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– Au contraire, les gendarmes font toujours très bien dans les massifs.

– Et puis, je vous préviens qu’à la moindre incartade de votre Blaireau de malheur, je le fais empoigner et coffrer.

– Blaireau sera tranquille, j’en réponds, mon cher monsieur Dubenoît.

– Je le lui souhaite sans oser l’espérer car on est en train de lui tourner la tête avec toutes ces histoires, ces acclamations, ces présidences d’honneur ces conférences révolutionnaires, ces fêtes de charité!… Ah! oui, on ne le répétera jamais assez! Montpaillard traverse une crise!

– Pour ce qui est de notre fête, mon cher monsieur Dubenoît, je proteste énergiquement.

– Ne protestez pas, monsieur le baron, cette fête est une manifestation immorale, antisociale, une fête au profit d’un malfaiteur!

– D’un malfaiteur?… Permettez.

– Même pas!… D’un faux malfaiteur Dieu sait où nous allons! On m’a changé l’esprit de ma population!

– Voulez-vous mon opinion, monsieur Dubenoît? À votre place, je ne me ferais pas de bile! Montpaillard est une ville très calme, seulement elle s’ennuie. Il n’y a qu’à s’y promener pendant un quart d’heure pour s’en apercevoir. C’est une ville qui s’ennuie et qui s’ennuie depuis longtemps, peut-être.

– Depuis Henri IV sous le règne duquel elle fut fondée.

– C’est énorme! Il n’est pas étonnant qu’à la longue, elle ait eu besoin d’un peu de distraction. Elle a pris le premier prétexte qui se présentait. Demandez plutôt à maître Guilloche.

«Bonjour, monsieur Guilloche! Notre maire est en train de se lamenter sur le mauvais esprit qui commence à se faire jour dans l’âme de Montpaillard.

– Eh oui, répond le jeune avocat, je crois, sans me flatter outre mesure, que ma conférence sur les erreurs judiciaires a produit une certaine impression dans notre pays.

– Je n’en doute pas.

– Et qu’aux prochaines élections, notre parti aura un peu plus de dix-sept voix. Qu’en pense monsieur le maire?

– Mais j’en suis sûr mon cher Guilloche, et je ne saurais trop vous féliciter de votre magnifique désintéressement!

– Que voulez-vous dire?

– Je veux dire que vous êtes en train de faire la fortune politique de Blaireau, car on crie: «vive Blaireau!» On porte Blaireau en triomphe.

– C’est vrai.

– Et vous, est-ce qu’on vous porte en triomphe?

– Je n’ai jamais couru après ce genre de popularité.

– C’est bien, Guilloche, c’est même très bien de se sacrifier pour ses convictions, et Blaireau vous devra une fière chandelle, quand il sera député.

– Blaireau, député! vous badinez, sans doute, monsieur le maire?

– Moi, pas du tout, et, au fond, je suis ravi de cette tournure que prennent les choses.

– Oh… ravi?

– Mais parfaitement. L’arrondissement de Montpaillard sera représenté par un innocent. Ce sera très remarqué à la Chambre et il en rejaillira, je l’espère, quelque gloire sur notre malheureux pays.

– Blaireau député! vous êtes fou.

Et Guilloche s’éloigna, en proie, tout de même, à une songerie qui frisait l’inquiétude.

CHAPITRE XXVII

Dans lequel, par une faveur spéciale, le lecteur sera introduit, avant l’ouverture des bureaux, au sein de la fête donnée en l’honneur et au profit de Blaireau.

– Mesdemoiselles, messieurs, voici une fête qui s’annonce à merveille!

– Oh! oui, monsieur le baron, et un temps superbe, par-dessus le marché!

– Allons, ne perdons pas de temps. Il est une heure et demie et c’est à deux heures précises qu’on ouvre les grilles. Ne nous laissons pas devancer par la foule. Mesdames et mesdemoiselles, veuillez vous installer à vos comptoirs respectifs. Les commissaires, où sont nos commissaires?

Quelques grands dadais s’avancent.

– Voici, monsieur le baron, nous sommes là.

– Ah! parfaitement! vous avez vos insignes, messieurs?

– Oui, monsieur le baron.

– Alors tout va bien… Je n’aperçois pas nos petites cabaretières.

– Elles sont en train de mettre leur tablier.

Plusieurs jeunes filles arrivent, jolies comme des cœurs et si fraîches!

– Ah! les voici! Elles sont charmantes, nos petites cabaretières! Mesdemoiselles, c’est entendu, n’est-ce pas? Toutes les consommations vendues à votre bar, un franc. vendez du champagne, mesdemoiselles, et vendez-en beaucoup. Poussez ces messieurs à l’intempérance!… Au fait, comment est-il, ce champagne?

– Goûtez, monsieur le baron.

M. de Hautpertuis goûte et dissimule une légère grimace:

«Oh! oh! pas fameux, ce champagne! Enfin, pour une fête de ce genre, c’est tout ce qu’il faut.»

– Un franc, monsieur le baron, s’il vous plaît!

– Voici un franc, mademoiselle. Poussez ces messieurs à l’intempérance. vous n’aurez pas grand-peine, du reste, par cette chaleur!… Mais où est notre Blaireau? Je n’aperçois pas Blaireau!

– Blaireau? répond M, de Chaville, il est à l’office, fort occupé à déguster un excellent café dans lequel il a versé la moitié d’un carafon de ma plus vieille eau-de-vie.

– Qu’il vienne!… Monsieur le commissaire, veuillez aller me chercher Blaireau.

Voici Blaireau!

Blaireau sanglé dans une antique, mais superbe encore redingote, laquelle provient de la garde-robe de son avocat.

Un gros dahlia rouge comme sa boutonnière. Un chapeau haut de forme, légèrement passé de mode, s’enfonce sur des cheveux pommadés sans mesure.

Avec un acharnement digne d’un meilleur sort, notre pauvre ami s’efforce de faire entrer ses grosses pattes dans des gants beurre frais (pas très frais).

L’arrivée de Blaireau provoque un murmure d’admiration auquel Blaireau répond par quelques signes protecteurs.

Seul, le baron n’approuve pas. Il ajuste sévèrement son monocle, fixe Blaireau et porte ce jugement:

– Mon cher Blaireau, c’est en habit noir que vous devez vous présenter aux populations.

– En habit noir?

– En habit noir, oui! Oh! je sais ce que vous allez me dire, mon cher ami, qu’on ne porte pas l’habit dans la journée, votre objection serait parfaitement raisonnable en temps ordinaire, mais dans les circonstances qui nous réunissent aujourd’hui, le cas est tout à fait différent. Le bénéficiaire d’une fête de charité doit être en habit noir et cravate blanche.

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