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Deux familles viennent se réfugier à Daphné. Ces deux familles demandent à Antioche asile et protection. Et voici un homme, le père et le chef de la première famille, un Publius Claudius, un Patricien, citoyen romain de l'ancienne race des Claudiens qui avait trois branches Patriciennes et une Plébéienne, lui qui était beau-frère du dernier comte d'Orient sous Constantin, le voici, parce que sa fortune est réduite à une petite terre en Syrie, qui donne sa terre, sa personne, ses enfants, sa postérité, ses serviteurs et les fils et filles de ses serviteurs, à titre de sujets, redevables envers leur maître, à perpétuité, d'un dixième de leur bien ou du produit de leurs travaux; et ce maître, ce possesseur souverain, est l'affranchi Théodore de Batné, autrefois joueur de la flûte double, qui a des propriétés d'une immense étendue et qui les a toujours défendues contre les Barbares, à l'aide de la faveur des Empereurs, de ses richesses, de ses esclaves armés et des remparts dont il a entouré ses terres et ses châteaux. Or ce Publius Claudius est Chrétien et se donne ainsi corps et biens à un Hellénien qu'il nomme Païen ou Paysan quand il en parle; et ce Théodore de Batné, par souvenir de son ancien état, ne cesse d'affranchir ses esclaves Chrétiens et autres, et n'exige d'eux qu'un travail assez modéré qu'il leur paie par journées. Quelquefois il leur donne des terres qu'ils cultivent et, l'un d'eux s'étant fait Chrétien, favorisé par le duc d'Egypte et par Athanase, ce factieux Patriarche, banni d'Alexandrie, s'est trouvé assez riche pour vendre sa protection à une autre famille Hellénienne qui est là aussi, près de mon foyer. Voici dans ma main les deux traités de ces familles suppliantes avec les familles souveraines qui au nom de leur richesse et de leur force vont les recevoir esclaves, mais esclaves d'une nouvelle sorte: c'est un esclavage volontaire pareil à celui de l'enfant sur le bras de la femme, de la femme sur le bras de l'homme. Et tout cela n'est consacré par aucune loi des Dieux ni des hommes, et cependant tout cela était nécessaire et doit vivre à travers tout, et cet ordre inconnu prend naissance au milieu des désordres. Et cette vue trouble jusqu'au fond de l'âme Jean et Basile qui m'écoutent, et la confusion qui bourdonne et tourbillonne autour d'eux les rend incertains de ce qu'ils doivent faire pour la défense du Bien et du Juste qu'ils ne distinguent plus. Ce que je dis n'est-il pas vrai? ajouta-t-il en souriant avec une douce malice. Pour moi, je crois bien faire et suivre les volontés immuables du Dieu Créateur en ouvrant toujours au plus faible le bras du plus fort, et je me suis chargé de faire recevoir dès demain à Antioche ces deux familles suppliantes chez leurs maîtres et protecteurs futurs. C'était la vue de choses pareilles qui d'abord avait, comme vous, jeté Julien dans un grand effroi, mais il y avait encore d'autres choses que vous ignorez.

Enfants, dit-il en parlant aux esclaves adolescents, s'il vient de nouveaux étrangers, conduisez-les avec respect, quels qu'ils soient, et j'irai leur parler et leur donner le salut du soir."

Les jeunes garçons nous servirent en revenant des colocases d'Egypte dans des ciboires d'argent, et des langoustes et d'autres poissons de mer dans des bassins.

On nous versait des vins de Chio, de Myndie et d'Halicarnasse au moindre signe, mais sans insistance, et Libanius ni aucun de nous ne prononça le nom d'aucun mets ni pour offrir ni pour accepter, tant que le souper dura.

Nous entendions les étrangers parler à demi-voix, et j'en voyais passer quelques-uns qui se promenaient dans le péristyle en se donnant le bras, et s'entretenaient avec gravité et aussi avec mystère. Ils venaient jusqu'à la porte de la salle que nous occupions, sans qu'on y prêtât la moindre attention et, soit que les tapis fussent levés ou abaissés, ils ne jetaient aucun regard sur nous, au-delà du seuil, et se tenaient entre eux avec le respect toujours en usage.

"L'heure s'avance, dit le bon Libanius, en regardant la clepsydre qui versait goutte à goutte les instants de cette nuit inquiète. Basile, dis à Jean et à nous la première entrevue de Julien avec les nôtres. Je te ferai voir la source de l'erreur. Te souviens-tu bien de Julien et crois-tu qu'il soit content de lui, toi le moins jeune; toi Basile de Césarée, toi stoïcien sévère? Tu le vis, je crois, avant nous tous, lorsque j'envoyai Paul de Larisse à Macella? Il est temps, il est temps de faire attention à lui et de lui écrire ou de l'aller trouver, car plus je songe à lui, plus il me semble qu'il ne comprend plus sa vie et ses chemins.

– J'y pensais", répondit gravement Basile, et il se tut, ainsi que nous, se recueillant pendant quelques moments. Lorsqu'il répondit, ce fut en ces termes:

Ce que dit Basile de Césarée

"Il y avait bien un mois que Paul de Larisse et moi cherchions à pénétrer au château de Macella pour saisir une occasion de parler à l'un des deux Princes, mais jamais ils ne sortaient sans escorte et l'on n'ouvrait les tours de la forteresse à personne. Nous allions quitter la Cappadoce et revenir à Daphné vous rendre compte de nos essais inutiles, lorsqu'un jour, en marchant dans les rues de Nicomédie, nous vîmes des chrétiens entrer dans leur église et nous les suivîmes pour les observer. On nous dit que pour la première fois les deux neveux de Constantin l'Apostat allaient remplir leur office de lecteurs. Paul frémissait et s'arrêta, sur le seuil, s'appuyant aux premières colonnes et n'osait offenser les Dieux en mettant le pied dans le temple du Nazaréen."

Ici Basile de Césarée se tourna vers moi:

"Paul de Larisse, dit-il, avait à peine dix-sept ans. C'était un des esclaves de Libanius, acheté à l'âge de deux ans dans la ville de Larisse en Thessalie à des Hébreux vos frères. Libanius l'a élevé parmi nous, il a attaché à son front les ailes de Platon, et vraiment il a pris aussi son vol. Il a écrit avec une grande sagesse dès l'âge de quinze ans, son éloquence est plus forte souvent que celle d'Iamblique et de Maxime lui-même. Il a lutté avec Athanase, et ses actions et ses propos ont plus de beauté et de perfection encore que ses écrits. Il n'a jamais voulu être affranchi, et tu vas savoir comment nous avons cessé de le voir et d'entendre parler de lui.

Comme il me retenait à l'entrée du temple, je lui dis:

Crains-tu d'offenser Théia, la mère du Soleil, en te mettant à l'ombre?

– Non, me dit-il, mais je crains de voir crouler ce temple sur ces impies. Regarde-les!»

"Il y avait à l'entrée de l'Eglise des jeunes filles vêtues à demi, le visage découvert, les bras nus, et soutenues par des esclaves; elles s'avançaient comme à l'amphithéâtre, tenant leurs miroirs à la main, parfumées et ornées de pierreries sur leurs sandales et les doigts des pieds. Chacune d'elles attendait son amant qui devait sortir de l'église, et d'instant en instant il venait un jeune homme la prendre en souriant et l'introduire avec orgueil. Il la précédait, la nommant sa soeur adoptive, selon l'usage hypocrite introduit nouvellement et qui vous a tant indigné, Jean. Chaque frère pressait sa soeur, lui parlait à haute voix, malgré les chants religieux qu'ils ne craignaient pas de troubler; puis la faisait asseoir entourée d'hommes, sur de petits lits de soie où les autres femmes venaient se coucher à demi, s'étudiant à ces poses voluptueuses que savent prendre les jeunes filles au théâtre. Paul s'étonnait qu'elles ne fussent pas chassées honteusement: c'est qu'il ne voyait pas qu'à Nicomédie comme à Antioche, à Constantinople, à Carthage, à Alexandrie, à Athènes, il faut bien que la religion nouvelle laisse prendre cette liberté effrontée pour se faire aimer de la jeunesse qui lui est utile et la défend.

Cependant une procession nombreuse d'hommes vêtus de robes noires et portant des croix blanches sur la poitrine nous annonça quelque chose de plus grave. Ils chantaient un cantique funèbre sur le chant des Euménides poursuivantes d'Eschyle, ce chant qui faisait mourir les mères de terreur. Un silence profond suivit leur entrée dans le temple et, prenant Paul par la main, je le forçai de les suivre et de se placer avec moi derrière une de ces colonnes torses de marbre vert que Constantin l'Apostat a multipliées à Nicomédie, lorsqu'il fit planter une croix sur l'ancien temple de Cérès-Dêo. Paul mit quelques grenades dans sa poitrine en expiation secrète à Cora et Dêo, les deux déesses dont il croyait offenser le nom mystique, et, le front enveloppé dans son manteau, il observa ainsi que moi ce qui se passait.

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