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Elle était en grande toilette, avec une robe neuve, éclatante et tachée, une immense cloche de dentelle et un chapeau invraisemblable. Pourtant elle avait l’air misérable. Enfin, elle était outrageusement «maquillée», toute barbouillée de rouge, de blanc et de bleu, de carmin et de crème de perles.

Elle paraissait fort en colère.

– Voilà une idée! s’écria-t-elle dès le seuil sans songer à saluer personne, cela a-t-il le sens commun de m’envoyer chercher ainsi, presque de force, par une demoiselle qui est de la dernière insolence?

Mais Mme Charman s’était élancée vers son ancienne cliente, l’avait embrassée bon gré mal gré, et la pressait sur son cœur.

– Comment, chère petite, disait-elle, vous vous fâchez lorsque je comptais que vous alliez être ravie et me remercier bien gentiment.

– Moi! pourquoi?…

– Parce que, belle mignonne, j’ai voulu vous réserver une bonne surprise. Ah! je ne suis pas ingrate, moi. Vous êtes venue hier régler votre petit compte, je veux aujourd’hui même vous en récompenser. Allons, vite, souriez, vous allez profiter d’une occasion magnifique, j’ai en ce moment du velours en grande largeur…

– C’était bien la peine de me déranger!…

– Tout soie, ma chère à trente francs le mètre. Hein! est-ce assez inouï, assez invraisemblable, assez…

– Eh! je me soucie bien de votre occasion! Du velours au mois de juillet, vous moquez-vous de moi?

– Laissez-moi vous le montrer.

– Jamais. On m’attend pour aller dîner à Asnières.

Elle allait se retirer en dépit des efforts très sincères de Mme Charman, qui se proposait peut-être de faire d’une pierre deux coups, M. Lecoq jugea qu’il était temps d’intervenir.

– Mais je ne me trompe pas, s’écria-t-il avec des mines de vieux roquentin émoustillé, c’est bien miss Jenny Fancy que j’ai le bonheur de revoir.

Elle le toisa d’un air moitié fâché, moitié surpris, en disant:

– Oui, c’est moi! Après?

– Quoi! vous êtes oublieuse à ce point! Vous ne me reconnaissez pas?

– Non, pas du tout.

– J’étais cependant un de vos admirateurs, ma belle enfant, et j’ai eu le plaisir de déjeuner chez vous quand vous demeuriez près de la Madeleine; c’était du temps du comte.

Il retira ses lunettes, comme pour en essuyer les verres, mais en réalité pour lancer un regard furibond à Mme Charman qui, n’osant résister, battit discrètement en retraite.

– J’étais assez bien avec Trémorel autrefois, reprit M. Lecoq. Et à ce propos, y a-t-il longtemps que vous n’avez eu de ses nouvelles?

– Je l’ai vu il y a huit jours.

– Tiens, tiens, tiens! Alors vous connaissez son horrible affaire.

– Non. Qu’y a-t-il donc?

– Vrai, vous ne savez pas? Vous ne lisez donc pas les journaux? Mais c’est une abominable histoire, ma chère enfant, et on ne parle que de cela dans Paris depuis quarante-huit heures.

– Dites vite.

– Vous savez qu’après son plongeon il a épousé la veuve d’un de ses amis. On le croyait fort heureux en ménage. Pas du tout, il a assassiné sa femme à coups de couteau.

Miss Fancy pâlit sous sa couche épaisse de peinture.

– Est-ce possible balbutia-t-elle.

Elle disait: «Est-ce possible!» mais si elle était très émue, à coup sûr elle n’était pas extrêmement surprise, M. Lecoq le remarqua fort bien.

– C’est si possible, répondit-il, qu’à cette heure il est en prison, qu’il passera en Cour d’assises et que très certainement il sera condamné.

Le père Plantat observait curieusement Jenny. Il s’attendait à une explosion de désespoir, à des cris, à des pleurs, à une légère attaque de nerfs pour le moins. Erreur.

Fancy en était venue à détester Trémorel. Parfois, elle, si impatiente de mépris jadis, elle sentait le poids de ses hontes, et c’est Hector que, bien injustement, elle accusait de son ignominie présente. Elle le haïssait bassement, comme haïssent les filles, lui souriant quand elle le voyait, tirant de lui le plus d’argent possible, et lui souhaitant toutes sortes de malheurs.

Loin de fondre en larmes, Jenny Fancy eut un éclat de rire stupide.

– C’est bien fait pour Trémorel, dit-elle; pourquoi m’a-t-il quittée; c’est bien fait pour elle aussi…

– Comment pour elle aussi?

– Bien sûr! Pourquoi trompait-elle son mari, un charmant garçon? C’est elle qui m’a enlevé Hector. Une femme mariée et riche! Hector n’est qu’un misérable, je l’ai toujours dit.

– Franchement, c’était aussi mon avis. Quand un homme, voyez-vous, se conduit comme Trémorel s’est conduit avec vous, il est jugé.

– N’est-ce pas?

– Parbleu! Aussi ne suis-je pas surpris de sa conduite. Car, sachez-le, avoir assassiné sa femme est le moindre de ses crimes. Ne voilà-t-il pas qu’il essaye de rejeter son meurtre sur un autre.

– Cela ne m’étonne pas.

– Il accuse un pauvre diable, innocent, dit-on, comme vous et moi, et qui cependant sera peut-être condamné à mort faute de pouvoir dire où il a passé la soirée et la nuit de mercredi à jeudi.

M. Lecoq avait prononcé cette phrase d’un ton léger, mais avec une lenteur calculée, afin de bien juger de l’impression qu’elle produirait sur Fancy. L’effet fut si terrible qu’elle chancela.

– Savez-vous quel est cet homme demanda-t-elle d’une voix tremblante.

– Les journaux disent que c’est un pauvre garçon qui était jardinier chez lui.

– Un petit, n’est-ce pas? maigre, très brun avec des cheveux noirs et plats?

– Précisément.

– Et qui s’appelle…, attendez donc… qui s’appelle… Guespin.

– Ah ça, vous le connaissez donc?

Miss Fancy hésitait. Elle était fort tremblante, on voyait qu’elle regrettait de s’être tant avancée.

– Bah! fit-elle enfin, je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas ce que je sais. Je suis une honnête fille moi, si Trémorel est un coquin, et je ne veux pas qu’on coupe le cou d’un pauvre diable qui est innocent.

– Vous savez donc quelque chose?

– Dites donc que je sais tout, et c’est bien simple, allez. Il y a de cela une huitaine de jours, mon Hector, qui soi-disant ne voulait plus me revoir, m’écrit pour me donner un rendez-vous à Melun. J’y vais, je le trouve et nous déjeunons ensemble. Alors voilà qu’il me raconte qu’il est bien ennuyé, que sa cuisinière se marie, mais qu’un de ses domestiques est si amoureux d’elle, qu’il est capable d’aller faire du scandale à la noce, de troubler le bal et même de tenter un mauvais coup.

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