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Le roi se remit à rire comme le plus heureux cokney de son royaume.

– Vous reviendrez me voir avant de partir, chevalier, dit-il; j'aurai besoin d'une provision de gaieté, maintenant que mes Français vont être partis.

– Ah! Sire, il n'en sera pas de la gaieté comme de l'épée du duc, et je la donnerai gratis à Votre Majesté, répliqua d'Artagnan, dont les pieds ne touchaient plus la terre.

– Et vous, comte, ajouta Charles en se tournant vers Athos, revenez aussi, j'ai un important message à vous confier. Votre main, duc.

Monck serra la main du roi.

– Adieu, messieurs, dit Charles en tendant chacune de ses mains aux deux Français, qui y posèrent leurs lèvres.

– Eh bien! dit Athos quand ils furent dehors, êtes-vous content?

– Chut! dit d'Artagnan tout ému de joie; je ne suis pas encore revenu de chez le trésorier… la gouttière peut me tomber sur la tête.

Chapitre XXXIV – De l'embarras des richesses

D'Artagnan ne perdit pas de temps, et sitôt que la chose fut convenable et opportune, il rendit visite au seigneur trésorier de Sa Majesté.

Il eut alors la satisfaction d'échanger un morceau de papier, couvert d'une fort laide écriture, contre une quantité prodigieuse d'écus frappés tout récemment à l'effigie de Sa Très Gracieuse Majesté Charles II.

D'Artagnan se rendait facilement maître de lui-même; toutefois, en cette occasion, il ne put s'empêcher de témoigner une joie que le lecteur comprendra peut-être, s'il daigne avoir quelque indulgence pour un homme qui, depuis sa naissance, n'avait jamais vu tant de pièces et de rouleaux de pièces juxtaposés dans un ordre vraiment agréable à l'œil. Le trésorier renferma tous ces rouleaux dans des sacs, ferma chaque sac d'une estampille aux armes d'Angleterre, faveur que les trésoriers n'accordent pas à tout le monde.

Puis, impassible et tout juste aussi poli qu'il devait l'être envers un homme honoré de l'amitié du roi, il dit à d'Artagnan:

– Emportez votre argent, monsieur.

Votre argent! Ce mot fit vibrer mille cordes que d'Artagnan n'avait jamais senties en son cœur. Il fit charger les sacs sur un petit chariot et revint chez lui méditant profondément. Un homme qui possède trois cent mille livres ne peut plus avoir le front uni: une ride par chaque centaine de mille livres, ce n'est pas trop.

D'Artagnan s'enferma, ne dîna point, refusa sa porte à tout le monde, et, la lampe allumée, le pistolet armé sur la table, il veilla toute la nuit, rêvant au moyen d'empêcher que ces beaux écus, qui du coffre royal avaient passé dans ses coffres à lui, ne passassent de ses coffres dans les poches d'un larron quelconque. Le meilleur moyen que trouva le Gascon, ce fut d'enfermer son trésor momentanément sous des serrures assez solides pour que nul poignet ne les brisât, assez compliquées pour que nulle clef banale ne les ouvrît.

D'Artagnan se souvint que les Anglais sont passés maîtres en mécanique et en industrie conservatrice; il résolut d'aller dès le lendemain à la recherche d'un mécanicien qui lui vendît un coffre-fort. Il n'alla pas bien loin. Le sieur Will Jobson, domicilié dans Piccadilly, écouta ses propositions, comprit ses désastres, et lui promit de confectionner une serrure de sûreté qui le délivrât de toute crainte pour l'avenir.

– Je vous donnerai, dit-il, un mécanisme tout nouveau. À la première tentative un peu sérieuse faite sur votre serrure, une plaque invisible s'ouvrira, un petit canon également invisible vomira un joli boulet de cuivre du poids d'un marc, qui jettera bas le maladroit, non sans un bruit notable. Qu'en pensez-vous?

– Je dis que c'est vraiment ingénieux, s'écria d'Artagnan; le petit boulet de cuivre me plaît véritablement. Çà, monsieur le mécanicien, les conditions?

– Quinze jours pour l'exécution, et quinze mille livres payables à la livraison, répondit l'artiste.

D'Artagnan fronça le sourcil. Quinze jours étaient un délai suffisant pour que tous les filous de Londres eussent fait disparaître chez lui la nécessité d'un coffre-fort. Quant aux quinze mille livres, c'était payer bien cher ce qu'un peu de vigilance lui procurerait pour rien.

– Je réfléchirai, fit-il; merci, monsieur.

Et il retourna chez lui au pas de course; personne n'avait encore approché du trésor.

Le jour même, Athos vint rendre visite à son ami et le trouva soucieux au point qu'il lui en manifesta sa surprise.

– Comment! vous voilà riche, dit-il, et pas gai! vous qui désiriez tant la richesse…

– Mon ami, les plaisirs auxquels on n'est pas habitué gênent plus que les chagrins dont on avait l'habitude. Un avis, s'il vous plaît. Je puis vous demander cela, à vous qui avez toujours eu de l'argent: quand on a de l'argent, qu'en fait-on?

– Cela dépend.

– Qu'avez-vous fait du vôtre, pour qu'il ne fît de vous ni un avare ni un prodigue? Car l'avarice dessèche le cœur, et la prodigalité le noie… n'est-ce pas?

– Fabricius ne dirait pas plus juste. Mais, en vérité, mon argent ne m'a jamais gêné.

– Voyons, le placez-vous sur les rentes?

– Non; vous savez que j'ai une assez belle maison et que cette maison compose le meilleur de mon bien.

– Je le sais.

– En sorte que vous serez aussi riche que moi, plus riche même quand vous le voudrez, par le même moyen.

– Mais les revenus, les encaissez-vous?

– Non.

– Que pensez-vous d'une cachette dans un mur plein?

– Je n'en ai jamais fait usage.

– C'est qu'alors vous avez quelque confident, quelque homme d'affaires sûr, et qui vous paie l'intérêt à un taux honnête.

– Pas du tout.

– Mon Dieu! que faites-vous alors?

– Je dépense tout ce que j'ai, et je n'ai que ce que je dépense, mon cher d'Artagnan.

– Ah! voilà. Mais vous êtes un peu prince, vous, et quinze à seize mille livres de revenu vous fondent dans les doigts; et puis vous avez des charges, de la représentation.

– Mais je ne vois pas que vous soyez beaucoup moins grand seigneur que moi, mon ami, et votre argent vous suffira bien juste.

– Trois cent mille livres! Il y a là deux tiers de superflu.

– Pardon, mais il me semblait que vous m'aviez dit… j'ai cru entendre, enfin… je me figurais que vous aviez un associé…

– Ah! mordioux! c'est vrai! s'écria d'Artagnan en rougissant, il y a Planchet. J'oubliais Planchet, sur ma vie!… Eh bien! voilà mes cent mille écus entamés… C'est dommage, le chiffre était rond, bien sonnant… C'est vrai, Athos, je ne suis plus riche du tout. Quelle mémoire vous avez!

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