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Vers quinze heures, il vit Juliette rentrer en courant chez elle, se protégeant de la flotte sous un carton, puis Mathias, la suivant de près, qui, tête nue, se dirigeait à pas lents vers la maison. Souvent, il allait aider Juliette le lundi à faire le ravitaillement du Tonneau pour la semaine. L'eau lui coulait de partout mais bien sûr, ça ne gênait pas un type comme Mathias. Puis encore une dame. Puis un type, un quart d'heure plus tard. Les gens marchaient vite, contractés par l'humidité. Mathias frappa à sa porte pour emprunter une gomme. Il n'avait même pas séché ses cheveux.

– Qu'est-ce que tu fais à ta fenêtre? demanda-t-il.

– Je suis en mission, répondit Marc d'un ton las. Le commissaire m'a chargé de surveiller l'événement. Alors je surveille.

– Ah oui? Quel événement?

– Ça, on ne sait pas. Inutile de te dire que d'événement, il ne s'en produit aucun. Ils ont trouvé deux cheveux de Sophia dans le coffre de la voiture empruntée par Lex.

– Emmerdant.

– Tu peux le dire. Mais ça fait rigoler le parrain. Tiens, voilà le facteur.

– Tu veux que je te relaie?

– Je te remercie. Je m'habitue. Je suis le seul à ne rien faire ici. Autant que j'aie une mission, aussi imbécile soit-elle.

Mathias empocha la gomme et Marc resta à son poste. Des dames, des parapluies. La sortie des écoles. Alexandra passa avec le petit Cyrille. Sans un regard vers leur baraque. Et pourquoi aurait-elle regardé?

Pierre Relivaux gara sa voiture un peu avant six heures. On avait dû lui examiner sa bagnole à lui aussi. Il claqua fort la grille de son jardin. Les interrogatoires ne mettent personne de bonne humeur. Il devait craindre que l'histoire de sa maîtresse entretenue dans le 15e ne remonte jusqu'à son ministère. On ne savait toujours pas quand aurait lieu l'enterrement des malheureux débris qui restaient de Sophia. Ils les gardaient encore. Mais Marc n'escomptait pas que Relivaux s'effondre à l'enterrement. Il avait l'air soucieux, mais pas démoli par la mort de sa femme. Au moins, s'il était l'assassin, il n'essayait pas de jouer la comédie, ce qui était une tactique comme une autre. Vers six heures trente, Lucien rentra. Fin de la tranquillité. Puis Vandoosler le Vieux, trempé comme une soupe. Marc détendit ses muscles.raidis par l'immobilité. Ça lui rappela la fois où ils avaient surveillé les flics qui creusaient sous l'arbre. On n'en parlait plus du tout de l'arbre. Pourtant, tout avait commencé par là. Et Marc ne parvenait pas à l'oublier. L'arbre.

Un après-midi de foutu. Pas d'événement, pas d'incident mineur, pas la moindre fiente de pigeon, rien.

Marc descendit faire son rapport au parrain qui préparait un feu pour se sécher.

– Rien, dit-il. Je me suis ankylosé cinq heures à regarder le néant. Et toi? Les interrogatoires?

– Leguennec commence à devenir réticent pour lâcher de l'information. On a beau être amis, on a sa fierté. Il patine, alors il n'a pas envie qu'on voie ça en direct. Vu mon passif, sa confiance en moi reste malgré tout mitigée. Et puis il a pris du grade maintenant. Ça l'agace de me trouver tout le temps dans ses pattes, il a l'impression que je le nargue. Surtout quand j'ai rigolé pour les cheveux.

– Et pourquoi rigoles-tu?

– Tactique, jeune Vandoosler, tactique. Pauvre Leguennec. Il croyait tenir la bonne et le voilà avec une demi-douzaine de criminels potentiels faisant aussi bien l'affaire les uns que les autres. Il va falloir que je l'invite à une partie de cartes pour le décontracter.

– Une de mi-douzaine? Il y a eu des prétendants?

– C'est-à-dire que j'ai fait valoir à Leguennec que si la petite Alexandra était mal partie, ce n'était pas une raison pour risquer de commettre une bourde. N'oublie pas que j'essaie de le freiner. Tout est là. Alors je lui ai tiré le portrait de tas d'autres assassins tout à fait potables. Cet après-midi, Relivaux, qui se défend bien, l'avait favorablement impressionné. Il a fallu que j'y mette mon grain de sel. Relivaux assure qu'il n'a pas touché la voiture de sa femme. Qu'il avait donné les clefs à Alexandra. Il m'a bien fallu dire à Leguennec que Relivaux en a planqué un double chez lui. Je le lui avais apporté d'ailleurs. Hein? Qu'est-ce que tu dis de ça?

Le feu prenait avec grand bruit dans la cheminée et Marc avait toujours aimé ce bref moment d'embrase-ment désordonné qui précédait l'écroulement des fagots puis la combustion routinière, épisodes égale-ment captivants mais pour d'autres raisons. Lucien venait d'arriver pour se chauffer. On était en juin mais on avait froid aux doigts, le soir, dans les chambres. Sauf Mathias, qui venait d'entrer torse nu pour préparer le dîner. Mathias avait le torse musclé mais presque imberbe.

– Formidable, dit Marc, soupçonneux. Et comment t'es-tu procuré ces clefs?

Vandoosler poussa un soupir.

– Je vois, dit Marc. Tu as forcé sa porte pendant son absence. Tu vas nous attirer des emmerdements.

– Tu as bien piqué le lièvre, l'autre jour, répondit Vandoosler. On a du mal à perdre ses habitudes. Je voulais voir. J'ai cherché un peu de tout. Des lettres, des relevés de compte, des clefs… Il est prudent ce Relivaux. Pas de papier compromettant chez lui.

– Comment as-tu fait pour les clefs?

– Au plus simple. Derrière le tome C du Grand Larousse du XIXe siècle. Une merveille, ce dictionnaire. Qu'il ait planqué les clefs ne l'accuse pas, ceci dit. C'est peut-être un trouillard et cela lui aura paru plus simple de dire qu'il n'avait jamais eu de double.

– Pourquoi ne pas les jeter alors?

– Dans ces moments troublés, il peut être utile de pouvoir disposer d'une voiture dont on n'a soi-disant pas les clefs. Quant à sa propre voiture, elle a été examinée. Rien à dire.

– Sa maîtresse?

– Pas très résistante aux attaques de Leguennec. Saint Luc s'est trompé dans son diagnostic. Cette fille ne se contente pas de Pierre Relivaux, elle l'utilise. Il sert à les faire vivre, elle et son amant de cœur qui ne voit aucun inconvénient à s'éclipser quand Relivaux vient prendre son samedi-dimanche. Cet imbécile de Relivaux ne se doute de rien, d'après la fille. Il est arrivé que les deux hommes se rencontrent. Il croit que c'est son frère. Selon elle, la situation lui convenait ainsi et en effet, je vois mal ce qu'elle gagnerait à un mariage qui la priverait de sa liberté. Et je ne vois pas Relivaux y gagner de son côté quoi que ce soit. Sophia Siméonidis était une femme bien plus valorisante pour lui dans les sphères sociales qu'il ambitionne. J'ai poussé quand même à la roue. J'ai suggéré que la fille, Elizabeth – c'est son nom -, pouvait mentir sur toute la ligne et désirer profiter de tous les avantages d'un Relivaux débarrassé de sa femme et riche. Elle aurait pu réussir à l'épouser, elle le tient depuis six ans, elle n'est pas mal et bien plus jeune que lui.

– Et tes autres suspects?

– J'ai bien entendu chargé la belle-mère de Sophia et son fils. Ils se soutiennent l'un l'autre pour la nuit de Maisons-Alfort mais rien n'empêche de penser que l'un d'eux ait pu faire la route. Ce n'est pas loin, Dour-dan. Moins loin que Lyon.

– Ça ne nous fait pas la demi-douzaine, dit Marc. Qui d'autre as-tu lancé dans les pattes de Leguennec?

– Eh bien, Saint Luc, Saint Matthieu et toi. Ça l'occupera.

Marc se dressa d'un bond tandis que Lucien souriait.

– Nous? Mais tu es dingue!

– Tu veux aider la petite, oui ou merde?

– C'est merde! Et ça n'aidera pas Alexandra! Comment veux-tu que Leguennec nous soupçonne?

– Très facile, intervint Lucien. Voilà trois hommes de trente-cinq ans à la dérive dans une baraque chaotique. Bien. Autant dire des voisins peu recommanda-bles. L'un de ces trois types a emmené la dame en promenade, l'a violée avec sauvagerie et l'a tuée pour qu'elle se taise.

– Et la carte qu'elle a reçue? cria Marc. La carte avec l'étoile et le rendez-vous? C'est nous peut-être?

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