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Bluette obéit, mais avec quelle inquiétude au cœur!

– Mon Dieu! mon Dieu! que va-t-il se passer? gémit-il. Ma carrière administrative me paraît singulièrement compromise!

L’inspecteur continue à s’occuper du «jeune détenu».

– Alors, mon ami, vous êtes innocent? votre physionomie n’est point celle, d’ailleurs, d’un redoutable criminel. Pour quels motifs aviez-vous été condamné?

– Ma foi, répond Alice avec un aplomb imperturbable, je ne m’en souviens plus bien… Un tas d’histoires…

– Vous ne vous souvenez plus à quel propos vous avez été condamné?

– Naturellement, je ne m’en souviens plus, puisque ce n’est pas moi qui suis le vrai coupable.

– Cela n’empêche pas…

– Pourquoi voulez-vous que je me rappelle les crimes des autres?

– Tout cela n’est pas clair… La prison de Montpaillard est décidément une étrange prison et son directeur un bizarre fonctionnaire.

Mais Alice ne peut entendre blâmer son ami sans protester.

– Ne dites pas de mal de Bluette, s’écrie-t-elle, il est très chic!

Hélas! la courageuse protestation d’Alice va droit à l’encontre de son intention si pure!

Ce mot très chic et surtout le ton sur lequel il a été lancé a décillé (Déciller est un terme de vénerie qu’on écrit à tort dessiller. Le verbe ciller signifie coudre les paupières d’un oiseau de proie pour le dresser…) les yeux de l’inspecteur

– Très chic? répète-t-il. Comme vous avez dit cela! Mais, Dieu me pardonne… voulez-vous avoir l’obligeance d’enlever votre calotte?

– Voilà, monsieur l’inspecteur.

Le flot brun des cheveux d’Alice déferle sur ses épaules et sur son dos.

– Attrape!

Avec une grâce infinie, M. l’inspecteur s’est découvert.

Il s’incline et salue:

– Madame!

– Monsieur l’inspecteur!

Au cours de sa carrière, M. l’inspecteur en avait vu de raides, mais celle-là, vraiment, dépassait les limites permises de la fantaisie administrative.

Une jeune femme, en costume de prisonnier qui lit le Figaro, en chantant des airs d’opérette, au fond d’un sombre cachot! voilà du pas banal!

M, l’inspecteur est fort perplexe.

Son chapeau à la main, il contemple Alice, la jolie Alice, car elle est jolie, la petite mâtine, dans son travesti improvisé.

Ah oui, il est perplexe M. l’inspecteur!

Mais soudain la gravité de sa physionomie fait place au plus enjoué des sourires.

La vieille galanterie française a reconquis ses droits!

– Vous êtes délicieuse ainsi, madame, mais vous plairait-il de me dire par quel curieux concours de circonstances vous vous trouvez dans ce costume et dans ce cachot?

– Une simple fantaisie personnelle, monsieur. Je vous assure que M. Bluette ignorait complètement ma petite mascarade, et qu’il a été aussi surpris que vous de me voir dans ce costume…

– Qui vous va admirablement, d’ailleurs. Jamais je n’aurais cru que des effets généralement portés avec tant d’inélégance puissent être aussi séants à une jolie femme!

– Vous me flattez, monsieur l’inspecteur.

– Mais non. Je vous assure. Vous êtes très gentille.

– Eh bien, puisque vous me trouvez gentille, promettez-moi de ne pas être méchant pour M. Bluette, qui est un si bon garçon!

– Je vous le promets… vous avez l’air de l’aimer beaucoup, votre cher Bluette?

– Beaucoup, beaucoup!

– Heureux homme! vous êtes charmante, madame.

Pour lui prouver sa réelle sympathie, il prend la main d’Alice et la garde dans la sienne.

– Vous êtes positivement charmante.

– Alors, vous ne le gronderez pas?

– Soyez tranquille.

– Et même, vous lui ferez avoir de l’avancement?

– Oh ça! ce sera peut-être plus difficile.

– Est-ce qu’on ne pourrait pas lui trouver une petite prison à Paris?

– Quartier des Champs-Élysées?

– Ou à Passy, plutôt.

– Elle est adorable, ma parole!… J’ai une envie folle de vous embrasser.

– Je veux bien, mais à la condition que vous n’oublierez pas la prison de Passy.

– C’est juré!

Et, complètement désarmé, M. l’inspecteur embrassa la jeune femme.

CHAPITRE XXIII

Dans lequel on démontre administrativement qu’il est parfois aussi difficile d’entrer en prison que d’en sortir.

Mettant de nouveau à contribution ce curieux privilège dont j’ai parlé plus haut et qui confère aux romanciers le pouvoir de jouer avec le temps comme avec l’espace, je vais, messieurs et dames, si vous y consentez, vous rajeunir pour un instant de vingt-quatre heures.

Reprenons les choses où elles en étaient quand notre vieux camarade Jules Fléchard, après l’impressionnante scène des aveux chez les Chaville, se dirigea résolument vers le Parquet, à la fois soutenu par le doux souvenir d’Arabella lui murmurant: Courage, ami (de quelle voix, à ciel!) et par les civiques exhortations de Me Guilloche, son avocat improvisé. Au Parquet, ces messieurs furent reçus froidement.

En l’absence du procureur, un vieux commis-greffier tenta de leur démontrer la parfaite inanité de leur démarche.

– Croyez-moi, mes amis, rentrez chez vous et ne reparlons plus de cette affaire.

– Mais pourtant…

– Ce sera beaucoup plus raisonnable. Le tribunal s’est trompé, dites-vous, en condamnant Blaireau à votre place, c’est bien possible; mais c’est une affaire entre le nommé Blaireau et vous, monsieur Fléchard.

– La question est plus haute, protestait l’avocat.

– Non, mon cher maître, la question n’est pas si haute que vous le dites. Blaireau a fait trois mois de prison pour le compte de M. Fléchard, c’est à ce dernier à dédommager Blaireau. À raison de vingt sous par jour (et c’est bien payé), cela nous fait une somme de quatre-vingt-dix francs. Mettons cent francs pour faire un compte rond. Donnez cent francs à Blaireau et ne parlons plus de cette affaire-là!

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