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Et un sourire effrayant lui venait aux lèvres, car, songeant à Damiens qui l’attendait sur son ordre, il songeait:

– De ce côté-là, du moins, je tiens ma vengeance!…

Et un geste de menace complétait la pensée de cet homme haineux qui, maintenant maître de lui, échafaudait des plans de campagne, prêt à lutter encore.

Mais son esprit inquiet revenait toujours au ravisseur inconnu de sa femme.

Ah! celui-là!… celui-là!…

D’Étioles voulait bien, – il avait même fait tout ce qu’il avait pu pour cela – que sa femme devint la maîtresse du roi parce que le roi seul pouvait lui donner ce qu’il n’avait pas, ce qu’il désirait par-dessus tout: les honneurs et les dignités…

Mais à un autre, non!… Jamais!…

Et toujours il pensait au misérable qui lui avait ravi cette Jeanne… et il cherchait sans trêve comment il se vengerait de lui… sans rien risquer pour sa précieuse personne.

Nous avons dit qu’il était lâche. Sa lâcheté en cette occurrence s’étalait dans toute sa hideur.

À force de ressasser dans son esprit comment il pourrait se venger sans risques pour lui, un nom finit par lui traverser le cerveau:

D’Assas!…

Eh! oui, parbleu!… le cadet le vengerait… Pardieu! il paierait ce qu’il faudrait pour cela et tout serait dit…

Peut-être même, en y réfléchissant, n’aurait-il pas besoin de délier les cordons de sa bourse pour cette besogne… Non qu’il fût ladre, il était prodigue; mais il se rendait bien compte que le chevalier n’accepterait pas une pareille mission pour tout l’or du monde.

Voilà pourquoi il se disait que ce qu’il ne pouvait espérer de d’Assas en le payant, il l’obtiendrait sans doute pour rien… en rusant.

Oui! oui! tout cela s’arrangeait petit à petit…

Damiens pour le roi et Berryer aussi peut-être…

D’Assas pour l’autre…

Lui-même se chargerait de Jeanne!…

Allons! allons! il n’était pas aussi perdu qu’on voulait le croire, qu’il l’avait cru lui-même!

Avec un peu de patience, de la ruse, de l’astuce et de l’or répandu, il prouverait avant peu qu’il n’était pas à mépriser… qu’il fallait au contraire compter avec lui.

Il allait se mettre à l’œuvre tout de suite.

Et rasséréné, maître de lui, sachant encore une fois ce qu’il voulait et où il allait, il descendit dans la cour de son hôtel.

Sitôt qu’il fut dans son cabinet, il se composa un maintien, et donna l’ordre d’introduire Damiens.

Celui-ci entra, pâle, résolu à tout, et attendit dans une attitude digne, sans morgue comme sans déférence exagérée.

Enfin, d’Étioles leva la tête et regarda la figure ravagée par l’anxiété, les yeux cerclés de bistre, fatigués par les insomnies, et qui sait?… peut-être par les larmes, de celui qui attendait son bon plaisir, et d’une voix doucereuse il dit:

– Asseyez-vous, mon maître, nous avons à causer.

Damiens, sans répondre, prit un siège et s’assit comme on le lui ordonnait.

– Vous savez, fit d’Étioles à brûle-pourpoint, que ma femme a disparu.

Les yeux de Damiens clignotèrent, dénotant l’émotion qui le bouleversait, et d’une voix blanche, lasse, il répondit:

– Oui, monsieur, je sais…

– Mais savez-vous aussi où elle se trouve en ce moment?…

– Non, monsieur! Comment voulez-vous que je sache cela?

– Je vous avais pourtant recommandé de veiller sur elle!…

– C’est vrai, monsieur, mais vos ordres étaient de surveiller madame chez elle!… je ne devais pas quitter l’hôtel et m’y tenir constamment à votre disposition.

– C’est juste, fit d’Étioles… Aussi ne vous ferai-je pas de reproches… Enfin, ajouta-t-il en soupirant et en observant Damiens en dessous, ce qu’il y a de certain c’est qu’elle a disparu. Qu’est-elle devenue?… Où est-elle?…

Il prononçait ces derniers mots comme s’il se fût parlé à lui-même.

– Vous êtes-vous demandé où elle pouvait être? reprit-il.

– Non, monsieur, répondit Damiens rougissant imperceptiblement à ce mensonge.

– Vous n’êtes pas curieux, mon maître, fit ironiquement d’Étioles à qui cette rougeur n’avait pas échappé.

Il ajouta en fixant Damiens:

– Il faudra donc que je vous l’apprenne… Car je ne veux avoir aucun secret pour vous, puisque vous devez connaître un jour toute ma pensée, toutes mes espérances et toutes mes haines!

Damiens tressaillit violemment, mais ne dit rien.

– Eh bien! sachez donc que ma femme a été enlevée… Oui. Et ce que je vous dis, à vous, c’est à peine si j’oserais le répéter à mon propre confesseur!

– Enlevée?… balbutia Damiens.

– Mon Dieu! oui, tout bonnement. En sorte que Mme d’Étioles, en ce moment, file tranquillement le parfait amour… Oh! mais je me vengerai!…

Damiens ne dit pas un mot, mais il devint très pâle. Il fut saisi d’un tremblement nerveux et il était visible que cet homme faisait un effort violent pour se contenir.

– Et le ravisseur vous le connaissez, maître Damiens, c’est ce seigneur que vous avez vu dans le petit salon de l’Hôtel de Ville… c’est le roi… Je vous l’avais bien dit à ce moment que ma femme avait un amant… Je vous avais recommandé de veiller… ah! mon instinct ne me trompait pas…

Et d’Étioles, distillant ses paroles lentement, cacha son visage dans ses deux mains comme s’il avait été accablé par la honte et la douleur.

En réalité, l’astucieux personnage laissait couler entre les doigts un regard aigu, étudiant âprement l’effet produit par ses paroles sur le visage de son confident.

– Vous m’aviez promis de veiller, Damiens, reprit-il après un court silence, et voilà où nous en sommes. Vous m’aviez promis aussi de me venger… Manquerez-vous aussi à cette promesse… comme vous avez manqué de vigilance?…

Damiens fit un effort comme pour s’arracher à un songe, et d’une voix lente répondit:

– Vous m’avez pris à votre service; vous m’avez payé largement pendant que je ne faisais rien pour gagner l’argent que vous me donniez: tout cela, monsieur, en prévision du moment où vous auriez besoin de moi… en prévision, aussi, du moment où vous feriez appel à mon bras… Ce bras, – ajouta-t-il d’un air farouche, – je l’ai vendu, vous l’avez acheté; il vous appartient… Le moment est-il venu de frapper?… parlez sans crainte… sans feinte… Je suis prêt… Ah! vous n’avez pas besoin d’exciter ma haine, contre… celui que vous savez… Cette haine, vous ne pourrez pas l’augmenter… car elle a atteint son point culminant… Oui! je le hais, cet homme, je le hais parce qu’il…

– Parce que?… demanda d’Étioles, qui frémissait devant cette explosion, en voyant que Damiens s’arrêtait au moment où son secret allait peut-être lui échapper.

Mais Damiens s’était ressaisi.

Ce fut donc très naturellement qu’il répondit:

– Je le hais parce qu’il vous a fait du mal, à vous… et que vous me payez pour aimer ceux que vous aimez et haïr ceux que vous détestez.

D’Étioles hocha la tête comme quelqu’un qui dit:

– Il y a autre chose aussi.

– Vous m’avez reproché mon manque de vigilance, monsieur… Si le moment est venu d’agir, ordonnez… je vous réponds que vous n’aurez pas de reproches à me faire de ce côté-là!

– Vive Dieu! fit d’Étioles que l’air de résolution farouche répandu sur toute la personne de Damiens remplissait d’aise; vive Dieu! vous êtes un terrible homme, mon maître, et il vaut mieux, je le vois, être de vos amis que de vos ennemis.

– Je le crois aussi, fit Damiens, sur un ton singulier, qui eût donné la chair de poule au sous-fermier s’il avait pu démêler la menace qui se cachait sous ces paroles d’apparence banale.

– Allons, fit d’Étioles, avec un jouteur de votre force il est inutile de finasser et le meilleur est d’aller directement au but.

Damiens fit un signe de tête qui signifiait que c’était aussi son avis.

– Voici donc ce que j’attends de vous, reprit d’Étioles.

Et d’Étioles parla longtemps.

Ce qu’il dit, ce qui fut arrêté entre ces deux hommes, les événements futurs se chargeront de nous l’apprendre.

Mais lorsque Damiens, muni des instructions du sous-fermier, se fut éloigné, d’Étioles, le visage illuminé d’une joie ardente, laissa tomber ces mots dans le silence de son cabinet:

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