– C’est cela… Moi, je cours à la gare attendre ma parente, après quoi je vous mettrai en liberté. vous n’êtes pas pressé?
Blaireau cligna de l’œil d’un air suprêmement malin:
– Je suis pressé, dit-il, mais pas encore tant que vous, monsieur Bluette. J’attendrai bien que vous soyez revenu avec votre… cousine.
– Qu’est-ce à dire, Blaireau?
– Rien, monsieur le directeur… Si c’est par le train de huit heures qu’elle arrive, votre petite dame, vous n’avez que le temps.
– J’y cours.
CHAPITRE XIII
Dans lequel la prison de Montpaillard apparaîtra comme un établissement encore moins austère qu’on n’aurait pu s’y attendre.
Comme l’avait dit Blaireau, il n’était que temps. Le train stoppait.
Une jolie petite femme, ébouriffée, drolichonne, à peine éveillée, sautait sur le quai, puis apercevant Bluette prenait un air cérémonieux et tout haut:
– Bonjour monsieur le directeur s’inclinait-elle.
Puis, tout bas:
– Bonjour mon vieux loup chéri. Je suis bien contente de te revoir, tu sais, bien contente!
– Et moi donc! murmurait, sur le ton de la sincérité, notre jeune et sympathique fonctionnaire.
– C’est loin, ta boîte?
– Un quart d’heure à peine.
– Allons à pied, ça me dégourdira mes pauvres petites jambettes.
– Je n’ai pas besoin, n’est-ce pas, Alice, de te recommander au moins dans la rue…
– Une tenue décente. Tiens, regarde si on ne dirait pas une vieille Anglaise.
Et Alice affecta un air de respectability de café-concert qui fit retourner les passants.
Heureusement qu’on était arrivé.
…
…
Ces deux lignes de points remplacent pudiquement les détails de l’installation de la gracieuse Alice dans la belle chambre bleue, installation à laquelle le galant M. Bluette tint à présider lui-même.
Il n’était pas loin de onze heures quand le couple descendit au cabinet directorial.
– Assieds-toi, ma petite Alice, et tiens-toi bien tranquille pendant que je vais vaquer à mes importantes fonctions.
– Vaque, mon ami, vaque.
– J’en ai pour un bon quart d’heure.
– C’est cela que tu appelles tes importantes fonctions! Il est vrai que, pour toi, c’est encore très joli… J’ai beaucoup de peine à me faire à cette idée que tu sois devenu directeur de quelque chose.
– C’est pourtant la hideuse vérité.
– Tu ne dois pas être bien sévère avec tes bonshommes.
– Sévère? À quoi bon?
– Ils sont méchants?
– Pas le moins du monde. Ce sont d’excellentes natures.
– Tu me présenteras?
– Si tu veux. Je puis me vanter d’avoir fait de la prison de Montpaillard une véritable prison de famille. Tout le monde y vit dans la concorde et la tranquillité.
– Tant mieux, mon loup.
– La vie y est seulement un peu monotone. Comme distraction, nous n’avons guère que l’entrée et la sortie d’un détenu de temps en temps. Justement, il y en a un qui finit sa peine aujourd’hui et que je vais mettre en liberté… Il ne faut pas que je l’oublie, même, comme cela m’est arrivé plusieurs fois.
– Qui est-ce?
– Un nommé Blaireau, habile braconnier un fort aimable homme, du reste. Tu vas le voir.
– Il avait commis un crime?
– Oh! non, le pauvre garçon! Un petit délit de rien du tout, une simple volée à un garde champêtre.
– On n’a donc pas le droit?
– Si, mais il ne faut pas se laisser prendre.
À ce moment, un des gardiens de la prison vint apporter le courrier de M. le directeur que celui-ci plaça négligemment sur la table.
– Rien de neuf, à part ça?
– Rien, monsieur le directeur… Ah! fit observer le gardien, est-ce que monsieur le directeur se rappelle que c’est aujourd’hui que Blaireau doit être remis en liberté?
– Oui… oui… je l’ai prévenu… D’ailleurs, vous allez me l’envoyer tout de suite. Je vais régler cette affaire-là.
– Je vous envoie Blaireau, monsieur le directeur, dit le gardien en sortant.
Bluette se retourna vers sa jeune amie.
– Sois assez gentille pour me laisser un instant, ma petite Alice. J’expédie mon homme et nous serons libres toute la journée.
CHAPITRE XIV
Dans lequel Blaireau sent toute sa philosophie lui échapper.
– Toc! toc! toc!
– Entrez! cria Bluette.
Et pendant que Blaireau faisait son apparition, ses longs bras ballant le long du corps, les doigts écartés et l’air tout soudant, M. le directeur s’efforçait de prendre une attitude administrative. Il s’était assis à son bureau, agitait un coupe-papier toussaillait.
– Approchez, Blaireau.
– Me voici, monsieur le directeur me voici.
Blaireau se tint debout devant Bluette, semblant l’interroger du regard, comme pour lui dire: «Ah ça! suis-je libre? ou ne le suis-je pas?» Bluette s’accouda sur sa table, et eut un regard bienveillant pour son pensionnaire. Puis, avec une certaine emphase, il commença:
– Blaireau, dit-il, vous allez être libre dans un quart d’heure.
Le temps de signer ce papier et toutes les portes s’ouvriront devant vous. vous avez été condamné à trois mois de détention, vous avez fait trois mois et un jour vous avez donc fini votre temps.
– Tiens! fit Blaireau, en levant le nez. J’ai fait un jour de plus?
– Mais oui, reprit tranquillement le directeur.
– Pourquoi?
– Vous me demandez pourquoi, Blaireau?
– Dame!
Bluette réfléchit et ne trouvant pas d’explication qui lui parût plausible, il se contenta de répondre:
– C’est une vieille coutume administrative.
– Elle est drôle, votre vieille coutume administrative, dit Blaireau, en riant doucement… Bah! ajouta-t-il avec philosophie, c’est peut-être à cause des années bissextiles.