CHAPITRE XXV
Dans lequel le lecteur d’accord, en cela, avec M. Dubenoît, se persuadera que Montpaillard traverse une crise.
En vertu de ce principe que les meilleures plaisanteries ne gagnent rien à s’éterniser la détention du malheureux Blaireau prit fin vers cinq heures du soir… Toute la population ordinairement si paisible de Montpaillard est massée aux abords de la prison.
Le parti révolutionnaire, sous la conduite de l’ambitieux Guilloche, s’agite, cherchant à donner à la modeste escouade qu’il comporte l’apparence d’une masse drue et bien disciplinée.
Il arrive presque à ce résultat en s’adjoignant sans fierté plusieurs poignées de jeunes galopins enchantés de l’aubaine.
Le maire rêve de charges de cavalerie, de mitrailleuse, d’arrestation des séditieux. Ah! si on avait de la troupe à Montpaillard!
Ou si, seulement, on avait encore le maréchal des logis Martin, un homme à poigne, celui-là, un lapin qui avait fait toutes ses études de gendarmerie dans les fameuses brigades de la banlieue de Paris, si réputées pour leur façon radicale d’épouvanter les méchants et de rassurer les bons!
Hélas! le redoutable Martin a pris sa retraite voilà un an!
Et rien pour mettre cette racaille à la raison, rien qu’une police bourgeoise doublée d’une maréchaussée à la papa. Les gendarmes, d’ailleurs, semblent s’amuser autant que les badauds.
Pour comble voilà Parju, le garde champêtre, qui s’amène; Parju duquel la déposition est la cause de la condamnation de Blaireau, et, par suite, de tout ce scandale.
On hue Parju: «Hé! Parju, mets tes lunettes! As-tu retrouvé ta plaque, Parju? etc.»
Parju finit par comprendre que sa présence en ces parages n’est point faite pour apaiser les esprits, et prend un point de direction vers la périphérie (comme dit un docteur conseiller municipal) de Montpaillard.
Tout à coup les portes de la prison s’ouvrent, et alors retentit un immense cri de: «vive Blaireau! vive Guilloche!» mais surtout: «vive Blaireau!» Les deux compères, bras dessus, bras dessous, s’avancent:
Guilloche grave dans sa correcte redingote noire, Blaireau radieux et drapé dans les loques innommables précédemment décrites.
C’est un beau spectacle.
Les deux Anglais sont dans la foule: l’un prend des notes, l’autre manœuvre son bull’s eye (Petit appareil photographique que je ne saurais trop recommander à nos lecteurs.) avec une frénésie peu commune.
Les haillons de Blaireau surtout semblent les intéresser.
On ne les croira pas quand, rentrés au sein de la perfide Albion, ils raconteront à leurs compatriotes ces scènes de la vie judiciaire française.
Mais, peu à peu, l’ordre renaît dans Montpaillard.
Les paisibles citoyens, maintenant réunis autour du potage familial, commentent diversement les événements de la journée.
Les farouches révolutionnaires, assemblés dans la grande salle du premier de la Brasserie de l’Avenir, offrent à Blaireau une longue série de vermouths d’honneur, de bitters d’honneur d’absinthes d’honneur et même de quinquinas d’honneur!
Ces divers breuvages poussent bientôt l’assistance à dire énormément de mal du gouvernement.
Très à son aise, pas fier pour un sou, charmant avec tout le monde, Blaireau promet sa protection à chacun.
Rentré chez lui, M. Dubenoît se met en manches de chemise, éponge son front ruisselant, et tombe accablé dans un fauteuil.
– Ma pauvre amie, dit-il à sa femme, il ne faut pas se le dissimuler Montpaillard traverse une crise!
CHAPITRE XXVI
Dans lequel un joli avenir politique se lève à l’horizon de la destinée de Blaireau.
M. Dubenoît a raison: ce serait puéril de le dissimuler Montpaillard traverse une crise.
Les esprits sont surexcités, le parti révolutionnaire fait des progrès immenses.
À la conférence de maître Guilloche (L’Erreur judiciaire à travers les âges. Depuis le chêne de Saint Louis jusqu’à nos jours), Blaireau a débuté dans ses fonctions de président d’honneur avec ce sans-façon délicieux dont il a le secret, et qui lui a conquis bien des suffrages.
Un monde fou, à cette conférence; les spectacles gratuits sont si rares en province!
Et puis, c’est demain grande fête de charité, dans le parc des Chaville, en l’honneur et au bénéfice de l’infortunée victime, et quel attrayant programme!
Ouverture du parc à deux heures de l’après-midi, baraques foraines, chevaux de bois, funambule, cirque genre Molier avec, pour artistes, des jeunes gens de la ville; petites filles vendant des fleurs; auberge rustique et bar américain, tous les deux tenus par des demoiselles appartenant aux meilleures familles de Montpaillard, et une foule d’autres divertissements dont il est impossible de donner le détail par avance.
Le soir, il y aura grand bal, et pour terminer la fête, grand feu d’artifice!
À l’occasion de ce feu d’artifice, le baron de Hautpertuis a imaginé une pièce qui sera le bouquet, le clou sensationnel de ces splendides réjouissances.
Une grande bonne femme, d’abord éclairée de feux rouges, s’illuminera ensuite en blanc, puis, finalement, fera explosion.
Cette pyrotechnie – Vous en avez pénétré le symbole, j’espère – c’est l’innocence de Blaireau qui éclate aux yeux de tous!!!
Sans fausse honte, le baron se montre très fier de son imagination que chacun, autour de lui, qualifie de géniale, tout bêtement.
Bref, on ne s’ennuiera pas demain, et les assistants en auront pour leurs cent sous, car le prix du billet a été fixé à cinq francs, donnant droit à l’entrée dans toutes les baraques, aux chevaux de bois et au bal.
Pas aux rafraîchissements, bien entendu.
Le baron de Hautpertuis est un organisateur de premier ordre: sans faire quoi que ce soit par lui-même, il a le don de galvaniser ses collaborateurs et de communiquer aux plus indolents une activité sans bornes.
Pas un détail ne lui échappe, il pense à tout, il prévoit tout.
– Ah! le service d’ordre que nous allions oublier Justement voici monsieur le maire, vous arrivez bien.
– Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur le baron?
– Il s’agit du service d’ordre.
– C’est précisément pour cela que je venais vous trouver. Je compte dissimuler quelques gendarmes dans les massifs du parc. vous n’y voyez pas d’inconvénients?