Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Je le sais. Mais Juliette Gosselin dit que c'est vous qui avez planté l'arbre.

– Oui, c'est ce que je lui ai raconté. Un matin, à la grille, Juliette m'a demandé ce que c'était que ce nouvel arbre. Vu l'inquiétude de Sophia, je n'ai pas eu envie de lui expliquer qu'on ne savait pas d'où il venait et que ça fasse le tour du quartier. Comme vous l'avez compris, je tiens à ma tranquillité. J'ai fait au plus simple. J'ai dit que j'avais eu envie de planter un hêtre, pour clore le chapitre. C'est ce que j'aurais dû dire à Sophia d'ailleurs. Ça aurait évité bien des ennuis.

– Tout cela est parfait, dit Vandoosler. Mais vous êtes seul à le dire. Ce serait bien que vous puissiez me montrer cette carte postale. Pour qu'on puisse la joindre.

– Navré, dit Relivaux. Sophia l'a emportée puisqu'elle contenait les consignes à suivre. Soyez logique.

– Ah. C'est ennuyeux mais pas très grave. Tout cela tient debout.

– Évidemment ça tient! Pourquoi me reprocherait-on quelque chose?

– Vous savez bien ce que pensent les flics du mari quand sa femme disparaît.

– C'est stupide. – Oui, stupide.

– La police n'ira pas jusque-là, dit Relivaux en plaquant une main raide sur la table. Je ne suis pas n'importe qui.

– Oui, répéta doucement Vandoosler. Comme tout le monde.

Vandoosler se leva lentement.

– Si les flics viennent me voir, j'irai dans votre sens, ajouta-t-il.

– Pas la peine. Sophia va revenir.

– Espérons-le.

– Je ne suis pas inquiet.

– Alors tant mieux. Et merci pour votre franchise. Vandoosler traversa le jardin pour rentrer chez lui.

Pierre Relivaux le regarda s'éloigner et pensa: De quoi se mêle-t-il, cet emmerdeur?

14

Ce n'est que le dimanche soir que les évangélistes rapportèrent quelque chose d'un peu consistant. Samedi, Pierre Relivaux n'était sorti que pour aller acheter les journaux. Marc avait dit à Lucien que Relivaux disait sûrement «la presse» et non pas «les journaux», et qu'un jour il faudrait vérifier ça rien que pour le plaisir. En tous les cas, il n'avait pas bougé, enfermé chez lui avec sa presse. Peut-être craignait-il la visite des flics. Rien ne s'étant produit, la détermination lui revint. Marc et Lucien se mirent à ses basques quand il sortit vers onze heures du matin. Relivaux les remorqua jusqu'à un petit immeuble du 15e arrondissement.

– Dans le mille, résuma Marc en rendant compte à Vandoosler. La fille habite au quatrième. Elle est bien gentille, plutôt molle, le style doux, passif, pas regardante.

– Disons le style «plutôt quelqu'un que personne», précisa Lucien. Personnellement très exigeant sur la qualité, je désapprouve cette panique qui vous fait vous rabattre sur n'importe qui.

– Si exigeant, dit Marc, que tu es seul. Constatons-le.

– Parfaitement, dit Lucien. Mais là n'est pas la question du soir. Poursuis ton rapport, soldat.

– C'est tout. La fille est planquée, entretenue. Elle ne travaille pas, on s'est renseignés dans le quartier.

– Donc Relivaux a une maîtresse. Votre intuition était bonne, dit Lucien à Vandoosler.

– Ce n'est pas de l'intuition, dit Marc. Le commissaire a une longue pratique.

Le parrain et le filleul échangèrent un bref regard.

– Mêle-toi de ce qui te regarde, Saint Marc, dit Vandoosler. Êtes-vous certains qu'il s'agit bien d'une maîtresse? Ça pourrait être une sœur, une cousine.

– On est restés derrière la porte et on a écouté, expliqua Marc. Résultat: ce n'est pas sa sœur. Relivaux l'a quittée vers sept heures. Ce type me fait l'impression d'être un dangereux minable.

– Pas si vite, dit Vandoosler.

– Ne sous-estimons pas l'ennemi, dit Lucien.

– Le chasseur-cueilleur n'est pas revenu? demanda Marc. Encore dans le tonneau?

– Oui, dit Vandoosler. Et Sophia n'a pas téléphoné. Si elle voulait tenir son affaire au secret tout en rassurant l'entourage, elle préviendrait Juliette. Mais rien, pas un signe. Ça fait quatre jours. Demain matin, Saint Matthieu appellera Leguennec. Je vais lui faire répéter son texte ce soir. L'arbre, la tranchée, la maîtresse, l'épouse disparue. Leguennec marchera. Il viendra voir.

Mathias téléphona. Il exposa les faits, d'une voix plate.

Leguennec marcha.

L'après-midi même, deux flics s'attaquaient au hêtre sous la direction de Leguennec qui se gardait Pierre Relivaux sous la rnain. Il ne l'avait pas réellement interrogé car il était aux limites de la légalité et il le savait. Leguennec agissait sous impulsion et entendait vider les lieux au plus vite s'il n'en sortait rien. Les deux flics qui creusaient lui étaient acquis. Ils la fermeraient.

De la fenêtre du deuxième, étage médiéval, Marc, Mathias et Lucien, tassés les uns contre les autres, regardaient.

– Il va en avoir sa claque, le hêtre, dit Lucien.

– Ta gueule, dit Marc. Tu ne comprends donc pas que c'est grave? Tu ne comprends donc pas que d'un instant à l'autre on peut trouver Sophia là-dessous? Et toi tu te marres? Alors que moi, depuis cinq jours, je n'arrive même pas à faire une phrase qui ait un peu de tenue? Même pas une phrase de plus de sept mots?

– J'ai remarqué, dit Lucien. Tu es décevant.

– Mais toi, tu pourrais te retenir. Prends exemple sur Mathias. Il est sobre, lui. Il la ferme, lui.

– Chez Mathias, c'est naturel. Ça finira par lui jouer des tours. Tu entends, Mathias?

– J'entends. Je m'en fous.

– Tu n'écoutes jamais personne. Tu ne fais qu'entendre. Tu as tort.

– Tais-toi, Lucien, cria Marc. Je te dis que c'est grave. Moi, je l'aimais bien, Sophia Siméonidis. Si on la trouve là, je dégueule et je déménage. Silence! Un des flics regarde quelque chose. Non… Il continue.

– Allons bon, dit Mathias, ton parrain rapplique derrière Leguennec. Qu'est-ce qu'il vient faire? Il ne pourrait pas se tenir tranquille pour une fois?

– Impossible, le parrain veut être partout, dit Marc. Exister partout. D'ailleurs, c'est à peu près ce qu'il a fait dans sa vie. Toute place où il n'existe pas lui semble un espace désolé lui tendant les bras. À force de se démultiplier pendant quarante ans, il ne sait plus trop où il se trouve, personne ne sait plus. Le parrain, en fait, c'est un conglomérat de milliers de parrains tassés dans le même type. Il parle normalement, il marche, il fait les courses, mais en réalité, tu mets la main là-dedans, tu ne sais pas ce qui va en sortir. Un ferrailleur, un grand flic, un traître, un camelot, un créateur, un sauveur, un destructeur, un marin, un pionnier, un clochard, un assassin, un protecteur, un flemmard, un prince, un dilettante, un exalté, enfin tout ce que tu veux. C'est très pratique d'une certaine manière. Sauf que ce n'est jamais toi qui choisis. C'est lui.

– Je croyais qu'il fallait la boucler, dit Lucien.

– Je suis nerveux, dit Marc. J'ai le droit de parler. Je suis à mon étage tout de même.

– À propos d'étage, c'est toi qui as torché ces pages que j'ai lues sur ton bureau? Sur le commerce dans les villages au début du XI siècle? Ça vient de toi ces idées-là? C'est vérifié?

– Personne ne t'a autorisé à lire. Si ça ne te plaît pas d'émerger de tes tranchées, personne ne te force.

– Si. Ça m'a plu. Mais qu'est-ce que fout ton parrain?

Vandoosler s'était approché sans bruit des hommes qui creusaient. Il s'était posté derrière Leguennec qu'il dominait d'une tête. Leguennec était un Breton de petite taille, râblé, les cheveux en fer, les mains larges.

– Salut, Leguennec, dit Vandoosler d'une voix douce.

L'inspecteur se retourna d'un bond. Il dévisagea Vandoosler, saisi.

– Et alors? dit Vandoosler. Tu as oublié ton patron?

– Vandoosler… dit Leguennec lentement. Alors… c'est toi qui es derrière ce trafic?

Vandoosler sourit.

14
{"b":"125361","o":1}