Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Milord, c'est principalement pour avoir l'honneur de passer quelques instants de plus avec vous.

Après cet échange de civilités, pendant lequel Monck n'avait rien perdu de sa circonspection, le souper, ou ce qui devait en tenir lieu, avait été servi sur une table de bois de sapin. Monck fit signe au comte de La Fère de s'asseoir à cette table et prit place en face de lui. Un seul plat, couvert de poisson bouilli, offert aux deux illustres convives, promettait plus aux estomacs affamés qu'aux palais difficiles.

Tout en soupant, c'est-à-dire en mangeant ce poisson arrosé de mauvaise ale, Monck se fit raconter les derniers événements de la Fronde, la réconciliation de M. de Condé avec le roi, le mariage probable de Sa Majesté avec l'infante Marie-Thérèse; mais il évita, comme Athos l'évitait lui-même, toute allusion aux intérêts politiques qui unissaient ou plutôt qui désunissaient en ce moment l'Angleterre, la France et la Hollande. Monck, dans cette conversation, se convainquit d'une chose, qu'il avait déjà remarquée aux premiers mots échangés, c'est qu'il avait affaire à un homme de haute distinction.

Celui-là ne pouvait être un assassin, et il répugnait à Monck de le croire un espion; mais il y avait assez de finesse et de fermeté à la fois dans Athos pour que Monck crût reconnaître en lui un conspirateur. Lorsqu'ils eurent quitté la table:

– Vous croyez donc à votre trésor, monsieur? demanda Monck.

– Oui, milord.

– Sérieusement?

– Très sérieusement.

– Et vous croyez retrouver la place à laquelle il a été enterré?

– À la première inspection.

– Eh bien! monsieur, dit Monck, par curiosité, je vous accompagnerai. Et il faut d'autant plus que je vous accompagne, que vous éprouveriez les plus grandes difficultés à circuler dans le camp sans moi ou l'un de mes lieutenants.

– Général, je ne souffrirais pas que vous vous dérangeassiez si je n'avais, en effet, besoin de votre compagnie; mais comme je reconnais que cette compagnie m'est non seulement honorable, mais nécessaire, j'accepte.

– Désirez-vous que nous emmenions du monde? demanda Monck à Athos.

– Général, c'est inutile, je crois, si vous-même n'en voyez pas la nécessité. Deux hommes et un cheval suffiront pour transporter les deux barils sur la felouque qui m'a amené.

– Mais il faudra piocher, creuser, remuer la terre, fendre des pierres, et vous ne comptez pas faire cette besogne vous-même, n'est-ce pas?

– Général, il ne faut ni creuser, ni piocher. Le trésor est enfoui dans le caveau des sépultures du couvent; sous une pierre, dans laquelle est scellé un gros anneau de fer, s'ouvre un petit degré de quatre marches. Les deux barils sont là, bout à bout, recouverts d'un enduit de plâtre ayant la forme d'une bière. Il y a en outre une inscription qui doit me servir à reconnaître la pierre; et comme je ne veux pas, dans une affaire de délicatesse et de confiance, garder de secrets pour Votre Honneur, voici cette inscription:

Hic jacet venerabilis Petrus Guillelmus Scott, Canon.

Honorab. Conventus Novi Castelli. Obiit quarta et decima die. Feb. ann. Dom., MCCVIII. Requiescat in pace.

Monck ne perdait pas une parole. Il s'étonnait, soit de la duplicité merveilleuse de cet homme et de la façon supérieure dont il jouait son rôle, soit de la bonne foi loyale avec laquelle il présentait sa requête, dans une situation où il s'agissait d'un million aventuré contre un coup de poignard, au milieu d'une armée qui eût regardé le vol comme une restitution.

– C'est bien, dit-il, je vous accompagne, et l'aventure me paraît si merveilleuse, que je veux porter moi-même le flambeau. Et en disant ces mots, il ceignit une courte épée, plaça un pistolet à sa ceinture, découvrant, dans ce mouvement, qui fit entrouvrir son pourpoint, les fins anneaux d'une cotte de mailles destinée à le mettre à l'abri du premier coup de poignard d'un assassin. Après quoi, il passa un dirk écossais dans sa main gauche; puis, se tournant vers Athos:

– Êtes-vous prêt, monsieur? dit-il. Je le suis.

Athos, au contraire de ce que venait de faire Monck, détacha son poignard, qu'il posa sur la table, dégrafa le ceinturon de son épée, qu'il coucha près de son poignard, et sans affectation, ouvrant les agrafes de son pourpoint comme pour y chercher son mouchoir, montra sous sa fine chemise de batiste sa poitrine nue et sans armes offensives ni défensives.

«Voilà, en vérité, un singulier homme, se dit Monck, il est sans arme aucune; il a donc une embuscade placée là-bas?»

– Général, dit Athos, comme s'il eût deviné la pensée de Monck, vous voulez que nous soyons seuls, c'est fort bien; mais un grand capitaine ne doit jamais s'exposer avec témérité: il fait nuit, le passage du marais peut offrir des dangers, faites-vous accompagner.

– Vous avez raison, dit Monck.

Et appelant:

– Digby!

L'aide de camp parut.

– Cinquante hommes avec l'épée et le mousquet, dit-il.

Et il regardait Athos.

– C'est bien peu, dit Athos, s'il y a du danger; c'est trop, s'il n'y en a pas.

– J'irai seul, dit Monck. Digby, je n'ai besoin de personne. Venez, monsieur.

Chapitre XXV – Le marais

Athos et Monck traversèrent, allant du camp vers la Tweed, cette partie de terrain que Digby avait fait traverser aux pêcheurs venant de la Tweed au camp. L'aspect de ce lieu, l'aspect des changements qu'y avaient apportés les hommes, était de nature à produire le plus grand effet sur une imagination délicate et vive comme celle d'Athos. Athos ne regardait que ces lieux désolés; Monck ne regardait qu'Athos, Athos qui, les yeux tantôt vers le ciel, tantôt vers la terre, cherchait, pensait, soupirait.

Digby, que le dernier ordre du général, et surtout l'accent avec lequel il avait été donné, avait un peu ému d'abord, Digby suivit les nocturnes promeneurs pendant une vingtaine de pas; mais le général s'étant retourné, comme s'il s'étonnait que l'on n'exécutât point ses ordres, l'aide de camp comprit qu'il était indiscret et rentra dans sa tente. Il supposait que le général voulait faire incognito dans son camp une de ces revues de vigilance que tout capitaine expérimenté ne manque jamais de faire à la veille d'un engagement décisif, il s'expliquait en ce cas la présence d'Athos, comme un inférieur s'explique tout ce qui est mystérieux de la part du chef, Athos pouvait être, et même aux yeux de Digby devait être un espion dont les renseignements allaient éclairer le général. Au bout de dix minutes de marche à peu près parmi les tentes et les postes, plus serrés aux environs du quartier général, Monck s'engagea sur une petite chaussée qui divergeait en trois branches. Celle de gauche conduisait à la rivière, celle du milieu à l'abbaye de Newcastle sur le marais, celle de droite traversait les premières lignes du camp de Monck, c'est-à-dire les lignes les plus rapprochées de l'armée de Lambert.

57
{"b":"125135","o":1}