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– Ah! Porthos, s'écria d'Artagnan en laissant tomber ses bras comme un vaincu qui rend son épée; ah! mon ami, vous n'êtes pas seulement un topographe herculéen, vous êtes encore un dialecticien de première trempe.

– N'est-ce pas, répondit Porthos, que c'est puissamment raisonné?

Et il souffla comme le congre que d'Artagnan avait laissé échapper le matin.

– Et maintenant, continua d'Artagnan, ce maraud qui accompagne M. Gétard est-il aussi de la maison de M. Fouquet?

– Oh! fit Porthos avec mépris, c'est un M. Jupenet ou Juponet, une espèce de poète.

– Qui vient s'établir ici?

– Je crois que oui.

– Je pensais que M. Fouquet avait bien assez de poètes là-bas: Scudéry, Loret, Pellisson, La Fontaine. S'il faut que je vous dise la vérité, Porthos, ce poète-là vous déshonore.

– Eh! mon ami, ce qui nous sauve, c'est qu'il n'est pas ici comme poète.

– Comment donc y est-il?

– Comme imprimeur, et même vous me faites songer que j'ai un mot à lui dire, à ce cuistre.

– Dites.

Porthos fit un signe à Jupenet, lequel avait bien reconnu d'Artagnan et ne se souciait pas d'approcher; ce qui amena tout naturellement un second signe de Porthos.

Ce signe était tellement impératif, qu'il fallait obéir cette fois.

Il s'approcha donc.

– Ça! dit Porthos, vous voilà débarqué d'hier et vous faites déjà des vôtres.

– Comment cela, monsieur le baron? demanda Jupenet tout tremblant.

– Votre presse a gémi toute la nuit, monsieur, dit Porthos, et vous m'avez empêché de dormir, corne de bœuf!

– Monsieur… objecta timidement Jupenet.

– Vous n'avez rien encore à imprimer; donc vous ne devez pas encore faire aller la presse. Qu'avez-vous donc imprimé cette nuit?

– Monsieur, une poésie légère de ma composition.

– Légère! Allons donc, monsieur, la presse criait que c'était pitié. Que cela ne vous arrive plus, entendez-vous?

– Non, monsieur.

– Vous me le promettez?

– Je le promets.

– C'est bien; pour cette fois, je vous pardonne. Allez!

Le poète se retira avec la même humilité dont il avait fait preuve en arrivant.

– Eh bien! maintenant que nous avons lavé la tête à ce drôle, déjeunons, dit Porthos.

– Oui, dit d'Artagnan, déjeunons.

– Seulement, dit Porthos, je vous ferai observer, mon ami, que nous n'avons que deux heures pour notre repas.

– Que voulez-vous! nous tâcherons d'en faire assez. Mais pourquoi n'avons-nous que deux heures?

– Parce que la marée monte à une heure, et qu'avec la marée je pars pour Vannes. Mais, comme je reviens demain, cher ami, restez chez moi, vous y serez le maître. J'ai bon cuisinier, bonne cave.

– Mais non, interrompit d'Artagnan, mieux que cela.

– Quoi?

– Vous allez à Vannes, dites-vous?

– Sans doute.

– Pour voir Aramis?

– Oui.

– Eh bien! moi qui étais venu de Paris exprès pour voir Aramis…

– C'est vrai.

– Je partirai avec vous.

– Tiens! c'est cela.

– Seulement, je devais commencer par voir Aramis, et vous après. Mais l'homme propose et Dieu dispose. J'aurai commencé par vous, je finirai par Aramis.

– Très bien!

– Et en combien d'heures allez-vous d'ici à Vannes?

– Ah! mon Dieu! en six heures. Trois heures de mer d'ici à Sarzeau, trois heures de route de Sarzeau à Vannes.

– Comme c'est commode! Et vous allez souvent à Vannes, étant si près de l'évêché?

– Oui, une fois par semaine. Mais attendez que je prenne mon plan.

Porthos ramassa son plan, le plia avec soin et l'engouffra dans sa large poche.

– Bon! dit à part d'Artagnan, je crois que je sais maintenant quel est le véritable ingénieur qui fortifie Belle-Île. Deux heures après, à la marée montante, Porthos et d'Artagnan partaient pour Sarzeau.

Chapitre LXXI – Une procession à Vannes

La traversée de Belle-Île à Sarzeau se fit assez rapidement, grâce à l'un de ces petits corsaires dont on avait parlé à d'Artagnan pendant son voyage, et qui, taillés pour la course et destinés à la chasse, s'abritaient momentanément dans la rade de Locmaria, où l'un d'eux, avec le quart de son équipage de guerre, faisait le service entre Belle-Île et le continent.

D'Artagnan eut l'occasion de se convaincre cette fois encore que Porthos, bien qu'ingénieur et topographe, n'était pas profondément enfoncé dans les secrets d'État.

Sa parfaite ignorance, au reste, eût passé près de tout autre pour une savante dissimulation. Mais d'Artagnan connaissait trop bien tous les plis et replis de son Porthos pour ne pas y trouver un secret s'il y était, comme ces vieux garçons rangés et minutieux savent trouver, les yeux fermés, tel livre sur les rayons de la bibliothèque, telle pièce de linge dans un tiroir de leur commode.

Donc, s'il n'avait rien trouvé, ce rusé d'Artagnan, en roulant et en déroulant son Porthos, c'est qu'en vérité il n'y avait rien.

– Soit, dit d'Artagnan; j'en saurai plus à Vannes en une demi-heure que Porthos n'en a su à Belle-Île en deux mois. Seulement, pour que je sache quelque chose, il importe que Porthos n'use pas du seul stratagème dont je lui laisse la disposition. Il faut qu'il ne prévienne point Aramis de mon arrivée.

Tous les soins du mousquetaire se bornèrent donc pour le moment à surveiller Porthos.

Et, hâtons-nous de le dire, Porthos ne méritait pas cet excès de défiance. Porthos ne songeait aucunement à mal.

Peut-être, à la première vue, d'Artagnan lui avait-il inspiré un peu de défiance; mais presque aussitôt d'Artagnan avait reconquis dans ce bon et brave cœur la place qu'il y avait toujours occupée, et pas le moindre nuage n'obscurcissait le gros œil de Porthos se fixant de temps en temps avec tendresse sur son ami.

En débarquant, Porthos s'informa si ses chevaux l'attendaient Et, en effet, il les aperçut bientôt à la croix du chemin qui tourne autour de Sarzeau et qui, sans traverser cette petite ville, aboutit à Vannes. Ces chevaux étaient au nombre de deux: celui de M. de Vallon et celui de son écuyer.

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