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Ce fut, cette fois, avec une sombre résolution d'entendre, toute semblable aux forces que rassemble un homme qui va se poignarder, que Stello s'écria:

"Parlez, monsieur."

Et le Docteur Noir parla ainsi qu'il suit, dans le silence d'une nuit froide et sinistre:

XX. Une histoire de la Terreur

Quatre-vingt-quatorze sonnait à l'horloge du dix-huitième siècle, Quatre-vingt-quatorze, dont chaque minute fut sanglante et enflammée. L'an de Terreur frappait horriblement et lentement au gré de la terre et du ciel, qui l'écoutaient en silence. On aurait dit qu'une puissance, insaisissable comme un fantôme, passait et repassait parmi les hommes, tant leurs visages étaient pâles, leurs yeux égarés, leurs têtes ramassées entre leurs épaules reployées, comme pour les cacher et les défendre. – Cependant un caractère de grandeur et de gravité sombre était empreint sur tous ces fronts menacés et jusque sur la face des enfants; c'était comme ce masque sublime que nous met la mort. Alors les hommes s'écartaient les uns des autres ou s'abordaient brusquement comme des combattants. Leur salut ressemblait à une attaque, leur bonjour à une injure, leur sourire à une convulsion, leur habillement aux haillons d'un mendiant, leur coiffure à une guenille trempée dans le sang, leurs réunions à des émeutes, leurs familles à des repaires d'animaux mauvais et défiants, leur éloquence aux cris des halles, leurs amours aux orgies bohémiennes, leurs cérémonies publiques à de vieilles tragédies romaines manquées sur des tréteaux de province; leurs guerres à des migrations de peuples sauvages et misérables, les noms du temps à des parodies poissardes.

Mais tout cela était grand, parce que, dans la cohue républicaine, si tout homme jouait au pouvoir, tout homme du moins jetait sa tête au jeu.

Pour cela seul, je vous parlerai des hommes de ce temps-là plus gravement que je n'ai fait des autres. Si mon premier langage était scintillant et musqué comme l'épée de bal et la poudre, si le second était pédantesque et prolongé comme la perruque et la queue d'un alderman, je sens que ma parole doit être ici forte et brève comme le coup d'une hache qui sort fumante d'une tête tranchée.

Au temps dont je veux parler, la Démocratie régnait. Les Décemvirs, dont le premier fut Robespierre, allaient achever leur règne de trois mois. Ils avaient fauché autour d'eux toutes les idées contraires à celle de la Terreur. Sur l'échafaud des Girondins ils avaient abattu les idées d'amour pur de la liberté; sur celui des Hébertistes, les idées du culte de la raison unies à l'obscénité montagnarde et républicaniste; sur l'échafaud de Danton ils avaient tranché la dernière pensée de modération; restait donc LA TERREUR. Elle donna son nom à l'époque.

Le Comité de salut public marchait librement sur sa grande route, l'élargissant avec la guillotine. Robespierre et Saint-Just menaient la machine roulante: l'un la traînait en jouant le grand prêtre, l'autre la poussait en jouant le prophète apocalyptique.

Comme la Mort, fille de Satan, l'épouvante lui-même, la Terreur, leur fille, s'était retournée contre eux et les pressait de son aiguillon. Oui, c'étaient leurs effrois de chaque nuit qui faisaient leurs horreurs de chaque jour.

Tout à l'heure, monsieur, je vous prendrai par la main et je vous ferai descendre avec moi dans les ténèbres de leur coeur; je tiendrai devant vos yeux le flambeau dont les yeux faibles détestent la lumière, l'inexorable flambeau de Machiavel, et dans ces coeurs troublés vous verrez clairement et distinctement naître et mourir des sentiments immondes, nés, à mon sens, de leur situation dans les événements et de la faiblesse de leur organisation incomplète, plus que d'une aveugle perversité dont leurs noms porteront toujours la honte et resteront les synonymes.

Ici Stello regarda le Docteur Noir avec l'expression d'une grande surprise. L'autre continua:

C'est une doctrine qui m'est particulière, monsieur, qu'il n'y a ni héros ni monstre. – Les enfants seuls doivent se servir de ces mots-là. – Vous êtes surpris de me voir ici de votre avis, c'est que j'y suis arrivé par le raisonnement lucide, comme vous par le sentiment aveugle. Cette différence seule est entre nous, que votre coeur vous inspire, pour ceux que les hommes qualifient de monstres, une profonde pitié, et ma tête me donne pour eux un profond mépris. C'est un mépris glacial, pareil à celui du passant qui écrase la limace. Car, s'il n'y a de monstres qu'aux cabinets anatomiques, toujours y a-t-il de si misérables créatures, tellement livrées, et si brutalement, à des instincts obscurs et bas, tellement poussées, sous le vent de leur sottise, par le vent de la sottise d'autrui, tellement enivrées, étourdies et abruties du sentiment faux de leur propre valeur et de leurs droits établis on ne sait sur quoi, que je ne me sens ni rire ni larmes pour eux, mais seulement le dégoût qu'inspire le spectacle d'une nature manquée.

Les Terroristes sont de ces gens qui souvent m'ont fait ainsi détourner la vue; mais aujourd'hui je l'y ramène pour vous, cette vue attentive et patiente que rien ne détournera de leurs cadavres jusqu'à ce que nous y ayons tout observé, jusqu'aux os du squelette.

Il n'y a pas d'année qui ait fait autant de théories sur ces hommes que n'en fait cette année 1832 en un seul de ses jours, parce qu'il n'y a pas d'époque où plus grand nombre de gens ait nourri plus d'espérances et amassé plus de probabilités de leur ressembler et de les imiter.

C'est en effet une chose toute commode aux médiocrités qu'un temps de révolution. Alors que le beuglement de la voix étouffe l'expression pure de la pensée, que la hauteur de la taille est plus prisée que la grandeur du caractère, que la harangue sur la borne fait taire l'éloquence à la tribune, que l'injure des feuilles publiques voile momentanément la sagesse durable des livres; quand un scandale de la rue fait une petite gloire et un petit nom; quand les ambitieux centenaires feignent, pour les piper, d'écouter les écoliers imberbes qui les endoctrinent; quand l'enfant se guinde sur le bout du pied pour prêcher les hommes; quand les grands noms sont secoués pêle-mêle dans des sacs de boue, et tirés à la loterie populaire par la main des pamphlétaires; quand les vieilles hontes de famille redeviennent des espèces d'honneurs, hérédité chère à bien des Capacités connues; quand les taches de sang font auréole au front, sur ma foi, c'est un bon temps!

A quelle médiocrité, s'il vous plaît, serait-il défendu de prendre un grain luisant de cette grappe du Pouvoir politique, fruit réputé si plein de richesse et de gloire? Quelle petite coterie ne peut devenir club? quel club, assemblée? quelle assemblée, comices? quels comices, sénat? et quel sénat ne peut régner? Et ont-ils pu régner sans qu'un homme y régnât? Et qu'a-t-il fallu? – Oser! – Ah! le beau mot que voilà! Quoi! c'est là tout? – Oui, tout! Ceux qui l'ont fait l'ont dit. – Courage donc, vides cerveaux, criez et courez! – Ainsi font-ils.

Mais l'habitude des synthèses a été prise dès longtemps par eux sur les bancs; on en a pour tout, on les attelle à tout: le sonnet a la sienne. Quand on veut user des morts, on peut bien leur prêter son système; chacun s'en fait un, bon ou mauvais; selle à tous chevaux, il faut qu'elle aille. Monterez-vous le Comité de salut public? Qu'il endosse la selle!

On a cru les membres de ce Comité farouche dévoués profondément aux intérêts du peuple et tout sacrifiant aux progrès de l'humanité, tout, jusqu'à leur sensibilité naturelle, tout, jusqu'à l'avenir de leur nom, qu'ils vouaient sciemment à l'exécration. – Système de l'année, à son usage.

Il est vrai qu'on les a presque dits aussi hydrophobes. – On les a peints comme décidés à raser de la surface de la terre toutes les têtes dont les yeux avaient vu la monarchie, et gouvernant tout exprès pour se donner la joie d'égorger. – Système de trembleurs surannés.

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