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– Voilà comment tout s'explique, en effet, dit Porthos.

Et il embrassa d'Artagnan avec une si grande amitié, que le mousquetaire en perdit la respiration pendant cinq minutes.

– Allons, allons, plus fort que jamais, dit d'Artagnan, et toujours dans les bras, heureusement.

Porthos salua d'Artagnan avec un gracieux sourire.

Pendant les cinq minutes où d'Artagnan avait repris sa respiration, il avait réfléchi qu'il avait un rôle fort difficile à jouer. Il s'agissait de toujours questionner sans jamais répondre. Quand la respiration lui revint, son plan de campagne était fait.

Chapitre LXX – Où les idées de d'Artagnan, d'abord fort troublées, commencent à s'éclaircir un peu

D'Artagnan prit aussitôt l'offensive.

– Maintenant que je vous ai tout dit, cher ami, ou plutôt que vous avez tout deviné, dites-moi ce que vous faites ici, couvert de poussière et de boue?

Porthos essuya son front, et regardant autour de lui avec orgueil:

– Mais il me semble, dit-il, que vous pouvez le voir, ce que je fais ici!

– Sans doute, sans doute; vous levez des pierres.

– Oh! pour leur montrer ce que c'est qu'un homme, aux fainéants! dit Porthos avec mépris. Mais vous comprenez…

– Oui, vous ne faites pas votre état de lever des pierres, quoiqu'il y en ait beaucoup qui en font leur état et qui ne les lèvent pas comme vous. Voilà donc ce qui me faisait vous demander tout à l'heure: «Que faites-vous ici, baron?»

– J'étudie la topographie, chevalier.

– Vous étudiez la topographie?

– Oui; mais vous-même, que faites-vous sous cet habit bourgeois?

D'Artagnan reconnut qu'il avait fait une faute en se laissant aller à son étonnement. Porthos en avait profité pour riposter avec une question.

Heureusement d'Artagnan s'attendait à cette question.

– Mais, dit-il, vous savez que je suis bourgeois, en effet; l'habit n'a donc rien d'étonnant, puisqu'il est en rapport avec la condition.

– Allons donc, vous, un mousquetaire!

– Vous n'y êtes plus, mon bon ami; j'ai donné ma démission.

– Bah!

– Ah! mon Dieu, oui!

– Et vous avez abandonné le service?

– Je l'ai quitté.

– Vous avez abandonné le roi?

– Tout net.

Porthos leva les bras au ciel comme fait un homme qui apprend une nouvelle inouïe.

– Oh! par exemple, voilà qui me confond, dit-il.

– C'est pourtant ainsi.

– Et qui a pu vous déterminer à cela?

– Le roi m'a déplu; Mazarin me dégoûtait depuis longtemps, comme vous savez; j'ai jeté ma casaque aux orties.

– Mais Mazarin est mort.

– Je le sais parbleu bien; seulement, à l'époque de sa mort, la démission était donnée et acceptée depuis deux mois. C'est alors que, me trouvant libre, j'ai couru à Pierrefonds pour voir mon cher Porthos. J'avais entendu parler de l'heureuse division que vous aviez faite de votre temps, et je voulais pendant une quinzaine de jours diviser le mien sur le vôtre.

– Mon ami, vous savez que ce n'est pas pour quinze jours que la maison vous est ouverte: c'est pour un an, c'est pour dix ans, c'est pour la vie.

– Merci, Porthos.

– Ah çà! vous n'avez point besoin d'argent? dit Porthos en faisant sonner une cinquantaine de louis que renfermait son gousset. Auquel cas, vous savez…

– Non, je n'ai besoin de rien; j'ai placé mes économies chez Planchet, qui m'en sert la rente.

– Vos économies?

– Sans doute, dit d'Artagnan; pourquoi voulez-vous que je n'aie pas fait mes économies comme un autre, Porthos?

– Moi! je ne veux pas cela; au contraire, je vous ai toujours soupçonné… c'est-à-dire Aramis vous a toujours soupçonné d'avoir des économies. Moi, voyez-vous, je ne me mêle pas des affaires de ménage; seulement, ce que je présume, c'est que des économies de mousquetaire, c'est léger.

– Sans doute, relativement à vous, Porthos, qui êtes millionnaire; mais enfin je vais vous en faire juge. J'avais d'une part vingt-cinq mille livres.

– C'est gentil, dit Porthos d'un air affable.

– Et, continua d'Artagnan, j'y ai ajouté, le 25 du mois dernier, deux cents autres mille livres.

Porthos ouvrit des yeux énormes, qui demandaient éloquemment au mousquetaire: «où diable avez-vous volé une pareille somme, cher ami?»

– Deux cent mille livres! s’écria-t-il enfin.

– Oui, qui, avec vingt-cinq que j'avais, et vingt mille que j'ai sur moi, me complètent une somme de deux cent quarante-cinq mille livres.

– Mais voyons, voyons! d'où vous vient cette fortune?

– Ah! voilà. Je vous conterai la chose plus tard, cher ami; mais comme vous avez d'abord beaucoup de choses à me dire vous-même, mettons mon récit à son rang.

– Bravo! dit Porthos, nous voilà tous riches. Mais qu'avais-je donc à vous raconter?

– Vous avez à me raconter comment Aramis a été nommé…

– Ah! évêque de Vannes.

– C'est cela, dit d'Artagnan, évêque de Vannes. Ce cher Aramis! savez vous qu'il fait son chemin?

– Oui, oui, oui! Sans compter qu'il n'en restera pas là.

– Comment! vous croyez qu'il ne se contentera pas des bas violets, et qu'il lui faudra le chapeau rouge?

– Chut! cela lui est promis.

– Bah! par le roi?

– Par quelqu'un qui est plus puissant que le roi.

– Ah! diable! Porthos, que vous me dites là de choses incroyables, mon ami!

– Pourquoi, incroyables? Est-ce qu'il n'y a pas toujours eu en France quelqu'un de plus puissant que le roi?

– Oh! si fait. Du temps du roi Louis XIII, c'était le duc de Richelieu; du temps de la régence, c'était le cardinal Mazarin; du temps de Louis XIV, c'est M…

– Allons donc!

– C'est M. Fouquet.

– Tope! Vous l'avez nommé du premier coup.

– Ainsi c'est M. Fouquet qui a promis le chapeau à Aramis?

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