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À cinq francs par personne, quelle belle recette!

Que va-t-il faire de tout cet argent?

Hé, parbleu! il achètera un fonds de mastroquet. Excellente idée.

Populaire comme il est, il ne peut manquer d’avoir tout de suite une nombreuse clientèle.

Ah! pour une idée, ça, c’est une idée, et une fameuse!

– Dites donc, papa Dubenoît, vous ne savez pas! eh bien! avec mon argent, je vais ouvrir un café, un joli petit café, le café Blaireau.

– Il sera propre, le café Blaireau!

– Un petit café, juste en face du tribunal, avec cette enseigne: Au rendez-vous des innocents! Hein, qu’est-ce que vous pensez de ça?

– Je pense que votre établissement ne restera pas longtemps ouvert, voilà ce que je pense.

– Et qui est-ce qui le fermera, s’il vous plaît?

– Moi-même, mon cher ami, et je vous garantis que cela ne sera pas long.

– Si jamais vous faisiez ça, mon bonhomme, savez-vous ce qui arriverait?

– Peu importe!

– Il arriverait que je me ferais nommer maire à votre place.

Ayant entendu ces mots, le baron de Hautpertuis éclata de rire:

– Blaireau maire!… C’est pour le coup que Montpaillard en traverserait une crise, mon cher monsieur Dubenoît!

– Ah! baron! gémit Dubenoît, nous vivons dans des temps bien troublés!

– Je ne trouve pas… voyez comme tous ces gens s’amusent! S’amuser, tout est là!

– Vous avez raison, mon vieux baron, s’écrie Blaireau, tout à la rigolade! Demain, les affaires sérieuses!… Au fait, ça serait-il pas indiscret de savoir à combien se monte ma recette en ce moment?

– Nous ferons le compte ce soir après la fermeture.

– J’aimerais tout de même bien savoir où nous en sommes à cette heure.

– Rien de plus facile, nous allons demander au garde champêtre. C’est lui que j’ai chargé de percevoir le prix des entrées…

«Parju!

– Monsieur le baron?

– Veuillez me dire combien d’argent vous avez en caisse.

– Combien d’argent?… Mais… pas un sou, monsieur le baron!

– Pas un sou!

– Pas un sou! monsieur le baron, pas un sou!

CHAPITRE XXXIII

Dans lequel l’effondrement de Blaireau s’annonce comme total.

Pas un sou!

Le plus terrible c’est qu’il ne fallait pas voir dans cette déclaration une agréable facétie, comme le crurent d’abord le baron et Blaireau.

C’était la vérité, l’atroce vérité.

Parju avait laissé entrer tout ce monde sans payer.

L’explication qu’il fournissait de sa conduite était des plus simples, d’ailleurs:

– Monsieur le baron m’avait bien recommandé de ne pas faire payer les gens qui apportaient leur concours à la fête. À chaque personne qui arrivait, je demandais: «Apportez-vous votre concours?» On me disait: «Quel concours?» Je répondais: «Parce que, voilà, si vous n’apportez pas votre concours, il faut payer cinq francs; si vous apportez votre concours, vous pouvez entrer sans payer.» Tout le monde me répondait:

«J’apporte mon concours.»

– Alors, il ne s’est trouvé personne pour payer?

– Personne, monsieur le baron, personne!

– Ah! s’écria Dubenoît en riant, je m’explique maintenant l’empressement de la population.

– Imbécile! Saligaud de Parju!

Rouge à éclater, les poings serrés, Blaireau roule des yeux fous:

– Andouille! triple andouille! crapule! Ça n’était déjà pas assez de m’avoir fait condamner injustement, voilà que tu me ruines, maintenant! voilà que tu me jettes sur la paille! Ah! si je ne me retenais pas!

En disant ces mots, Blaireau ne se contenant plus, se jette sur Parju, qu’il gratifie de nombreux coups de poing, tant sur la poitrine que sur la physionomie.

La foule s’amasse.

– Gendarmes! s’écrie Dubenoît triomphant, empoignez-moi cet homme-là!… Ah! mon garçon, vous ne nierez plus, maintenant, que vous avez frappé le garde-champêtre, un fonctionnaire assermenté!

Les gens qui n’avaient pas assisté à la scène s’informent:

– Quoi? qu’y a-t-il?

– Blaireau vient de frapper le garde champêtre.

– Encore? C’est décidément une manie! fit cyniquement Jules Fléchard.

Les deux Anglais que nous avons déjà vus dans de précédents chapitres (ces Anglais, on les rencontre partout décidément!) faisaient à ce moment précis leur entrée dans la fête.

Ils demandèrent à quelqu’un:

– Pardon, monsieur? Povez vo dire à nô où il était le hinnocent?

– Le voici, messieurs, là, entre les deux gendarmes.

– Aoh! Cela est positivement curieux! La France est un drôle de nation, décidément.

CHAPITRE XXXIV

Dans lequel les choses s’arrangent et point trop mal, en somme.

Blaireau avait compris que toute résistance était inutile.

Soudain dégrisé, solidement tenu par la rude poigne des gendarmes, il ne pensait plus qu’à sortir le plus avantageusement possible de cette mauvaise situation.

Apercevant dans la foule Maître Guilloche, il l’implora:

– Mon avocat, je vous en prie, faites-moi relâcher!

– Je ne suis plus un avocat, monsieur

– Depuis quand, donc?

– Depuis que vous vous êtes mis dans votre tort, monsieur.

– En voilà un avocat, par exemple!… qui lâche ses clients juste au moment où ils ont le plus grand besoin de lui! vous êtes un drôle d’avocat!

– Et vous, un drôle de client!

– Mon avocat qui m’abandonne! mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir? Il ne me reste plus qu’à implorer la magistrature.

Je vous en prie, monsieur le président, faites-moi relâcher.

– Votre demande est parfaitement raisonnable, mon cher ami. Gendarmes, mettez M. Blaireau en liberté.

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