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– Vous faites bien de me prévenir. La prochaine fois, je regarderai.

– Le spectacle en vaut la peine.

Et Fléchard répéta avec une sorte d’exaltation:

– Oui, monsieur le baron, l’incarnation de la Force et de la Grâce.

– Oh! Fléchard! sourit le baron. Quelle chaleur! Seriez-vous amoureux de votre élève, comme dans les romans?

– Vous plaisantez, monsieur le baron. Amoureux de Mlle Arabella de Chaville, moi, un humble professeur de gymnastique?

À la main un plateau chargé de lettres, Placide entrait:

– Le courrier de monsieur le baron!

– Vous permettez, mon cher Fléchard?

– Je vous en prie, monsieur le baron. D’ailleurs, je m’en vais.

– Sans adieu, Fléchard.

– Tous mes respects, monsieur le baron.

– Monsieur Fléchard, ajouta Placide, Mlle Arabella vous prie de repasser sur le coup de cinq heures pour sa leçon de gymnastique.

– Ah! exulta le pauvre garçon.

CHAPITRE II

Dans lequel le lecteur continuera à se créer de brillantes relations, notamment dans la famille de Chaville et chez quelques-uns de leurs invités.

Il fallait positivement avoir le diable au corps pour faire du tennis à cette heure de la journée et par une température pareille.

Heureusement qu’à la campagne et même dans beaucoup de petites villes départementales, les autochtones jouissent d’une endurance fort supérieure à celle de nos Parisiens.

Tout de même, il faisait trop chaud et la partie fut bientôt abandonnée d’un commun accord.

Chacun s’achemina vers la véranda où de la bière fut versée pour les messieurs, du sirop de framboise pour les dames.

Pendant que s’abreuvent tous ces quidams, examinons-les à la dérobée.

Les maîtres de céans, d’abord, M. et Mme de Chaville, braves gens, quelconques, riches.

M. Hubert de Chaville exerçait, vers la fin de l’Empire, une noce assez carabinée en compagnie de son excellent camarade de Hautpertuis, déjà nommé. Arrivent l’année terrible et nos désastres. Le jeune de Chaville fait vaillamment son devoir en qualité de lieutenant de mobiles. On signe le traité de Francfort. Quelques années après, notre héros épousait une insignifiante et riche cousine qui lui donnait bientôt une petite demoiselle, Lucie, laquelle, à l’époque où se déroulent ces événements, est devenue la plus charmante jeune fille de tout le district. C’est tout.

Le membre le plus intéressant de la famille est, sans contredit, cette Arabella de Chaville dont il fut question plus haut et cousine germaine de M, de Chaville.

Puisque le fidèle mais discourtois serviteur Placide a dévoilé l’âge de cette personne, nous n’avons aucune raison de le celer:

Arabella se trouve, en effet, à la tête d’une belle pièce de trente ans copieusement sonnés.

Les paraît-elle? Jules Fléchard le nie non sans vivacité.

Contredire un si brave garçon serait criminel; concluons galamment: si Mlle Arabella de Chaville paraît vingt-huit ans, c’est tout le bout du monde.

Mettons même vingt-huit printemps pour faire plaisir à Jules.

En dépit de son âge un peu avancé (pour une jeune fille), Arabella détient un cœur qui n’a pas su vieillir un cœur ardent qui s’ennuie de battre par les temps de platitude et de morne prose que nous traversons.

Riche, bien née, pas plus laide qu’une autre, Arabella ne s’est jamais mariée, parce que, tout enfant, elle s’était juré à elle-même de n’appartenir qu’à un homme qui se serait sacrifié pour elle, un homme qui aurait bravé mille dangers, mille morts, un de ces hommes comme on n’en voit plus guère, hélas! depuis la fermeture des croisades.

Le cas ne se présenta jamais; Arabella tint son serment et demeura demoiselle. Quand je dis que le cas ne s’est jamais présenté, je me hâte un peu trop, comme la suite de ce récit ne va pas tarder à vous l’apprendre. (Je ne devrais peut-être pas vous le dire maintenant, mais, tant pis, c’est plus fort que mai. Sachez donc qu’Arabella se mariera vers la fin de ce roman et qu’elle sera très heureuse.).

Revenons à nos invités.

Le baron de Hautpertuis déjà nommé, élégant viveur parisien, le meilleur ami de l’excellent Chaville, chez lequel il vient tous les ans passer quelques jours à la belle saison. (Rappelons, pour mémoire, que le baron est aussi myope, à lui seul, que tout un wagon de bestiaux. Ce détail aura son importance par la suite.)

M. Dubenoît, maire de Montpaillard, et Mme Dubenoît son épouse.

M. Dubenoît n’a qu’une marotte, mais une bonne: la tranquillité de Montpaillard.

Depuis la fondation de Montpaillard (fin du XVIe siècle ou commencement du XVIIe, les historiens ne sont pas d’accord), les révolutions se sont succédé en France, des trônes ont croulé, des têtes de gens huppés tombèrent sous le couperet de la guillotine, des rois connurent le chemin de l’exil, les pires clameurs troublèrent la paix des rues dans bien des cités que de détestables excès allèrent jusqu’à ensanglanter Seule, la petite ville de Montpaillard demeura paisible malgré ces tourmentes.

– Depuis Henri IV, proclame M. Dubenoît avec une légitime fierté, oui, messieurs, depuis Henri IV à part les jours de marché, il n’y a jamais eu le moindre attroupement dans les rues de Montpaillard.

Et devant la mine admirative du baron, il insiste:

– Oui, monsieur de Hautpertuis, pas le moindre attroupement! Et tant que j’aurai l’honneur d’être le premier magistrat de Montpaillard, il continuera d’en être ainsi! J’aimerais mieux voir ma ville en cendres que la proie du désordre!

– Vous êtes bien radical, monsieur le maire, pour un conservateur!

C’est Me Guilloche qui lance cette réflexion assez naturelle.

Me Guilloche est un jeune et élégant avocat qui se trouve au nombre des invités.

– En matière d’ordre, mon cher Guilloche, on ne saurait jamais être trop intransigeant et si vous et votre parti essayiez jamais de troubler Montpaillard, vous me trouveriez sur votre chemin.

– M. Guilloche a donc un parti? demande le baron.

– Parfaitement! vous pouvez contempler en M. Guilloche le chef du parti révolutionnaire de notre ville, un parti qui compte dix-sept membres. Chaque fois que M. Guilloche se présente aux élections, il a dix-huit voix à Montpaillard: les dix-sept voix des révolutionnaires plus la sienne. La dernière fois, il n’a eu que dix-sept voix parce qu’un révolutionnaire était malade.

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