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– Alexandra était là hier à midi?

– Oui.

– Tu lui as parlé de la visite de Dompierre?

– Oui. Je n'en avais pas l'intention mais c'est elle qui m'a interrogé. Elle était triste. Alors j'ai parlé. Pour la divertir.

– Je ne te reproche rien. Il n'est pas mauvais de laisser filer la ligne. Tu avais donné son adresse?

Mathias réfléchit quelques secondes.

– Oui, dit-il encore. Elle craignait que Dompierre n'attende Relivaux dans la rue toute la journée. Je l'ai rassurée, je lui ai dit que Dompierre avait un hôtel rue de la Prévoyance. Ça m'avait plu comme nom. Je suis certain de l'avoir prononcé. Danube aussi.

– Qu'est-ce que ça pouvait lui faire qu'un inconnu attende Relivaux toute la journée?

– Je n'en sais rien.

– Écoute-moi attentivement, Saint Matthieu. Dompierre a été liquidé entre onze heures et deux heures du matin, par trois coups de couteau dans le ventre. Il s'est fait piéger par un rendez-vous. Ça peut venir de Relivaux, qui se balade on ne sait où, comme par hasard, ça peut venir de Dourdan, et ça peut venir de n'importe qui d'autre. Absente-toi cinq minutes et va trouver Marc qui m'attend à la maison. Résume-lui ce que je viens de te dire sur l'enquête et dis-lui de rappliquer au Tonneau et d'interroger Lex sur son emploi du temps de cette nuit. Amicalement et calmement, s'il en est capable. Qu'il demande aussi discrètement à Juliette si elle a vu ou entendu quelque chose. Elle est un peu insomniaque à ses heures, paraît-il, on a peut-être des chances de ce côté-là. Il faut que ce soit Marc qui interroge, pas toi, tu m'as bien compris?

– Oui, dit Mathias sans se vexer.

– Toi, tu fais le serveur, tu observes par-dessus ton plateau et tu t'imprègnes des réactions diverses. Et prie le ciel, Saint Matthieu, pour qu'Alexandra n'ait pas bougé cette nuit. Quoi qu'il en soit, pas un mot à Leguennec là-dessus pour l'instant. Il a dit qu'il allait au commissariat, mais il est très capable de rappliquer au pavillon ou au Tonneau avant moi. Alors, fais vite.

Marc entra au Tonneau dix minutes plus tard, guère à l'aise. Il embrassa Juliette, Alexandra, le petit Cyrille qui se jeta à son cou.

– Ça t'ennuie si je mange un morceau avec toi?

– Assieds-toi, dit Alexandra. Pousse un peu Cyrille, il prend toute la place.

– Tu es au courant? Alexandra hocha la tête.

– Mathias nous a raconté. Et Juliette avait entendu les informations. C'est bien le même gars, n'est-ce pas? Pas de confusion possible?

– Aucune, hélas.

– C'est moche, dit Alexandra. Il aurait mieux fait de tout déballer. Si ça se trouve, on n'arrivera jamais à mettre la main sur l'assassin de tante Sophia. Et ça, je ne sais pas si je pourrai le digérer. Comment on l'a tué? Tu le sais?

– Couteau dans le ventre. Pas instantané mais radical.

Mathias observa Alexandra en apportant une assiette à Marc. Elle frissonna.

– Parle plus bas, dit-elle en montrant Cyrille du menton. Je t'en prie.

– Ça s'est fait entre onze heures et deux heures du matin. Leguennec cherche Relivaux. Tu n'as rien entendu par hasard? Une voiture?

– Je dormais. Et quand je dors, je ne crois pas être capable d'entendre quoi que ce soit. Tu n'as qu'à voir, j'ai trois réveils en batterie sur ma table de nuit, pour être sûre de ne pas rater l'école. En plus…

– En plus?

Alexandra hésita, les sourcils froncés. Marc se sentit un peu tanguer, mais il avait des ordres.

– En plus, en ce moment, je prends des petits trucs pour m'endormir. Pour ne pas trop penser. Alors j'ai le sommeil encore plus lourd que d'habitude.

Marc hocha la tête. Il était rassuré. Même s'il trouvait qu'Alexandra lui donnait un peu trop d'explications sur son sommeil.

– Mais Pierre… reprit Alexandra. Ce n'est pas possible tout de même. Comment aurait-il su que Dom-pierre était venu le voir, hein?

– Dompierre a pu réussir à le joindre plus tard par téléphone, via le ministère. N'oublie pas qu'il y avait ses entrées aussi. Il semblait obstiné, tu sais. Et pressé.

– Mais Pierre est à Toulon.

– L'avion, dit Marc. Ça va vite. Aller-retour. Tout est possible.

– Je comprends, dit Alexandra. Mais ils se gourent. Pierre n'aurait pas touché à Sophia.

– Il avait quand même une maîtresse, et depuis pas mal d'années.

Le visage de Lex s'assombrit. Marc regretta sa der nière remarque. Il n'eut pas le temps de trouver une phrase un peu intelligente à dire vite, parce que Leguennec entra dans le restaurant. Le parrain avait vu juste. Leguennec tâchait de le doubler. L'inspecteur s'approcha de leur table.

– Si vous avez fini de déjeuner, mademoiselle Haufman, et si vous pouvez confier votre fils à l'un de vos amis pour une heure, je vous serais reconnaissant de m'accompagner. Quelques questions encore. J'y suis obligé.

Salaud. Marc ne leva pas un regard vers Leguennec. Pourtant, il devait reconnaître qu'il faisait son boulot, celui qu'il venait de faire lui-même quelques minutes plus tôt.

Alexandra ne se troubla pas et Mathias confirma d'un geste qu'il garderait Cyrille. Elle suivit l'inspecteur et monta dans sa voiture. L'appétit coupé, Marc repoussa son assiette et vint s'installer au bar. Il demanda une bière à Juliette. Une grande, si possible.

– Ne t'en fais pas, lui dit-elle. Il ne peut rien contre elle. Alexandra n'a pas bougé de la nuit.

– Je sais, dit Marc en soupirant. C'est ce qu'elle dit. Mais pourquoi la croirait-il? Depuis le début, il ne croit rien.

– C'est son boulot, dit Juliette. Mais moi, je peux te dire qu'elle n'a pas bougé. C'est la vérité et je la lui dirai.

Marc attrapa la main de Juliette.

– Dis-moi, qu'est-ce que tu sais?

– Ce que j'ai vu, dit Juliette en souriant. Vers onze heures, j'avais fini mon bouquin, j'ai éteint, mais impossible de m'endormir. Ça m'arrive souvent. Parfois, c'est parce que j'entends Georges ronfler à l'étage au-dessus et ça m'horripile. Mais hier soir, même pas de ronflement. Je suis descendue chercher un autre bouquin et j'ai lu en bas, jusqu'à deux heures et demie. Là, je me suis dit qu'il fallait absolument que je me couche et je suis remontée. Je me suis résolue à prendre un comprimé et je me suis endormie. Mais ce que je peux te dire, Marc, c'est que de onze heures un quart à deux heures et demie, Alexandra n'a pas bougé de chez elle. Il n'y a eu aucun bruit de porte ni de voiture. En plus, quand elle va se promener, elle emmène le petit avec elle. Je n'aime pas ça, d'ailleurs. Eh bien cette nuit, la veilleuse de la chambre de Cyrille était restée allumée. Il a peur dans le noir. C'est de son âge. Marc sentit s'effondrer tous ses espoirs. Il regarda Juliette, désolé.

– Qu'est-ce qu'il y a? dit Juliette. Ça devrait te rassurer. Lex ne risque rien, absolument rien!

Marc secoua la tête. Il jeta un regard à la salle qui se remplissait et s'approcha de Juliette.

– Tu affirmes que vers deux heures du matin, tu n'as absolument rien entendu? chuchota-t-il.

– Puisque je te le dis! chuchota Juliette à son tour. Tu n'as aucun souci à te faire.

Marc avala la moitié de son verre de bière et se prit la tête dans les mains.

– Tu es gentille, dit-il doucement, très gentille, Juliette.

Juliette le regardait sans comprendre.

– Mais tu mens, continua Marc. Tu mens sur toute la ligne!

– Parle moins fort, ordonna Juliette. Alors tu ne me crois pas? C'est tout de même un comble!

Marc serra plus fort la main de Juliette et vit que Mathias lui jetait un coup d'œil.

– Écoute-moi, Juliette: tu as vu Alexandra sortir cette nuit et tu sais qu'elle nous ment. Alors tu mens à ton tour pour la protéger. Tu es gentille, mais tu viens sans le vouloir de m'apprendre tout le contraire de ce que tu souhaitais. Parce que à deux heures du matin-moi, j'étais dehors, figure-toi! Et devant ta grille en plus, à essayer avec Mathias de calmer Lucien et de le ramener à la maison. Et toi tu dormais comme une souche avec ton comprimé et tu ne nous as même pas entendus! Tu dormais! Et je te signale d'autre part, puisque tu m'y fais penser, qu'il n'y avait aucune lumière dans la chambre de Cyrille. Aucune. Demande à Mathias.

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