites plaintes comme celles d'un enfant dans les bras de sa mère.

"Peste! monseigneur, laissez-le, dis-je à M. de Beaumont: cela va mal. Le voilà qui rougit bien vite, et puis il est tout blanc, et le pouls s'en va… Il est évanoui… Bien! le voilà sans connaissance… Bonsoir…"

Le bon prélat se désolait et me gênait beaucoup en voulant toujours m'aider. J'employai tous mes petits moyens pour faire revenir le malade; et cela commençait à réussir, lorsqu'on vint pour me dire qu'une chaise de poste de Versailles m'attendait de la part du Roi. J'écrivis ce qui restait à faire, et je sortis.

"Parbleu! dis-je, je parlerai de ce jeune homme-là.

– Vous nous rendrez bien heureux, mon cher Docteur, car notre caisse d'aumônes est toute vide.

– Partez vite, dit M. de Beaumont, je garde ici mon pauvre enfant trouvé."

– Et je vis qu'il lui donnait sa bénédiction en tremblotant et en pleurant.

– Je me jetai dans la chaise de poste.

IX. Suite de l'histoire de la puce enragée

Lorsque je partis pour Versailles, la nuit était close. J'allais ce qu'on appelle le train du Roi, c'est-à-dire le postillon au galop et le cheval de brancard au grand trot. En deux heures je fus à Trianon. Les avenues étaient éclairées, et une foule de voitures s'y croisaient. Je crus que je trouverais toute la Cour dans les petits appartements; mais c'étaient des gens qui étaient allés s'y casser le nez et s'en revenaient à Paris. Il n'y avait foule qu'en plein air, et je ne trouvai dans la chambre du Roi que mademoiselle de Coulanges.

"Eh! le voilà donc enfin!» dit-elle en me donnant sa main à baiser. Le Roi, qui était le meilleur homme du monde, se promenait dans la chambre en prenant le café dans une petite tasse de porcelaine bleue.

Il se mit à rire de bon coeur en me voyant.

"Jésus-Dieu! Docteur, me dit-il, nous n'avons plus besoin de vous. L'alarme a été chaude, mais le danger est passé. Madame que voici en a été quitte pour la peur. – Vous savez notre petite manie, ajouta-t-il en s'appuyant sur mon épaule et me parlant à l'oreille tout haut, nous avons peur de la rage, nous la voyons partout! Ah! parbleu! il ferait bon voir un chien dans la maison! Je ne sais s'il me sera permis de chasser dorénavant.

– Enfin, dis-je en m'approchant du feu qu'il y avait malgré l'été (bonne coutume à la campagne, soit dit entre parenthèses), enfin, dis-je, à quoi puis-je être bon au Roi?

– Madame prétend, dit-il en se balançant d'un talon rouge sur l'autre, qu'il y a des animaux, ma foi, pas plus gros que ça, et il donnait une chiquenaude à un grain de tabac attaché aux dentelles de ses manchettes, qu'il y a des animaux qui… Allons, madame, dites-le vous-même."

5
{"b":"125162","o":1}