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Et se tournant vers Robespierre en souriant.

"Affaire bien légère, futile en vérité…"

Et à son père:

"… dont vous voulez parler. Mais je crois que vous auriez pu me la remettre entre les mains. Je suis député… moi… Je sais…

– Monsieur, je sais ce que vous êtes, dit M. de Chénier…

– Non, en vérité, dit Joseph en s'approchant, vous n'en savez rien, absolument rien. Il y a si longtemps, citoyens, qu'il n'a voulu me voir, mon pauvre père! Il ne sait pas seulement ce qui se passe dans la République. Je suis sûr que ce qu'il vient de vous dire, il n'en est pas même bien certain." Et il lui marcha sur le pied. Mais le vieillard se recula de lui.»C'est votre devoir, monsieur, que je veux remplir moi-même, puisque vous ne le faites pas.

– Oh! Dieu du ciel et de la terre! s'écria Marie-Joseph au supplice.

– Ne sont-ils pas curieux tous les deux? dit Robespierre à Saint-Just d'une voix aigre et en jouissant horriblement. Qu'ont-ils donc à crier tant?

– J'ai, dit le vieux père en s'avançant vers Robespierre, j'ai le désespoir dans le coeur en voyant…"

Je me levai pour l'arrêter par le bras.

"Citoyen, dit Joseph Chénier à Robespierre, permets-moi de te parler en particulier, ou d'emmener mon père d'ici, un moment. Je le crois malade et un peu troublé.

– Impie, dit le vieillard, veux-tu être aussi mauvais fils que mauvais…?

– Monsieur, dis-je en lui coupant la parole, il était inutile de me consulter ce matin.

– Non, non! dit Robespierre avec sa voix aiguë et son incroyable sang-froid; non, ma foi, je ne veux pas que ton père me quitte, Chénier! Je lui ai donné audience; il faut bien que j'écoute. – Et pourquoi donc veux-tu qu'il s'en aille? – Que crains-tu donc qu'il m'apprenne? – Ne sais-je pas à peu près tout ce qui se passe, et même tes ordonnances du matin, Docteur?

– C'est fini!» dis-je en retombant accablé sur ma chaise.

Marie-Joseph, par un dernier effort, s'avança hardiment et se plaça de force entre son père et Robespierre.

"Après tout, dit-il à celui-ci, nous sommes égaux, nous sommes frères, n'est-ce pas? Eh bien, moi, je puis te dire, citoyen, des choses que tout autre qu'un représentant à la Convention nationale n'aurait pas le droit de te dire, n'est-ce pas? – Eh bien, je te dis que mon bon père que voici, mon bon vieux père, qui me déteste à présent parce que je suis député, va te conter quelque affaire de famille bien au-dessous de tes graves occupations, vois-tu, citoyen Robespierre! Tu as de grandes affaires, toi, tu es seul, tu marches seul; toutes ces choses d'intérieur, ces petites brouilleries, tu les ignores, heureusement pour toi. Tu ne dois pas t'en occuper."

Et il le prenait par les deux mains.

"Non, je ne veux pas absolument que tu l'écoutes, vois-tu; je ne veux pas." Et, faisant le rieur:»Mais c'est que ce sont de vraies niaiseries qu'il va te dire."

Et en bavardant plus bas:

"Quelque plainte de ma conduite passée, de vieilles, vieilles idées monarchiques qu'il a. Je ne sais quoi, moi. Ecoute, mon ami, toi notre grand citoyen, notre maître – oui, je le pense franchement, notre maître! – va, va à tes affaires, à l'Assemblée où l'on t'écoute; – ou plutôt, tiens, renvoie-nous. – Oui, tiens, franchement, mets-nous à la porte: nous sommes de trop.

– Messieurs, nous sommes indiscrets; partons."

Il prenait son chapeau, pâle et haletant, couvert de sueur, tremblant:

"Allons, Docteur; allons, mon père, j'ai à vous parler. Nous sommes indiscrets. – Et Saint-Just, donc, qui arrive de si loin pour le voir! de l'armée du Nord! N'est-il pas vrai, Saint-Just?»

Il allait, il venait, il avait les larmes aux yeux; il prenait Robespierre par le bras, son père par les épaules: il était fou.

Robespierre se leva, et avec un air de bonté perfide tendit la main au vieillard par devant son fils. – Le père crut tout sauvé; nous sentîmes tout perdu. M. de Chénier s'attendrit de ce seul geste, comme font les vieillards faibles.

"Oh! vous êtes bon! s'écria-t-il. C'est un système que vous avez, n'est-ce pas? c'est un système qui fait qu'on vous croit mauvais. Rendez-moi mon fils aîné, monsieur de Robespierre! Rendez-le-moi, je vous en conjure; il est à Saint-Lazare. C'est bien le meilleur des deux, allez; vous ne le connaissez pas! il vous admire beaucoup, et il admire tous ces messieurs aussi; il m'en parle souvent. Il n'est point exagéré du tout, quoi qu'on ait pu vous dire. Celui-ci a peur de se compromettre, et ne vous a pas parlé; mais moi, qui suis père, monsieur, et qui suis bien vieux, je n'ai pas peur. D'ailleurs vous êtes un homme comme il faut, il ne s'agit que de voir votre air et vos manières; et avec un homme comme vous on s'entend toujours, n'est-ce pas?»

Puis à son fils:

"Ne me faites point de signes! ne m'interrompez pas! vous m'importunez! laissez monsieur agir selon son coeur: il s'entend un peu mieux que vous en gouvernement, peut-être! Vous avez toujours été jaloux d'André, dès votre enfance. Laissez-moi, ne me parlez pas."

Le malheureux frère! il n'aurait pas parlé, il était muet de douleur, et moi aussi.

"Ah! dit Robespierre en s'asseyant et ôtant ses lunettes paisiblement et avec soulagement; voilà donc leur grande affaire! Dis donc, Saint-Just! ne s'imaginaient-ils pas que j'ignorais l'emprisonnement du petit frère? Ces gens-là me croient fou, en vérité. Seulement il est bien vrai que je ne me serais pas occupé de lui d'ici à quelques jours. Eh bien, ajouta-t-il en prenant sa plume et griffonnant, on va faire passer l'affaire de ton fils.

– Voilà! dis-je en étouffant.

– Comment! passer? dit le père interdit.

– Oui, citoyen, dit Saint-Just en lui expliquant froidement la chose; passer au tribunal révolutionnaire, où il pourra se défendre.

– Et André? dit M. de Chénier.

– Lui? répondit Saint-Just, à la Conciergerie.

– Mais il n'y avait pas de mandat d'arrêt contre André! dit son père.

– Eh bien, il dira cela au tribunal, répondit Robespierre; tant mieux pour lui."

Et en parlant il écrivait toujours.

"Mais à quoi bon l'y envoyer? disait le pauvre vieillard.

– Pour qu'il se justifie, répondait aussi froidement Robespierre, écrivant toujours.

– Mais l'écoutera-t-on?» dit Marie-Joseph.

Robespierre mit ses lunettes et le regarda fixement; ses yeux luisaient sous leurs yeux verts comme ceux des hiboux.

"Soupçonnes-tu l'intégrité du tribunal révolutionnaire?» dit-il.

Marie-Joseph baissa la tête, et dit:

"Non!» en soupirant profondément.

Saint-Just dit gravement:

"Le tribunal absout quelquefois.

– Quelquefois! dit le père tremblant et debout.

– Dis donc, Saint-Just, reprit Robespierre en recommençant à écrire, sais-tu que c'est aussi un Poète, celui-là? Justement nous parlions d'eux, et ils parlent de nous; tiens, voilà une gentillesse de sa façon. C'est tout nouveau, n'est-il pas vrai, Docteur? Dis donc, Saint-Just, il nous appelle bourreaux, barbouilleurs de lois.

– Rien que cela!» dit Saint-Just en prenant le papier, que je ne reconnus que trop, et qu'il avait fait dérober par ses merveilleux espions.

Tout à coup Robespierre tira sa montre, se leva brusquement et dit:»Deux heures!»

Il nous salua et courut à la porte de sa chambre par laquelle il était entré avec Saint-Just. Il l'ouvrit, entra le premier et à demi dans l'autre appartement, où j'aperçus des hommes, et laissant sa main sur la clef, comme avec une sorte de crainte, et prêt à nous fermer la porte au nez, dit d'une voix aigre, fausse et ferme:

"Ceci est seulement pour vous faire voir que je sais tout ce qui se passe assez promptement."

Puis se tournant vers Saint-Just, qui le suivait paisiblement avec un sourire ineffable de douceur:

"Dis donc, Saint-Just, je crois que je m'entends aussi bien que les Poètes à composer des scènes de famille?

– Attends, Maximilien! cria Marie-Joseph en lui montrant le poing et en s'en allant par la porte opposée, qui cette fois s'ouvrit d'elle-même, je vais à la Convention avec Tallien!

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