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«Maintenant, que veut le roi? Cela ne me regarde pas.

«Maintenant, que veut M. Colbert? oh! c'est autre chose. M. Colbert veut tout ce que ne veut pas M. Fouquet.

«Que veut donc M. Fouquet? oh! oh! ceci est grave. M. Fouquet veut précisément tout ce que veut le roi.

Ce monologue achevé, d'Artagnan se remit à rire en faisant siffler sa houssine. Il était déjà en pleine grande route, effarouchant les oiseaux sur les haies, écoutant les louis qui dansaient à chaque secousse dans sa poche de peau, et, avouons-le, chaque fois que d'Artagnan se rencontrait en de pareilles conditions, la tendresse n'était pas son vice dominant.

– Allons, dit-il, l'expédition n'est pas fort dangereuse, et il en sera de mon voyage comme de cette pièce que M. Monck me mena voir à Londres, et qui s'appelle, je crois: beaucoup de bruit pour rien.

Chapitre LXVI – Voyage

C'était la cinquantième fois peut-être, depuis le jour où nous avons ouvert cette histoire, que cet homme au cœur de bronze et aux muscles d'acier avait quitté maison et amis, tout enfin, pour aller chercher la fortune et la mort. L'une, c'est-à-dire la mort, avait constamment reculé devant lui comme si elle en eût peur; l'autre, c'est-à-dire la fortune, depuis un mois seulement avait fait réellement alliance avec lui. Quoique ce ne fût pas un grand philosophe, selon Épicure ou selon Socrate, c'était un puissant esprit, ayant la pratique de la vie et de la pensée. On n'est pas brave, on n'est pas aventureux, on n'est pas adroit comme l'était d'Artagnan, sans être en même temps un peu rêveur. Il avait donc retenu çà et là quelques bribes de M. de La Rochefoucauld, dignes d'être mises en latin par messieurs de Port-Royal, et il avait fait collection en passant, dans la société d'Athos et d'Aramis, de beaucoup de morceaux de Sénèque et de Cicéron, traduits par eux et appliqués à l'usage de la vie commune.

Ce mépris des richesses, que notre Gascon avait observé comme article de foi pendant les trente-cinq premières années de sa vie, avait été regardé longtemps par lui comme l'article premier du code de la bravoure.

– Article premier, disait-il:

«On est brave parce qu'on n'a rien;

«On n'a rien parce qu'on méprise les richesses.

Aussi avec ces principes, qui, ainsi que nous l'avons dit, avaient régi les trente-cinq premières années de sa vie, d'Artagnan ne fut pas plutôt riche qu'il dut se demander si, malgré sa richesse, il était toujours brave.

À cela, pour tout autre que d'Artagnan, l'événement de la place de Grève eût pu servir de réponse. Bien des consciences s'en fussent contentées; mais d'Artagnan était assez brave pour se demander sincèrement et consciencieusement s'il était brave.

Aussi à ceci:

– Mais il me semble que j'ai assez vivement dégainé et assez proprement estocadé sur la place de Grève pour être rassuré sur ma bravoure.

D'Artagnan s'était répondu à lui-même.

– Tout beau, capitaine! ceci n'est point une réponse. J'ai été brave ce jour-là parce qu'on brûlait ma maison, et il y a cent et même mille à parier contre un que, si ces messieurs de l'émeute n'eussent pas eu cette malencontreuse idée, leur plan d'attaque eût réussi, ou du moins ce n'eût point été moi qui m'y fusse opposé.

«Maintenant, que va-t-on tenter contre moi? Je n'ai pas de maison à brûler en Bretagne; je n'ai pas de trésor qu'on puisse m'enlever.

«Non! mais j'ai ma peau; cette précieuse peau de M. d'Artagnan, qui vaut toutes les maisons et tous les trésors du monde; cette peau à laquelle je tiens par-dessus tout parce qu'elle est, à tout prendre, la reliure d'un corps qui renferme un cœur très chaud et très satisfait de battre, et par conséquent de vivre.

«Donc, je désire vivre, et en réalité je vis bien mieux, bien plus complètement, depuis que je suis riche. Qui diable disait que l'argent gâtait la vie? Il n'en est rien, sur mon âme! il semble, au contraire, que maintenant j'absorbe double quantité d'air et de soleil. Mordioux! que sera-ce donc si je double encore cette fortune, et si, au lieu de cette badine que je tiens en ma main, je porte jamais le bâton de maréchal?

«Alors je ne sais plus s'il y aura, à partir de ce moment-là, assez d'air et de soleil pour moi.

«Au fait, ce n'est pas un rêve; qui diable s'opposerait à ce que le roi me fît duc et maréchal, comme son père, le roi Louis XIII, a fait duc et connétable Albert de Luynes? Ne suis-je pas aussi brave et bien autrement intelligent que cet imbécile de Vitry?

«Ah! voilà justement ce qui s'opposera à mon avancement; j'ai trop d'esprit.

«Heureusement, s'il y a une justice en ce monde, la fortune en est avec moi aux compensations. Elle me doit, certes, une récompense pour tout ce que j'ai fait pour Anne d'Autriche et un dédommagement pour tout ce qu'elle n'a point fait pour moi.

«Donc, à l'heure qu'il est, me voilà bien avec un roi, et avec un roi qui a l'air de vouloir régner.

«Dieu le maintienne dans cette illustre voie! Car s'il veut régner, il a besoin de moi, et s'il a besoin de moi, il faudra bien qu'il me donne ce qu'il m'a promis. Chaleur et lumière. Donc, je marche, comparativement, aujourd'hui, comme je marchais autrefois, de rien à tout.

«Seulement, le rien aujourd'hui, c'est le tout d'autrefois; il n'y a que ce petit changement dans ma vie.

«Et maintenant, voyons! faisons la part du cœur, puisque j'en ai parlé tout à l'heure.

«Mais, en vérité, je n'en ai parlé que pour mémoire.

Et le Gascon appuya la main sur sa poitrine, comme s'il y eût cherché effectivement la place du cœur.

– Ah! malheureux! murmura-t-il en souriant avec amertume. Ah! pauvre espèce! tu avais espéré un instant n'avoir pas de cœur, et voilà que tu en as un, courtisan manqué que tu es, et même un des plus séditieux.

«Tu as un cœur qui te parle en faveur de M. Fouquet.

«Qu'est-ce que M. Fouquet, cependant, lorsqu'il s'agit du roi? Un conspirateur, un véritable conspirateur, qui ne s'est même pas donné la peine de te cacher qu'il conspirait; aussi, quelle arme n'aurais-tu pas contre lui, si sa bonne grâce et son esprit n'eussent pas fait un fourreau à cette arme.

«La révolte à main armée!… car enfin, M. Fouquet a fait de la révolte à main armée.

«Ainsi, quand le roi soupçonne vaguement M. Fouquet de sourde rébellion, moi, je sais, moi, je puis prouver que M. Fouquet a fait verser le sang des sujets du roi.

«Voyons maintenant: sachant tout cela et le taisant, que veut de plus ce cœur si pitoyable pour un bon procédé de M. Fouquet, pour une avance de quinze mille livres, pour un diamant de mille pistoles, pour un sourire où il y avait bien autant d'amertume que de bienveillance? Je lui sauve la vie.

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