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Pendant ce temps, Charles prenait la main d'Athos.

– Comte, lui dit-il, vous avez été pour moi un second père; le service que vous m'avez rendu ne se peut payer. J'ai songé à vous récompenser cependant. Vous fûtes créé par mon père chevalier de la Jarretière; c'est un ordre que tous les rois d'Europe ne peuvent porter; par la reine régente, chevalier du Saint-Esprit, qui est un ordre non moins illustre; j'y joins cette Toison d'or que m'a envoyée le roi de France, à qui le roi d’Espagne, son beau-père, en avait donné deux à l'occasion de son mariage; mais, en revanche, j'ai un service à vous demander.

– Sire, dit Athos avec confusion, la Toison d'or à moi! quand le roi de France est le seul de mon pays qui jouisse de cette distinction!

– Je veux que vous soyez en votre pays et partout l'égal de tous ceux que les souverains auront honorés de leur faveur, dit Charles en tirant la chaîne de son cou; et j'en suis sûr, comte, mon père me sourit du fond de son tombeau.

«Il est cependant étrange, se dit d'Artagnan tandis que son ami recevait à genoux l'ordre éminent que lui conférait le roi, il est cependant incroyable que j'aie toujours vu tomber la pluie des prospérités sur tous ceux qui m'entourent, et que pas une goutte ne m'ait jamais atteint! Ce serait à s'arracher les cheveux si l'on était jaloux, ma parole d'honneur!»

Athos se releva, Charles l'embrassa tendrement.

– Général, dit-il à Monck.

Puis, s'arrêtant, avec un sourire:

– Pardon, c'est duc que je voulais dire. Voyez-vous, si je me trompe, c'est que le mot duc est encore trop court pour moi… Je cherche toujours un titre qui l'allonge… J'aimerais à vous voir si près de mon trône que je pusse vous dire, comme à Louis XIV: Mon frère. Oh! j'y suis, et vous serez presque mon frère, car je vous fais vice-roi d'Irlande et d'Écosse, mon cher duc… De cette façon, désormais, je ne me tromperai plus.

Le duc saisit la main du roi, mais sans enthousiasme, sans joie, comme il faisait toute chose. Cependant son cœur avait été remué par cette dernière faveur. Charles, en ménageant habilement sa générosité, avait laissé au duc le temps de désirer… quoiqu'il n'eût pu désirer autant qu'on lui donnait.

– Mordioux! grommela d'Artagnan, voilà l'averse qui recommence. Oh! c'est à en perdre la cervelle.

Et il se tourna d'un air si contrit et si comiquement piteux, que le roi ne put retenir un sourire. Monck se préparait à quitter le cabinet pour prendre congé de Charles.

– Eh bien! quoi! mon féal, dit le roi au duc, vous partez?

– S'il plaît à Votre Majesté; car, en vérité, je suis bien las… L'émotion de la journée m'a exténué: j'ai besoin de repos.

– Mais, dit le roi, vous ne partez pas sans M. d'Artagnan, j'espère!

– Pourquoi, Sire? dit le vieux guerrier.

– Mais, dit le roi, vous le savez bien, pourquoi.

Monck regarda Charles avec étonnement.

– J'en demande bien pardon à Votre Majesté, dit-il, je ne sais pas… ce qu'elle veut dire.

– Oh! c'est possible; mais si vous oubliez, vous, M. d'Artagnan n'oublie pas.

L'étonnement se peignit sur le visage du mousquetaire.

– Voyons, duc, dit le roi, n'êtes-vous pas logé avec M. d'Artagnan?

– J'ai l'honneur d'offrir un logement à M. d'Artagnan, oui, Sire.

– Cette idée vous est venue de vous-même et à vous seul?

– De moi-même et à moi seul, oui, Sire.

– Eh bien! mais il n'en pouvait être différemment… Le prisonnier est toujours au logis de son vainqueur.

Monck rougit à son tour.

– Ah! c'est vrai, je suis prisonnier de M. d'Artagnan.

– Sans doute, Monck, puisque vous ne vous êtes pas encore racheté; mais ne vous inquiétez pas, c'est moi qui vous ai arraché à M. d'Artagnan, c’est moi qui paierai votre rançon.

Les yeux de d'Artagnan reprirent leur gaieté et leur brillant; le Gascon commençait à comprendre. Charles s'avança vers lui.

– Le général, dit-il, n'est pas riche et ne pourrait vous payer ce qu'il vaut. Moi, je suis plus riche certainement; mais à présent que le voilà duc, et si ce n'est roi, du moins presque roi, il vaut une somme que je ne pourrais peut-être pas payer. Voyons, monsieur d'Artagnan, ménagez-moi: combien vous dois-je?

D'Artagnan, ravi de la tournure que prenait la chose, mais se possédant parfaitement, répondit:

– Sire, Votre Majesté a tort de s'alarmer. Lorsque j'eus le bonheur de prendre Sa Grâce, M. Monck n'était que général; ce n'est donc qu'une rançon de général qui m'est due. Mais que le général veuille bien me rendre son épée, et je me tiens pour payé, car il n'y a au monde que l'épée du général qui vaille autant que lui.

– Odds fish! comme disait mon père, s'écria Charles II; voilà un galant propos et un galant homme, n'est-ce pas, duc?

– Sur mon honneur! répondit le duc, oui, Sire.

Et il tira son épée.

– Monsieur, dit-il à d'Artagnan, voilà ce que vous demandez. Beaucoup ont tenu de meilleures lames; mais, si modeste que soit la mienne, je ne l'ai jamais rendue à personne.

D'Artagnan prit avec orgueil cette épée qui venait de faire un roi.

– Oh! oh! s'écria Charles II: quoi! une épée qui m'a rendu mon trône sortirait de mon royaume et ne figurerait pas un jour parmi les joyaux de ma couronne? Non, sur mon âme! cela ne sera pas! Capitaine d’Artagnan, je donne deux cent mille livres de cette épée: si c'est trop peu, dites-le-moi.

– C'est trop peu, Sire, répliqua d'Artagnan avec un sérieux inimitable. Et d'abord je ne veux point la vendre; mais Votre Majesté désire, et c'est là un ordre. J'obéis donc; mais le respect que je dois à l'illustre guerrier qui m'entend me commande d'estimer à un tiers de plus le gage de ma victoire. Je demande donc trois cent mille livres de l'épée, ou je la donne pour rien à Votre Majesté.

Et, la prenant par la pointe, il la présenta au roi. Charles II se mit à rire aux éclats.

– Galant homme et joyeux compagnon! Odds fish! n'est-ce pas, duc? n'est-ce pas, comte? Il me plaît et je l'aime. Tenez, chevalier d'Artagnan, dit-il, prenez ceci.

Et, allant à une table, il prit une plume et écrivit un bon de trois cent mille livres sur son trésorier.

D'Artagnan le prit, et se tournant gravement vers Monck:

– J'ai encore demandé trop peu, je le sais, dit-il; mais croyez-moi, monsieur le duc, j'eusse aimé mieux mourir que de me laisser guider par l'avarice.

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