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– Vous avouez!… dit du Barry pâle de colère.

Juliette le toisa d’un air méprisant et, sans lui répondre un seul mot, fit pirouetter le fauteuil dans lequel elle était assise, de manière à lui tourner complètement le dos, manifestant ainsi clairement sa ferme résolution de ne pas discuter avec cet allié de la veille qu’elle considérait maintenant comme un adversaire.

En même temps, elle faisait face à M. Jacques, résolue à lutter énergiquement et au besoin à prendre une vigoureuse offensive.

– Madame… hurla le comte exaspéré par cette impertinente attitude.

Mais un froncement de sourcils du maître calma cette colère comme par enchantement et arrêta sur ses lèvres la menace prête à jaillir.

– Vous avez, il y a quelques jours, reprit M. Jacques toujours impassible en s’adressant à la jeune femme, vous avez laissé fuir ce d’Assas qui s’était introduit chez vous pour échapper à ceux qui le poursuivaient…

– Vous savez cela? demanda Juliette avec un calme parfait.

– Je vous ai déjà dit une fois que je savais tout… Vous avez commis là, mon enfant, une lourde faute.

– Il fallait donc le livrer alors qu’il s’était réfugié chez moi?…

– Oui! dit nettement M. Jacques… On se débarrasse d’un ennemi dangereux par n’importe quel moyen…

– M. d’Assas n’est pas mon ennemi.

– C’est le nôtre, dit du Barry qui ne se possédait plus et que la colère étouffait.

– Le vôtre peut-être, reprit froidement la comtesse, mais vos ennemis ne sont pas les miens.

– Le pacte qui nous lie, reprit violemment du Barry, vous impose de considérer comme…

Pour la deuxième fois M. Jacques intervint et, interrompant le comte, il dit:

– Vous avez aggravé cette première faute en essayant de revoir celui que vous aviez laissé échapper… Si cette démarche, que vous avez tenté inconsidérément, je veux le croire, venait à être connue du roi, tout serait perdu…

– Eh! que m’importe!

– Mais il nous importe beaucoup à nous, dit du Barry qui ne pouvait se maîtriser.

La comtesse haussa dédaigneusement les épaules.

– Si encore vous aviez réussi à trouver ce d’Assas, reprit M. Jacques toujours aussi calme que du Barry était exaspéré, mais non… le comte a vainement fouillé la maison sans le trouver… Vous vous êtes donc exposée inutilement…

– Qu’en savez-vous?

– Auriez-vous vu le petit chevalier?

– Oui, dit nettement Juliette en le regardant bien en face. M. Jacques jeta sur du Barry un coup d’œil qui fit frémir celui-ci malgré toute son audace.

– Cette femme ment assurément, dit-il… J’ai fouillé minutieusement la maison et je réponds…

– Cela prouve, dit Juliette avec un calme déconcertant, que celui que vous cherchiez n’y était plus… tout simplement.

– Ah! je vais… dit le comte simplement.

La comtesse encore une fois haussa les épaules.

M. Jacques, qui ne la quittait pas des yeux, dit:

– Inutile, mon cher comte, il doit être loin maintenant…

– En effet, reprit froidement Juliette, vous perdrez inutilement votre temps… M. d’Assas est maintenant à l’abri…

– Mais enfin, reprit M. Jacques, qu’espérez-vous de ce d’Assas… après l’accueil qu’il vous a fait une fois déjà.

– Je n’espère rien… Je l’aime…

– Aimez qui bon vous semble, interrompit encore du Barry, mais observez les conditions du contrat qui nous lie… si vous voulez que nous les observions de notre côté… et la première de ces conditions est l’obéissance passive aux ordres qui vous sont donnés…

– J’aime M. d’Assas, reprit imperturbablement la jeune femme, et je ne veux pas qu’on touche à un cheveu de sa tête… je ne veux pas qu’il soit inquiété d’aucune façon…

– Vous ne voulez pas? dit lentement M. Jacques en appuyant sur chaque syllabe.

– Je ne veux pas, répéta de nouveau Juliette en insistant à son tour.

– Ah! fit froidement M. Jacques.

Et, pour se donner le temps de réfléchir, il reprit sa tabatière dans laquelle il puisa machinalement. Puis il reprit:

– Et, dites-moi, quel était le but de votre visite?

– Prévenir M. d’Assas de ce qui se trame contre lui, le mettre sur ses gardes… en lui disant tout.

– Vous avez fait cela? dit M. Jacques dont l’œil lança un éclair.

– Je l’ai fait!…

– Misérable!… hurla du Barry au comble de l’exaspération…

– En sorte, reprit M. Jacques, qu’à l’heure actuelle ce petit d’Assas nous connaît tous…

– Entendons-nous bien, dit Juliette; j’ai prévenu M. d’Assas qui maintenant se gardera soigneusement… mais je n’ai nommé personne… je ne suis pas une délatrice…

M. Jacques respira, car il ne doutait pas de la sincérité de cette femme qui lui tenait si résolument tête.

Il reprit pourtant:

– Et vous n’avez pas craint de vous mettre contre nous en nous trahissant ainsi que vous l’avez fait?…

– Je n’ai fait que suivre votre exemple, dit vivement Juliette… Qui donc a été circonvenir M. d’Assas avant la démarche que j’ai faite près de lui au château?… Vous!

Qui m’a dépeinte à lui comme une ennemie mortelle et acharnée?… Vous encore!

Qui lui a fait accroire que j’étais le bourreau de… de… Mme d’Étioles?… Vous, toujours, toujours vous!

Et tenez, maintenant que j’y réfléchis… ce baron de Marçay de garde aux prisons… ce misérable qui a exigé de moi que je me livrasse à lui pour m’autoriser à voir le prisonnier… ce lâche qui s’est arrangé de manière à me faire surprendre chez lui, dans une tenue qui ne pouvait laisser aucun doute sur ce qui venait de se passer… qui me dit qu’il n’a pas agi aussi vilement sur vos ordres à vous?… car je sais bien que vous détenez un pouvoir immense.

Et pourquoi vous acharnez-vous ainsi après d’Assas?…

Parce que je l’aime… parce que vous craignez que cet amour que je proclame ne me fasse renoncer au rôle honteux que j’ai passivement joué jusqu’à ce jour.

Parce que, si cela était, ce serait l’écroulement de projets ténébreux, mais que je devine formidables et que je serais chargée, moi votre créature, de faire aboutir.

Parce que vous vous êtes dit qu’en supprimant d’Assas, vous supprimeriez mon amour et que je resterais ce que j’ai été jusqu’ici: un instrument docile dans votre main puissante.

Voilà pourquoi vous avez essayé d’abord de faire sombrer cet amour dans la haine, par le désespoir et la jalousie, en me montrant vil et méprisable aux yeux de celui que j’aimais.

Ah! sur ce point vous avez pleinement réussi!… Jamais pauvre créature ne fut aussi méprisée que je le suis de celui que j’aime.

Mais, malgré tout, mon amour a résisté et subsiste encore plus fort que tout… et alors vous vous êtes dit que, puisque le mépris et les injures même de celui que j’aime n’arrivaient pas à le déraciner de mon cœur, il n’y avait qu’à supprimer l’objet de cet amour.

Eh bien, moi, je le défends, celui que j’aime… et je défends qu’on y touche, et ne me parlez pas de trahison, puisque vous-même m’avez trahie tout le premier.

M. Jacques avait écouté cette sorte de réquisitoire avec un étonnement qui allait croissant et aussi une sorte d’admiration pour cette passion sincère.

Du Barry, au contraire, ne s’était contenu que sur les signes impératifs que lui faisait le maître qui se décida enfin à répondre par une question:

– Après une déclaration aussi nette et aussi franche, je vous demanderai, néanmoins, si vous consentirez à me dire où s’est réfugié d’Assas?

– Vous me tueriez que je ne parlerais pas… d’ailleurs j’ignore où s’est réfugié le chevalier.

– Oui… je pensais bien que vous ne parleriez pas… ma question n’a été posée que pour la forme… En sorte que votre amour est profond et sincère et que vous lui sacrifierez tout?…

– Sans hésiter!…

– Eh bien, ma chère enfant, puisqu’il en est ainsi, aimez donc librement… je ne m’y oppose pas…

Du Barry, à ces mots, dressa l’oreille et regarda son maître avec inquiétude.

Juliette, devenue méfiante, attendait que son adversaire s’expliquât nettement.

– Oui, continua M. Jacques, aimez et faites-vous aimer… si vous pouvez… Je renonce à inquiéter M. d’Assas et je vous promets formellement de ne plus m’occuper de lui… Il vivra libre et en paix… à une seule et unique condition…

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