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"Le citoyen Robespierre est malade, me dit-il d'un ton de voix clair et très impérieux, en fronçant ses petits sourcils blonds. Faut venir à deux heures le voir."

En même temps il jeta de toute sa force ma pièce de deux sous contre une des vitres du carré, la mit en morceaux et descendit l'escalier à cloche-pied en sifflant: Ça ira!

"Que demandez-vous?» dis-je au vieux domestique; et, comme je vis que celui-là avait besoin d'être rassuré, je lui pris le bras par le coude et le fis entrer dans l'antichambre.

Le bonhomme referma la porte de l'escalier avec de grandes précautions, regarda autour de lui encore une fois, s'avança en rasant la muraille, et me dit à voix basse:

"C'est que… monsieur, c'est que madame la duchesse est bien souffrante aujourd'hui…

– Laquelle? lui dis-je: voyons, parlez plus vite et plus haut. Je ne vous ai pas encore vu."

Le pauvre homme parut un peu effrayé de ma brusquerie et, de même qu'il avait été déconcerté par la présence du petit garçon, il le fut complètement par la mienne; ses vieilles joues pâles rougirent sur leurs pommettes; il fut obligé de s'asseoir et ses genoux tremblaient un peu.

"C'est madame de Saint-Aignan, me dit-il timidement et le plus bas qu'il put.

– Eh bien, lui dis-je, du courage, je l'ai déjà soignée J'irai la voir ce matin à la maison Lazare: soyez tranquille, mon ami. La traite-t-on un peu mieux?

– Toujours de même, dit-il en soupirant; il y a quelqu'un là qui lui donne un peu de fermeté, mais j'ai bien des raisons de craindre pour cette personne-là, et alors, certainement, madame succombera. Oui, telle que je la connais, elle succombera, elle n'en reviendra pas.

– Bah! bah! mon brave homme, les femmes facilement abattues se relèvent aisément. Je sais des idées pour soutenir bien des faibles. J'irai lui parler ce matin."

Le bonhomme voulait bien m'en dire plus long, mais je le pris par la main et lui dis:»Tenez, mon ami, réveillez-moi mon domestique, si vous le pouvez, et dites-lui qu'il me faut un chapeau pour sortir."

J'allais le laisser dans l'antichambre et je ne prenais plus garde à lui, lorsqu'en ouvrant la porte de mon cabinet, je m'aperçus qu'il me suivait, et il entra avec moi. Il avait, en entrant, jeté un long regard de terreur sur Blaireau, qui n'avait garde de s'éveiller.

"Eh bien, lui dis-je, êtes-vous fou?

– Non, monsieur; je suis suspect, me dit-il.

– Ah! c'est différent. C'est une position assez triste, mais respectable, repris-je. J'aurais dû vous deviner à cet amour de se déguiser en domestique qui vous tient tous. C'est une monomanie. Eh bien, monsieur, j'ai là une grande armoire vide, s'il peut être agréable d'y entrer?»

J'ouvris les deux battants de l'armoire, et le saluai comme lorsqu'on fait à quelqu'un les honneurs d'une chambre à coucher.

"Je crains, ajoutai-je, que vous n'y soyez pas commodément; pourtant j'y ai déjà logé six personnes l'une après l'autre."

C'était ma foi vrai.

Mon bonhomme prit, lorsqu'il fut seul avec moi, un air tout différent de sa première façon d'être. Il se grandit et se mit à son aise: je vis un beau vieillard, moins voûté, plus digne, mais toujours pâle. Sur mes assurances qu'il ne risquait rien et pouvait parler, il osa s'asseoir et respirer.

"Monsieur, me dit-il en baissant les yeux pour se remettre et s'efforcer de reprendre la dignité de son rang, monsieur, je veux sur-le-champ vous mettre au fait de ma personne et de ma visite. Je suis monsieur de Chénier. J'ai deux fils qui, malheureusement, on assez mal tourné: ils ont tous deux donné dans la révolution. L'un est représentant, j'en gémirai toute ma vie, c'est le plus mauvais; l'aîné est en prison, c'est le meilleur. Il est un peu dégrisé, monsieur, dans ce moment-ci, et je ne sais vraiment pas plus que lui pourquoi on me l'a coffré, ce pauvre garçon; car il a fait des écrits bien révolutionnaires et qui ont dû plaire à tous ces buveurs de sang…

– Monsieur, lui dis-je, je vous demanderai la permission de vous rappeler qu'il y a un de ces buveurs qui m'attend à déjeuner.

– Je le sais, monsieur, mais je croyais que c'était seulement en qualité de docteur, profession pour laquelle j'ai la plus haute vénération; car après les médecins de l'âme, qui sont les prêtres et tous les ecclésiastiques généralement parlant, car je ne veux excepter aucun des ordres monastiques, certainement les médecins du corps…

– … doivent arriver à temps pour le sauver, interrompis-je encore en lui secouant le bras pour le réveiller du radotage qui commençait à l'assoupir; je connais messieurs vos fils…

– Pour abréger, monsieur, la seule chose qui me console, me dit-il, c'est que l'aîné, le prisonnier, l'officier, n'est pas poète comme celui de Charles IX, et par conséquent, lorsque je l'aurai tiré d'affaire comme j'espère, avec votre aide, si vous voulez bien le permettre, il n'attirera pas les yeux sur lui par une publicité d'auteur.

– Bien jugé, dis-je, prenant mon parti d'écouter.

– N'est-ce pas, monsieur? continua cet excellent homme. André a de l'esprit, du reste, et c'est lui qui a rédigé la lettre de Louis XVI à la Convention. Si je me suis travesti, c'est par égard pour vous, qui fréquentez tous ces coquins-là, et pour ne pas vous compromettre.

– L'indépendance de caractère et le désintéressement ne peuvent jamais être compromis, dis-je en passant, allez toujours.

– Mort-Dieu! monsieur, reprit-il avec une certaine vieille chaleur militaire, savez-vous qu'il serait affreux de compromettre un galant homme comme vous, à qui l'on vient demander un service!

– J'ai déjà eu l'honneur de vous offrir…, repris-je en montrant mon armoire avec galanterie.

– Ce n'est point là ce qu'il me faut, me dit-il; je ne prétends point me cacher; je veux me montrer au contraire plus que jamais. Nous sommes dans un temps où il faut se remuer: à tout âge il faut se remuer, et je ne crains pas pour ma vieille tête. Mon pauvre André m'inquiète, monsieur; je ne puis supporter qu'il reste à cette effroyable maison de Saint-Lazare.

– Il faut qu'il reste en prison, dis-je rudement, c'est ce qu'il a de mieux à faire.

– J'irai…

– Gardez-vous d'aller.

– Je parlerai…

– Gardez-vous de parler."

Le pauvre homme se tut tout à coup, et joignit les mains entre ses deux genoux avec une tristesse et une résignation capables d'attendrir les plus durs des hommes. Il me regardait comme un criminel à la question regardait son juge dans quelque bienheureuse Epoque Organique. Son vieux front nu se couvrit de rides, comme une mer paisible se couvre de vagues, et ces vagues prirent cours d'abord du bas en haut par étonnement, puis du haut en bas par affliction.

"Je vois bien, me dit-il, que madame de Saint-Aignan s'est trompée; je ne vous en veux point, parce que dans ces temps mauvais chacun suit sa route, mais je vous demande seulement le secret, et je ne vous importunerai plus, citoyen."

Ce dernier mot me toucha plus que tout le reste, par l'effort que fit le bon vieillard pour le prononcer. Sa bouche sembla jurer, et jamais depuis sa création le mot de citoyen n'eut un pareil son. La première syllabe siffla longtemps, et les deux autres murmurèrent rapidement comme le coassement d'une grenouille qui barbote dans un marais. Il y avait un mépris, une douleur suffocante, un désespoir si vrai dans ce citoyen, que vous en eussiez frissonné, surtout si vous eussiez vu le bon vieillard se lever péniblement en appuyant ses deux mains à veines bleues sur ses deux genoux, pour réussir à s'enlever du fauteuil. Je l'arrêtai au moment où il allait arriver à se tenir debout, et je le replaçai doucement sur le coussin.

"Madame de Saint-Aignan ne vous a point trompé, lui dis-je; vous êtes devant un homme sûr, monsieur. Je n'ai jamais trahi les soupirs de personne, et j'en ai reçu beaucoup, surtout des derniers soupirs, depuis quelque temps…"

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