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«Il est doux pour moi de reconnaître la paternelle amitié que vous m'avez témoignée, et de vous appeler plus justement encore mon frère. Il m'est doux, surtout, de prouver à Votre Majesté combien je m'occupe de ce qui peut lui plaire. Vous faites sourdement fortifier Belle-Île-en-Mer. C'est un tort. Jamais nous n'aurons la guerre ensemble. Cette mesure ne m'inquiète pas; elle m'attriste…

«Vous dépensez là des millions inutiles, dites-le bien à vos ministres, et croyez que ma police est bien informée; rendez-moi, mon frère, les mêmes services, le cas échéant.»

Le roi sonna violemment, et son valet de chambre parut.

– M. Colbert sort d'ici et ne peut être loin… Qu'on l'appelle! s’écria-t-il.

Le valet de chambre allait exécuter l'ordre, le roi l'arrêta.

– Non, dit-il, non… Je vois toute la trame de cet homme. Belle-Île est à M. Fouquet; Belle-Île fortifiée, c'est une conspiration de M. Fouquet… La découverte de cette conspiration, c'est la ruine du surintendant, et cette découverte résulte de la correspondance d'Angleterre; voilà pourquoi Colbert voulait avoir cette correspondance. Oh! je ne puis cependant mettre toute ma force sur cet homme; il n'est que la tête, il me faut le bras.

Louis poussa tout à coup un cri joyeux.

– J'avais, dit-il au valet de chambre, un lieutenant de mousquetaires?

– Oui, Sire; M. d'Artagnan.

– Il a quitté momentanément mon service?

– Oui, Sire.

– Qu'on me le trouve, et que demain il soit ici à mon lever.

Le valet de chambre s'inclina et sortit.

– Treize millions dans ma cave, dit alors le roi; Colbert tenant ma bourse et d'Artagnan portant mon épée: je suis roi!

Chapitre LI – Une passion

Le jour même de son arrivée, en revenant du Palais-Royal, Athos, comme nous l'avons vu, rentra en son hôtel de la rue Saint-Honoré. Il y trouva le vicomte de Bragelonne qui l'attendait dans sa chambre en faisant la conversation avec Grimaud.

Ce n'était pas une chose aisée que de causer avec le vieux serviteur; deux hommes seulement possédaient ce secret: Athos et d'Artagnan. Le premier y réussissait, parce que Grimaud cherchait à le faire parler lui-même; d'Artagnan, au contraire, parce qu'il savait faire causer Grimaud.

Raoul était occupé à se faire raconter le voyage d'Angleterre, et Grimaud l'avait conté dans tous ses détails avec un certain nombre de gestes et huit mots, ni plus ni moins.

Il avait d'abord indiqué, par un mouvement onduleux de la main, que son maître et lui avaient traversé la mer.

– Pour quelque expédition? avait demandé Raoul.

Grimaud, baissant la tête, avait répondu: Oui.

– Où M. le comte courut des dangers? interrogea Raoul.

Grimaud haussa légèrement les épaules comme pour dire: «Ni trop ni trop»

– Mais encore, quels dangers! insista Raoul.

Grimaud montra l'épée, il montra le feu et un mousquet pendu au mur.

– M. le comte avait donc là-bas un ennemi? s'écria Raoul.

– Monck, répliqua Grimaud.

– Il est étrange, continua Raoul, que M. le comte persiste à me regarder comme un novice et à ne pas me faire partager l'honneur ou le danger de ces rencontres.

Grimaud sourit.

C'est à ce moment que revint Athos.

L'hôte lui éclairait l'escalier, et Grimaud, reconnaissant le pas de son maître, courut à sa rencontre, ce qui coupa court à l'entretien.

Mais Raoul était lancé; en voie d'interrogation, il ne s'arrêta pas, et, prenant les deux mains du comte avec une tendresse vive, mais respectueuse:

– Comment se fait-il, monsieur, dit-il, que vous partiez pour un voyage dangereux sans me dire adieu, sans me demander l'aide de mon épée, à moi qui dois être pour vous un soutien, depuis que j'ai de la force; à moi, que vous avez élevé comme un homme? Ah! monsieur, voulez-vous donc m'exposer à cette cruelle épreuve de ne plus vous revoir jamais?

– Qui vous a dit, Raoul, que mon voyage fut dangereux? répliqua le comte en déposant son manteau et son chapeau dans les mains de Grimaud, qui venait de lui dégrafer l'épée.

– Moi, dit Grimaud.

– Et pourquoi cela? fit sévèrement Athos.

Grimaud s'embarrassait; Raoul le prévint en répondant pour lui.

– Il est naturel, monsieur, que ce bon Grimaud me dise la vérité sur ce qui vous concerne. Par qui serez-vous aimé, soutenu, si ce n'est par moi?

Athos ne répliqua point. Il fit un geste amical qui éloigna Grimaud, puis s'assit dans un fauteuil, tandis que Raoul demeurait debout devant lui.

– Toujours est-il, continua Raoul, que votre voyage était une expédition… et que le fer, le feu vous ont menacé.

– Ne parlons plus de cela, vicomte, dit doucement Athos; je suis parti vite, c'est vrai; mais le service du roi Charles II exigeait ce prompt départ. Quant à votre inquiétude, je vous en remercie, et je sais que je puis compter sur vous… Vous n'avez manqué de rien, vicomte, en mon absence?

– Non, monsieur, merci.

– J'avais ordonné à Blaisois de vous faire compter cent pistoles au premier besoin d'argent.

– Monsieur, je n'ai pas vu Blaisois.

– Vous vous êtes passé d'argent, alors!

– Monsieur, il me restait trente pistoles de la vente des chevaux que je pris lors de ma dernière campagne, et M. le prince avait eu la bonté de me faire gagner deux cents pistoles à son jeu, il y a trois mois.

– Vous jouez?… Je n'aime pas cela, Raoul.

– Je ne joue jamais, monsieur; c'est M. le prince qui m'a ordonné de tenir ses cartes à Chantilly… un soir qu'il était venu un courrier du roi. J'ai obéi; le gain de la partie, M. le prince m'a commandé de le prendre.

– Est-ce que c'est une habitude de la maison, Raoul? dit Athos en fronçant le sourcil.

– Oui, monsieur; chaque semaine, M. le prince fait, sur une cause ou sur une autre, un avantage pareil à l'un de ses gentilshommes. Il y a cinquante gentilshommes chez Son Altesse; mon tour s'est rencontré cette fois.

– Bien! vous allâtes donc en Espagne?

– Oui, monsieur, je fis un fort beau voyage, et fort intéressant.

– Voilà un mois que vous êtes revenu?

– Oui, monsieur.

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