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– Je m’y oppose formellement! protesta M. le maire.

– Vous avez tort, monsieur le maire! Cet homme ayant expié préalablement son délit d’aujourd’hui, il est de toute justice de lui tenir compte de cette situation. Blaireau ne doit rien à la société, il a payé d’avance.

– Bien parlé, monsieur le président! s’écria Blaireau.

Impressionnés par les nobles et justes, généreuses paroles du magistrat, les gendarmes se dessaisissent de Blaireau.

Fatigué, complètement démoralisé, le pauvre garçon s’écroule sur une chaise.

– Ruiné! gémit-il. Ma situation politique compromise?

– Ça, vous pouvez le dire! triomphe Dubenoît.

– Qu’est-ce que je vais devenir mon Dieu? Ah! je suis découragé!… Monsieur le baron, vous ne pourriez pas me trouver, des fois, une petite place à Paris?

– À Paris?

– Oui, à Paris, parce que, pour rester à Montpaillard, il ne faut pas y songer… Avec toutes les jalousies que je me suis faites dans le pays!

– Une place, j’y penserai, mon ami.

– Le plus tôt possible, s’il vous plaît, monsieur le baron.

– Au fait, mais j’y songe… vous savez faire des tours de cartes?

– C’est tout ce qui me reste dans mon malheur.

– Vous portez admirablement la toilette!

– Tout le monde m’en fait des compliments.

– Eh bien! je Vais vous faire entrer comme croupier dans un petit cercle que je connais à Cabourg.

– On peut mettre de l’argent de côté dans ce métier-là?

– Jusque dans ses manches!

– Alors, ça me va.

Maintenant, Blaireau est un peu consolé.

Il remplace, à sa boutonnière, son gros dahlia rouge un peu fané, par un autre dahlia plus gros, plus rouge, et plus frais.

Et il s’écrie gaiement:

– Je le savais bien, parbleu! l’innocence est toujours récompensée!

CHAPITRE XXXV

Dans lequel l’auteur, après avoir terminé le récit des aventures judiciaires de Blaireau, liquide rapidement le compte de plusieurs héros moins importants, mais tout de même pas entièrement dépourvus d’intérêt.

Quelques mois après les événements qui viennent de s’accomplir plus haut, Jules Fléchard conduisait à l’autel sa bien-aimée, radieuse en sa robe blanche, étincelante d’allégresse et d’amour.

Le mariage, quoi qu’en disent les détracteurs de cette belle institution, possède maints avantages, entre autres celui-ci qu’il suffit à transformer, du jour au lendemain, une vieille fille en jeune femme, à condition bien entendu que ladite vieille fille ne jouisse pas encore d’une caducité trop prononcée.

Mlle Arabella de Chaville, un tout petit peu ridicule en robe blanche, se mua vite en une Mme Jules Fléchard de soie gris perle tout à fait charmante.

Où pensez-vous que les nouveaux mariés coururent cacher leur lune de miel?

À Venise, vous l’avez deviné, à Venise, où ils se grisèrent d’amour, de gondoles, de sensuelles chansons napolitaines et des tutti frutti du café Florian.

Ils n’eurent pas beaucoup d’enfants, mais ils furent bien heureux tout de même, ce qui est moins encombrant.

Envions ces deux êtres, qui purent réaliser leur idéal, et rentrons à Paris.

Nous aurons des chances d’y rencontrer notre vieille connaissance, le sympathique directeur de la prison de Montpaillard, M. Bluette.

Sur un rapport tout à fait chaleureux de ce galant inspecteur dont, j’espère, vous n’avez pas oublié le passage, M. Bluette obtint de l’avancement.

Il est actuellement à l’administration centrale avec d’excellents appointements et, ce qui ne gâte rien, peu de chose à faire.

Le baron de Hautpertuis, qui ne peut plus se passer de lui, vient souvent le chercher à son bureau et l’emmène dîner dans quelque cabaret en vogue, en compagnie de Delphine de Serquigny, plus délicieuse que jamais.

Ces trois personnages paraissent s’entendre à merveille.

(1899)

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