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– Elle s’y trouve, en ce moment, chez cette tante malade. Pauvre Delphine, quel cœur! Brave, brave fille!

– C’est la providence de la famille, monsieur. Sans elle, nous serions tous morts de faim depuis longtemps. Mais voilà, elle ne pourra peut-être pas toujours nous en envoyer de l’argent, et alors…

M. de Hautpertuis eut un beau geste.

– Rassurez-vous, mon jeune ami, jamais votre sœur ne manquera d’argent, je crois pouvoir l’affirmer!

– Vous la connaissez donc, monsieur?

– J’ai cet honneur.

– Pauvre Delphine! Sans nous, elle serait une honnête fille… Elle n’aurait pas été obligée de mal tourner.

– Mais, mon ami, ne croyez pas que votre sœur ait mal tourné, vous vous tromperiez beaucoup. Elle n’est pas positivement mariée, mais elle a un ami sincère, dévoué, riche, qui ne la laissera jamais manquer de rien, ni pour elle, ni pour sa famille.

– Elle le mérite bien.

– Quant à vous, mon jeune ami, prenez ceci en attendant.

Il lui glissa un billet de cent francs dans la main.

– Merci, monsieur, vous êtes trop bon.

– Par amitié pour moi, M. le directeur voudra bien vous traiter avec indulgence, n’est-ce pas, monsieur Bluette?

– Je le traiterai de mon mieux, répondit modestement le fonctionnaire.

– Au revoir, mon cher directeur. Ah! cette rencontre m’a serré le cœur!

– La vie est pleine d’étranges choses.

– Et vous, mon jeune ami, bon courage!

– Je ne me plains pas… M. le directeur est très bon pour moi.

Quand elle fut seule, Alice ne put s’empêcher de murmurer:

– Décidément c’est un brave homme; mais quelle poire!

CHAPITRE XXII

Dans lequel il se passe plusieurs événements dont aucun ne revêt un caractère de gravité exceptionnelle.

Bluette tint à reconduire lui-même le baron jusqu’à la grande porte qui donne sur la rue.

Ils se félicitaient mutuellement d’avoir fait leur charmante connaissance et prenaient congé, quand un monsieur entre deux âges, officier de la Légion d’honneur se présenta, l’air aimable à la fois et légèrement ironique.

– Monsieur Bluette, sans doute?

– Lui-même, monsieur.

– Je suis M. Devois, inspecteur des prisons.

– Ah! parfaitement, monsieur. Enchanté.

– Je connaissais beaucoup votre prédécesseur… Croyez que je suis heureux de me trouver en contact avec vous.

– Moi de même, monsieur.

– On m’a parlé de vous, en haut lieu, comme d’un homme des plus distingués et fort au-dessus de la fonction qu’il occupe.

– On a été trop flatteur pour moi, en haut lieu.

– Il paraît même que vous avez transformé votre prison en une sorte de petit éden, quelque chose comme une confortable pension de famille.

– Je fais de mon mieux.

– C’est dans ce cas que le mieux est l’ennemi du bien. Une prison, mon cher monsieur Bluette, n’est pas un casino.

– À qui le dites-vous?

– Et, sans transgresser les lois de l’humanité, il faut user de rigueur avec messieurs les condamnés, desquels le nombre augmenterait terriblement si on les traitait partout comme dans la prison de Montpaillard, c’est-à-dire en passagers de première classe.

– Pauvres gens!

– À propos, qu’est-ce que c’est que cette histoire d’erreur judiciaire dont j’ai entendu parler ce matin à la sous-préfecture?

– Elle est exacte, monsieur l’inspecteur. Un de mes détenus avait été condamné injustement. Le véritable coupable s’est dénoncé hier et a fait des aveux complets.

– C’est curieux…

– J’attends l’ordre du Parquet pour mettre mon homme en liberté.

Et notre ami Bluette, que les ironies de l’inspecteur, au lieu de l’intimider mettaient plutôt en verve, ajouta d’un ton faussement humble:

– Je me permettrai même de faire remarquer à monsieur l’inspecteur que, malgré certaines petites irrégularités que je suis le premier à déplorer la prison de Montpaillard n’en renferme pas moins un innocent.

– Et je vous en félicite.

– Il y a beaucoup de prisons mieux tenues qui ne pourraient pas en dire autant.

– C’est une bonne note, en effet.

Tout en causant, ces messieurs étaient arrivés devant le cachot dans lequel la jeune Alice, tout en lisant ses gazettes, fredonnait un petit air assez folâtre.

À cette minute, notre ami Bluette, songeant à son avancement, se sentit envahi par les plus mornes pressentiments.

Il toussa avec une violence peu commune et un acharnement digne d’un meilleur sort.

Trop tard, hélas! L’inspecteur a poussé la porte du cachot.

– Allons, fait-il, on ne m’avait pas trompé en haut lieu, votre établissement, monsieur Bluette, est un établissement gai.

«Quel est ce jeune détenu, ce joli merle qui chante en cage?

Pour le coup, Bluette perd un peu le nord:

– Ce jeune détenu? C’est… comment déjà s’appelle-t-il?… Chose… Machin…

– C’est trop fort, vous avez quarante-trois malheureux prisonniers, et vous ne les connaissez pas?

– Si, monsieur l’inspecteur, je le connais, mais je ne me rappelle plus son nom. Du reste, cela n’a aucune importance.

– Comment, ça n’a aucune importance?

– Aucune, puisque ce garçon est innocent. C’est l’innocent dont nous parlions tout à l’heure.

– Étrange prison, décidément! vous avez un innocent et vous le mettez au cachot!… Il est vrai que le pauvre garçon n’a pas l’air de s’y ennuyer outre mesure. Sortez, mon ami, ce n’est point ici votre place.

Victor le gardien, apporte une carte à Bluette:

– Ce monsieur insiste pour être reçu tout de suite.

– «Jules Fléchard, professeur de gymnastique»; dites-lui de repasser plus tard.

– Pourquoi cela? fait l’inspecteur, allez recevoir ce monsieur.

Je continuerai seul ma tournée en vous attendant.

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