Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Évidemment, répondit-il. Ça me fait plaisir de te revoir.

– ,Moi aussi, dit Leguennec, mais…

– Je sais. Je ne me ferai pas reconnaître. Pas tout de suite. Ça ferait mauvais genre. Ne te fais pas de bile, je serai aussi muet que tu as intérêt à l'être si tu ne trouves rien.

– Pourquoi m'avoir appelé, moi?

– Ça me semblait une bonne affaire pour toi. Et puis c'est ton secteur. Et puis tu étais curieux de nature, dans le temps. Tu aimais pêcher le poisson et même l'araignée de mer.

– Tu penses vraiment que cette femme a été tuée?

– Je n'en sais rien. Mais je suis certain que quelque chose ne tourne pas rond. Certain, Leguennec.

– Qu'est-ce que tu sais?

– Rien de plus que ce qui t'a été dit ce matin au téléphone. Un ami à moi. Au fait, ne te fatigue pas à rechercher les types qui ont creusé la première tranchée Des amis aussi. Ça te gagnera du temps. Pas un mot à Relivaux. Il croit que je cherche à l'aider. Une maîtresse du samedi-dimanche dans le 15e. Je te passerai l'adresse si ça devient nécessaire. Sinon, aucune raison de l'emmerder, on laisse tomber et on écrase.

– Évidemment, dit Leguennec.

– Je file à présent. C'est plus prudent pour toi. Ne prends pas le risque de me faire prévenir pour ça, dit Vandoosler en désignant le trou sous l'arbre. Je peux voir tout ce qui se passe, j'habite à côté. Sous le ciel.

Vandoosler fit un petit signe vers les nuages et disparut.

– Ils rebouchent! dit Mathias. Il n'y avait rien. Marc poussa un soupir de vrai soulagement.

– Rideau, dit Lucien.

Il se frotta les bras et les jambes ankylosés par sa longue surveillance, coincé entre le chasseur-cueilleur et le médiéviste. Marc ferma la fenêtre.

– Je vais le dire à Juliette, dit Mathias.

– Ça ne peut pas attendre? demanda Marc. Tu y travailles ce soir, de toute façon?

– Non, c'est lundi. C'est fermé le lundi.

– Ah, oui. Alors fais ce que tu veux.

– C'est qu'il me semble, dit Mathias, que ce serait charitable de la prévenir que sa copine n'est pas sous l'arbre, non? On s'est fait assez de souci comme ça. C'est plus agréable de la savoir en balade quelque part.

– Oui. Fais ce que tu veux. Mathias disparut.

– Qu'est-ce que tu en penses? demanda Marc à Lucien.

– Je pense que Sophia a reçu une carte de ce Ste-lyos, qu'elle a revu le type, et que, désappointée par son mari, s'emmerdant à Paris, regrettant sa terre natale, elle a décidé de filer avec le Grec. Bonne initiative. Je n'aimerais pas coucher avec Relivaux. Elle enverra des nouvelles d'ici deux mois quand les premières émotions se seront tassées. Une petite carte d'Athènes.

– Non, je parle de Mathias. Mathias, Juliette, qu'est-ce que tu en penses? Tu n'as rien vu?

– Pas grand-chose.

– Mais des petits trucs? Tu n'as pas vu des petits trucs?

– Si, des petits trucs. Il y en a partout des petits trucs, tu sais. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Ça t'embête? Tu la voulais?

– Mais non, dit Marc. En fait, je n'en pense rien. Je dis des conneries. Oublie.

Ils entendirent le commissaire monter les escaliers.

Sans s'arrêter, il cria au passage qu'il n'y avait rien à déclarer.

– Arrêt des combats, dit Lucien.

Avant de sortir, il regarda Marc qui restait posté devant la fenêtre. Le jour tombait.

– Tu ferais mieux de te remettre à ton commerce villageois, dit-il. Il n'y a plus rien à voir. Elle est sur une île grecque. Elle joue. Les Grecques sont joueuses.

– D'où tiens-tu cette information?

– Je viens de l'inventer.

– Tu dois avoir raison. Elle a dû se tirer.

– Tu aimerais coucher avec Relivaux, toi?

– Pitié, dit Marc.

– Alors, tu vois bien. Elle s'est tirée.

15

Lucien classa l'affaire au purgatoire de son esprit. Tout ce qui passait par son purgatoire finissait après un laps de temps assez bref par tomber dans les tiroirs inaccessibles de sa mémoire. Il rouvrit son chapitre sur la propagande, qui avait souffert des intrusions de ces quinze derniers jours. Marc et Mathias reprirent le fil d'ouvrages qu'aucun éditeur ne leur avait jamais demandés. Ils se voyaient aux heures des repas, et Mathias, qui rentrait à la nuit de son service, allait saluer ses amis avec sobriété et rendait une courte visite au commissaire. Invariablement, Vandoosler lui posait la même question.

– Des nouvelles?

Et Mathias secouait la tête avant de redescendre à son premier étage.

Vandoosler ne se couchait pas avant le retour de Mathias. Il devait être le seul à rester attentif, avec Juliette, qui, jeudi particulièrement, guetta avec anxiété la porte du restaurant. Mais Sophia n'y revint pas.

Le lendemain, il y eut un satisfaisant soleil de mai. Après toute la flotte qui était tombée depuis un mois, cela agit sur Juliette comme un réactif. À quinze heures, elle ferma le restaurant comme d'habitude, pendant que Mathias retirait sa chemise de serveur et, torse nu derrière une table,, cherchait son pull. Juliette n'était pas insensible à ce rite quotidien. Elle n'était pas le genre de femme à s'ennuyer mais depuis que Mathias servait au restaurant, c'était mieux. Elle se trouvait peu de points communs avec son autre serveur et son cuisinier. Avec Mathias, elle ne s'en trouvait aucun. Mais il était facile de parler à Mathias, de tout ce qu'on voulait, et c'était bien agréable.

– Ne reviens pas avant mardi, lui dit Juliette en se décidant brusquement. On ferme pour tout le week-end. Je vais me défiler chez moi, en Normandie. Toutes ces histoires de trous, d'arbres, ça m'a assombrie. Je vais mettre des bottes et marcher dans l'herbe mouillée. J'aime les bottes et la fin du mois de mai.

– C'est une bonne idée, dit Mathias, qui n'imaginait pas du tout Juliette en bottes de caoutchouc.

– Si tu veux, tu peux venir après tout. Je crois qu'il fera beau. Tu dois être le genre d'homme à aimer la campagne.

– C'est vrai, dit Mathias.

– Tu peux prendre avec toi Saint Marc et Saint Luc, et le vieux commissaire flamboyant aussi, si ça vous chante. Je ne tiens pas spécialement à la solitude. La maison est grande, on ne se gênera pas. Enfin, faites comme vous voulez. Vous avez une voiture?

– On n'a plus de voiture, à cause de la merde. Mais je sais où en emprunter une. J'ai gardé un copain dans un garage. Pourquoi dis-tu «flamboyant»?

– Comme ça. Il a une belle tête, non? Avec les rides, il me fait penser à une de ces églises tarabiscotées qui partent dans tous les sens, qui ont l'air de craquer comme du tissu troué et qui restent quand même debout. Il m'épate un peu.

– Parce que tu t'y connais en églises?

– J'allais à la messe quand j'étais petite, figure-toi. Des fois, mon père nous poussait le dimanche jusqu'à la cathédrale d'Évreux et je lisais la brochure pendant le sermon. Ne cherche pas plus loin, c'est tout ce que je sais des églises qui flamboient. Ça t'embête que je dise que le vieux ressemble à la cathédrale d'Évreux?

– Mais non, dit Mathias.

– Je connais d'autres trucs qu'Évreux, remarque. La petite église de Caudebeuf, c'est lourd, c'est sobre, ça vient de loin et ça me repose. Et ça s'arrête là pour toutes les églises et pour tout ce que je sais d'elles.

, Juliette sourit.

– Avec tout ça, j'ai vraiment envie d'aller marcher. Ou d'aller en vélo.

– Marc a dû vendre son vélo. Tu en as plusieurs là-bas?

– Deux. Si ça vous tente, la maison est à Verny-sur-Besle, un village pas loin de Bernay, un trou. Quand tu arrives par la nationale, c'est la grande ferme à gauche de l'église. Ça s'appelle «Le Mesnil». Il y a une petite rivière et des pommiers, uniquement des pommiers. Pas de hêtre. Tu te souviendras?

– Oui, dit Mathias.

– Je file à présent, dit Juliette en baissant les volets. Pas la peine de me prévenir si vous venez. De toute façon, il n'y a pas le téléphone.

15
{"b":"125361","o":1}