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– Eh bien, donc je voulais…

Il s’arrêta.

– Quoi? parle.

– Prendre des fleurs rares dans la serre.

– Avec ton coutelas, n’est-ce pas? fit en ricanant M. Lecoq.

Le rebouteux lui lançant un regard terrible, il continua:

– Ne me regarde pas ainsi, tu ne me fais pas peur. Puis, toi qui es fin, ne nous dis donc pas de niaiseries. Si tu nous crois beaucoup plus bêtes que toi, tu te trompes, je t’en préviens.

– Je voulais prendre les pots, balbutia maître Robelot, pour les revendre.

– Allons donc! fit l’agent de la Sûreté en haussant les épaules, ne répète donc pas tes inepties. Toi, un homme qui achète et paie comptant des terres excellentes, voler des pots de bruyère! À d’autres. Ce soir, mon garçon, on t’a retourné comme un vieux gant. Bien malgré toi, tu as donné la volée à un secret qui te tourmente diablement, et tu venais ici pour tâcher de le reprendre. En y réfléchissant, tu t’es dit, toi rusé, que sans doute M. Plantat n’avait encore parlé à qui que ce soit et tu arrivais avec le projet ingénieux de l’empêcher de parler désormais à âme qui vive.

Le rebouteux voulut protester.

– Tais-toi donc, lui dit M. Lecoq, et ton coutelas?

Pendant cet interrogatoire sommaire du rebouteux, le père Plantat réfléchissait.

– Peut-être, murmura-t-il, peut-être ai-je parlé trop tôt.

– Pourquoi donc? répondit l’agent de la Sûreté, je cherchais une preuve palpable à donner à M. Domini, nous lui servirons ce joli garçon, et s’il n’est pas content, c’est qu’il est trop difficile.

– Mais que faire de ce misérable?

– Il doit bien y avoir dans la maison un endroit pour l’enfermer; s’il le faut, je le ficellerai.

– J’ai là, proposa le juge de paix, un cabinet noir.

– Est-il sûr?

– Trois des côtés sont formés de murs épais, le quatrième qui donne ici même est fermé par une double porte, pas d’ouvertures, pas de fenêtres, rien.

– C’est notre affaire.

Le père Plantat ouvrit alors le cabinet qui sert de décharge à sa bibliothèque, sorte de trou noir, humide faute d’air, étroit, et tout plein de livres de rebut, de paquets de journaux et de vieux papiers.

– Tu seras, là-dedans, comme un petit roi, dit l’agent au rebouteux.

Et, après l’avoir fouillé, il le poussa dans le cabinet. Robelot ne résista pas, mais il demanda à boire et une lumière. On lui passa une carafe pleine d’eau et un verre.

– Quant à de la lumière, lui dit M. Lecoq, tu t’en passeras. Tu n’aurais qu’à nous jouer quelque mauvais tour.

La porte du cabinet noir refermée, le père Plantat tendit la main à l’agent de la Sûreté.

– M. Lecoq, lui dit-il, d’une voix émue, vous venez probablement de me sauver la vie au péril de la vôtre; je ne vous remercie pas. Un jour viendra, je l’espère, où il me sera possible…

L’homme de la préfecture l’interrompit d’un geste.

– Vous savez, monsieur, fit-il, combien ma peau est compromise, la risquer une fois de plus n’est pas un mérite; puis, sauver la vie à un homme, ce n’est pas toujours lui rendre service…

Il resta pensif quelques secondes et ajouta:

– Vous me remercierez plus tard, monsieur, lorsque j’aurai acquis d’autres droits à votre gratitude.

M. Gendron, lui aussi, avait donné une cordiale poignée de main à l’agent de la Sûreté.

– Laissez-moi, lui disait-il, vous exprimer toute mon admiration. Je n’avais pas idée de ce que peuvent être les investigations d’un homme de votre trempe. Arrivé ce matin, sans détails, sans renseignements, vous êtes parvenu par le seul examen du théâtre du crime, par la seule force du raisonnement et de la logique, à trouver le coupable; et, bien plus, à nous démontrer, à nous prouver, que le coupable ne peut pas être un autre que celui que vous dites.

M. Lecoq s’inclina modestement. En réalité, les éloges de ce juge [2] si compétent chatouillaient délicieusement sa vanité.

– Et cependant, répondit-il, je ne suis pas encore parfaitement satisfait. Certes, la culpabilité de M. de Trémorel m’est surabondamment prouvée. Mais quels mobiles l’ont poussé? Comment a-t-il été conduit à cette épouvantable détermination de tuer sa femme et d’essayer de faire croire que lui-même avait été assassiné?

– Ne peut-on supposer, objecta le docteur, que dégoûté de Mme de Trémorel, il s’est défait d’elle pour rejoindre une autre femme aimée, adorée jusqu’à la folie?

M. Lecoq hocha la tête.

– On ne tue pas sa femme, dit-il, pour cette seule raison qu’on ne l’aime plus et qu’on en adore une autre. On quitte sa femme, on va vivre avec sa maîtresse, et tout est dit. Cela se voit tous les jours, et ni la loi, ni l’opinion ne condamnent bien sévèrement l’homme qui agit ainsi.

– Mais, objecta le médecin, quand c’est la femme qui possède la fortune!…

– Ce n’est pas ici le cas, répondit l’agent de la Sûreté; je suis allé aux informations, M. de Trémorel possédait de son chef cent mille écus, débris d’une fortune colossale sauvés par son ami Sauvresy, et sa femme, par leur contrat de mariage, lui a de plus reconnu un demi-million. Avec huit cent mille francs, on peut vivre à l’aise partout. D’ailleurs, le comte était parfaitement maître de toutes les valeurs de la communauté. Il pouvait vendre, acheter, réaliser, emprunter, placer et déplacer les fonds à sa fantaisie.

Le docteur Gendron n’avait rien à répondre. M. Lecoq continua, parlant avec une certaine hésitation, tandis que ses yeux interrogeaient le père Plantat.

– C’est dans le passé, je le sens, qu’il faut chercher les raisons de ce meurtre d’aujourd’hui et les motifs de la terrible résolution de l’assassin. Un crime liait le comte et la comtesse si indissolublement, que la mort seule de l’un pouvait rendre la liberté à l’autre. Ce crime, je l’ai soupçonné du premier coup, je l’ai entrevu à chaque moment depuis ce matin, et l’homme que nous venons d’enfermer là, Robelot le rebouteux, qui voulait assassiner monsieur le juge de paix, en a été l’agent ou le complice.

Le docteur Gendron n’avait pas assisté aux diverses scènes qui, dans la journée au Valfeuillu, le soir chez le maire d’Orcival, avaient établi une tacite entente entre le père Plantat et l’homme de la préfecture. Il lui fallait toute la perspicacité dont il est doué pour combler les lacunes et deviner les sous-entendus de la conversation qu’il écoutait depuis deux heures. Les derniers mots de l’agent de la Sûreté furent pour lui un trait de lumière, et il s’écria:

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[2] Sic. Mais il s’agit en fait des éloges du docteur, M. Gendron. (Note du correcteur – ELG.)

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