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On entendit le pas du comte dans l’escalier.

– Voici Hector, fit Laurence, vite, bien vite, cachez-vous.

Et comme ils disparaissaient elle ajouta, mais non si bas que l’agent de la Sûreté ne l’entendit:

– Soyez tranquilles, nous ne nous évaderons pas.

Elle laissa retomber la portière; il était temps, Hector entrait. Il était plus pâle que la mort, ses yeux avaient une affreuse expression d’égarement.

– Nous sommes perdus, dit-il, on nous poursuit. Vois, cette lettre que je viens de recevoir, ce n’est pas l’homme dont elle porte la signature qui l’a écrite, il me l’a dit. Viens, partons, quittons cet hôtel…

Laurence l’écrasa d’un regard plein de haine et de mépris, et dit:

– Il est trop tard.

Sa contenance, sa voix étaient si extraordinaires que Trémorel, malgré son trouble, en fut frappé et demanda:

– Qu’y a-t-il?

– On sait tout, on sait que vous avez assassiné votre femme.

– C’est faux.

Elle haussa les épaules.

– Eh bien! oui, c’est vrai, oui, c’est que je t’aimais tant!…

– Vraiment! Est-ce aussi par amour pour moi que vous avez empoisonné Sauvresy?

Il comprit, qu’en effet, il était découvert, qu’on l’avait attiré dans un piège, qu’on était venu, en son absence, informer Laurence de tout. Il n’essaya pas de nier.

– Que faire? s’écria-t-il, que faire?

Laurence l’attira vers elle, et, d’une voix frémissante, elle murmura:

– Sauvez le nom de Trémorel, il y a des armes ici.

Il recula, comme s’il eût vu la mort elle-même.

– Non, fit-il, non, je peux encore fuir, me cacher, je pars seul, tu viendras me rejoindre.

– Je vous l’ai déjà dit, il est trop tard, la police a cerné la maison. Et vous le savez, c’est le bagne ou l’échafaud.

– On peut se sauver par la cour.

– Elle est gardée, voyez.

Il courut à la fenêtre, aperçut les hommes de M. Lecoq et revint hideux de terreur, à moitié fou.

– On peut toujours essayer, disait-il, en se déguisant…

– Insensé! Il y a là, tenez, un agent de police, et c’est lui qui a laissé sur le coin de cette table ce mandat d’arrêt.

Il vit qu’il était perdu sans ressources.

– Faut-il donc mourir! murmura-t-il.

– Oui, il le faut, mais, auparavant, écrivez une déclaration de vos crimes, on peut soupçonner des innocents…

Machinalement il s’assit, prit la plume que lui tendait Laurence, et écrivit:

«Près de paraître devant Dieu, je déclare que seul et sans complices j’ai empoisonné Sauvresy et tué la comtesse de Trémorel ma femme.»

Quand il eut signé et daté, Laurence ouvrit un des tiroirs du bureau où se trouvaient des pistolets. Hector en saisit un, elle s’empara de l’autre.

Mais comme à l’hôtel autrefois, comme dans la chambre de Sauvresy mourant, Trémorel, au moment d’appuyer l’arme sur son front, sentit le cœur lui manquer. Il était livide, ses dents claquaient, il tremblait au point qu’il faillit laisser échapper le pistolet.

– Laurence, balbutia-t-il, ma bien-aimée, que vas-tu devenir?…

– Moi! j’ai juré que partout et toujours je vous suivrais. Comprenez-vous?

– Ah! c’est horrible, dit-il encore. Ce n’est pas moi qui ai empoisonné Sauvresy, c’est elle, il y a des preuves; peut-être qu’avec un bon avocat…

M. Lecoq ne perdait ni un mot, ni un geste de cette scène poignante. Volontairement ou involontairement, qui sait? il poussa la porte qui fît du bruit.

Laurence crut que cette porte s’ouvrait, que l’agent revenait, qu’Hector allait tomber vivant aux mains de la police…

– Misérable lâche! s’écria-t-elle en l’ajustant, tire ou sinon…

Il hésitait, le bruit se renouvela, elle fit feu. Trémorel tomba mort.

D’un geste rapide, Laurence ramassa l’autre pistolet et déjà elle le tournait contre elle, quand M. Lecoq bondit jusqu’à elle et lui arracha l’arme des mains.

– Malheureuse! s’écria-t-il, que voulez-vous?

– Mourir. Est-ce que je puis vivre, maintenant?

– Oui, vous pouvez vivre, répondit l’agent de la Sûreté, et je dirai plus, vous devez vivre.

– Je suis une fille perdue…

– Non. Vous êtes une pauvre enfant séduite par un misérable. Vous êtes bien coupable, dites-vous, soit, vivez pour expier. Les grandes douleurs comme la vôtre ont leur mission en ce monde, mission de dévouement et de charité. Vivez, et le bien que vous ferez vous rattachera à la vie. Vous avez cédé aux trompeuses promesses d’un scélérat, souvenez-vous, quand vous serez riche, qu’il y a de pauvres filles honnêtes, forcées de se vendre pour un morceau de pain. Allez à ces malheureuses, arrachez-les à la débauche, et leur honneur sera le vôtre.

M. Lecoq observait Laurence tout en parlant, et il s’aperçut qu’il la touchait. Pourtant ses yeux restaient secs et avaient un éclat inquiétant.

– D’ailleurs, reprit-il, votre vie n’est pas à vous, vous êtes mère.

– Eh! répondit-elle, c’est pour mon enfant qu’il faut que je meure maintenant, si je ne veux pas mourir de honte quand il me demandera qui est son père…

– Vous lui répondrez, madame, en lui montrant un honnête homme, en lui montrant un vieil ami, M. Plantat, qui est prêt à lui donner son nom.

Le vieux juge de paix était mourant; pourtant, il eut encore la force de dire:

– Laurence, ma fille bien-aimée, je vous en conjure, acceptez…

Ces simples mots, prononcés avec une douceur infinie, attendrirent enfin la malheureuse jeune fille et la décidèrent. Elle fondit en larmes, elle était sauvée.

M. Lecoq aussitôt, s’empressa de jeter sur les épaules de Laurence un châle qu’il avait aperçu sur un meuble, et passant le bras de la jeune fille sous celui du père Plantat:

– Partez, dit-il au vieux juge de paix, emmenez-la; mes hommes ont ordre de vous laisser passer, et Pâlot vous cédera sa voiture.

– Mais où aller?

– À Orcival, M. Courtois est informé par une lettre de moi que sa fille est vivante, et il l’attend. Allez! allez!

Resté seul, ayant entendu le roulement de la voiture qui emmenait Laurence et le père Plantat, l’agent de la Sûreté vint se placer devant le cadavre de Trémorel.

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