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Il vit passer une dame. Il nota: «10 h 20: une dame affairée passe avec son panier à provisions. Qu'y a-t-il dans le panier?» II avait décidé de noter tout ce qu'il voyait pour moins s'emmerder. Il reprit sa feuille et ajouta: «En fait, ce n'est pas un panier, c'est ce qu'on appelle un cabas. "Cabas" est un drôle de mot, qui n'est plus réservé qu'aux vieilles gens et à la province. Voir son étymologie.» Cette idée de rechercher l'étymologie du mot «cabas» réveilla un peu son énergie. Cinq minutes plus tard, il reprit sa feuille. C'était une matinée très agitée. Il nota: «10 h 25: un type efflanqué sonne chez Relivaux.» Marc se redressa brusquement. C'était vrai, un type efflanqué sonnait chez Relivaux, un type qui n'était ni le facteur, ni le releveur de l'E.D.F. ni un gars du coin.

Marc se leva, ouvrit sa fenêtre et se pencha. Beaucoup d'énervement pour pas grand-chose. Mais à force que Vandoosler attache tant d'importance à cette surveillance de la crotte de pigeon, Marc se sentait gagné à son insu par l'importance de sa mission de guetteur et commençait à confondre crotte de pigeon et pépite d'or. Ce qui fait que ce matin, il avait piqué chez Mathias des jumelles de spectacle. Preuve que Mathias avait dû aller sérieusement à l'Opéra. Il ajusta ses petites jumelles et scruta. C'était un type, donc. Avec une sacoche de professeur, un pardessus clair et propre, des cheveux rares, une silhouette de long maigre. La femme de ménage lui ouvrit et, aux mouvements qu'elle faisait, Marc comprit qu'elle disait que mon-sieur n'était pas là, qu'il faudrait revenir une autre fois. Le type efflanqué insistait. La femme de ménage reprit ses dénégations et accepta la carte que le type avait sortie de sa poche et sur laquelle il avait griffonné quelque chose. Elle ferma la porte. Bon. Un visiteur pour Pierre Relivaux. Aller voir la femme de ménage? Demander à lire la carte de visite? Marc écrivit quel-ques notes sur sa feuille. En relevant les yeux, il vit que le type n'était pas parti, qu'il faisait du surplace devant la grille, indécis, déçu, réfléchi. Et s'il était venu pour Sophia? Finalement, il repartit en balançant sa sacoche. Marc se leva d'un bond, dévala l'escalier, cou-rut jusqu'à la rue où il rattrapa le type maigre en quelques foulées. Depuis le temps qu'il se figeait à sa fenêtre, il n'allait pas laisser échapper le premier événement dérisoire qui lui tombait du ciel.

– Je suis son voisin, dit Marc. Je vous ai vu sonner. Est-ce que je peux être utile?

Marc était essoufflé, il tenait toujours à la main son stylo. Le type le regarda avec intérêt, et même, sembla-t-il à Marc, avec un certain espoir.

– Je vous remercie, dit le type, je voulais voir Pierre Relivaux, mais il n'est pas là.

– Repassez ce soir, dit Marc. Il rentre vers six ou sept heures.

– Non, dit le type, sa femme de ménage m'a dit qu'il était parti en déplacement pour quelques jours et qu'elle ne savait pas où, ni quand il rentrerait. Peut-être vendredi, ou samedi. Elle ne peut pas dire. Cela m'ennuie beaucoup, je viens de Genève.

– Si vous voulez, dit Marc, anxieux à l'idée de voir disparaître son événement dérisoire, je peux tâcher de me renseigner. Je suis sûr d'obtenir l'information très vite.

Le type hésita. Il avait l'air de se demander ce que Marc venait faire dans ses affaires.

– Avez-vous une carte de téléphone? demanda Marc.

Le type hocha la tête et le suivit sans réelle résistance jusqu'à une cabine au coin de la rue.

– C'est que je n'ai pas le téléphone, expliqua Marc. – Ah bon, dit le type.

Une fois dans la cabine, surveillant l'efflanqué d'un œil, Marc demanda les renseignements et le numéro d'appel du commissariat du 13e arrondissement. Coup de chance, ce stylo. Il nota le numéro sur sa main et appela Leguennec.

– Passez-moi mon oncle, inspecteur, c'est urgent. Marc pensait que le mot «urgent» était un terme

clef et décisif quand on voulait quelque chose d'un flic. Il eut Vandoosler en ligne quelques minutes plus tard.

– Que se passe-t-il? dit Vandoosler. Tu as mis la main sur quelque chose?

Marc réalisa à ce moment qu'il n'avait mis la main sur rien du tout.

– Je ne crois pas, dit-il. Mais demande à ton Breton où est parti Relivaux et quand il doit rentrer. Il a forcément dû déclarer son absence à la police.

Marc attendit quelques instants. Il avait laissé exprès la porte ouverte pour que le type entende tout ce qu'il disait et il n'avait pas l'air surpris. Il était donc au courant de la mort de Sophia Siméonidis.

– Note, dit Vandoosler. Il est parti ce matin en déplacement professionnel pour Toulon. Ça a été vérifié auprès du ministère, ce n'est pas une blague. Le jour de son retour n'est pas fixé, ça dépend du tour que prend sa mission là-bas. Il peut revenir demain comme lundi prochain. Les flics peuvent le joindre en cas d'urgence via le ministère. Mais pas toi.

– Merci, dit Marc. Et de ton côté?

– Ça pioche sur le père de la maîtresse de Relivaux, tu te souviens, Elizabeth. Son père est en tôle depuis dix ans pour avoir lardé de coups de couteau un amant supposé de sa femme. Leguennec se dit qu'ils ont peut-être le sang chaud dans la famille. Il a reconvoqué Elizabeth et il la travaille là-dessus, savoir de quel côté elle penche. Exemple paternel ou modèle maternel.

– Parfait, dit Marc. Dis à ton Breton qu'il y a une sacrée tempête dans le Finistère, ça lui fera peut-être une distraction, s'il aime les tempêtes.

– Il le sait déjà. Il m'a dit «tous les bateaux sont à quai. On en attend dix-huit qui sont encore en mer».

– Très bien, dit Marc. À plus tard.

Marc raccrocha et revint vers le type maigre.

– J'ai le renseignement, dit-il. Venez avec moi. Marc tenait à faire entrer le type chez lui pour savoir

au moins ce qu'il attendait de Pierre Relivaux. C'était sûrement une affaire de boulot, mais on ne savait jamais. Pour Marc, Genève impliquait nécessairement des affaires de boulot, très emmerdantes d'ailleurs.

Le type suivit, toujours avec ce petit espoir dans le regard, ce qui intrigua Marc. Il le fit asseoir au réfectoire et, après avoir sorti deux tasses et mis du café à chauffer, il prit le balai et frappa un bon coup au plafond. Depuis qu'on avait pris l'habitude d'appeler Mathias de cette manière, on tapait toujours au même endroit, pour ne pas bousiller le plafond sur toute sa surface. Le manche du balai laissait des petites cupules dans le plâtre, et Lucien disait qu'il faudrait le rembourrer avec un chiffon et de la ficelle. Ce qui n'avait toujours pas été fait.

Pendant ce temps-là, le type avait posé sa sacoche sur une chaise et regardait la pièce de cinq francs qui était clouée sur la poutre. Ce fut sans doute à cause de cette pièce que Marc entra sans préambule dans le vif du sujet.

– On cherche l'assassin de Sophia Siméonidis, dit-il, comme si cela pouvait expliquer la pièce de cinq.

– Moi aussi, dit le type.

Marc versa le café. Ils s'assirent ensemble. C'était donc bien ça. Il était au courant et il cherchait. Il n'avait pas l'air triste, Sophia n'était pas une intime. Il cherchait pour une autre raison. Mathias entra dans la pièce et prit place sur le banc avec un petit signe de tête.

– Mathias Delamarre, présenta Marc. Moi, c'est Marc Vandoosler.

Le type était obligé de se présenter.

– Je m'appelle Christophe Dompierre. J'habite Genève.

Et il leur tendit une carte, comme il l'avait fait tout à l'heure.

– Vous avez été très aimable de rechercher ce renseignement pour moi, reprit Dompierre. Quand rentre-t-il?

– Il est à Toulon, mais le ministère ne peut dire la date de son retour. Entre demain et lundi. Ça dépend de son boulot. Nous, on ne peut pas le joindre en tous les cas.

Le type hocha la tête et se mordit les lèvres.

– Très ennuyeux, dit-il. Vous enquêtez sur la mort de Mme Siméonidis? dit-il. Vous n'êtes pas… inspecteurs?

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