Литмир - Электронная Библиотека

– Monsieur le comte, dit-elle avec dignité, vous oubliez que madame Ducoudray est en ma présence, chez mon fils, devant votre nièce, et que, si vous avez une explication quelconque à lui demander, le lieu est mal choisi, et le moment inopportun.

– Oh! oui, oui, mon oncle, s’écria Clotilde sans rien comprendre aux sentiments qui préoccupaient M. de Montgiroux dans ce moment, je vous en supplie, ne songeons qu’à Maurice.

– Maurice! s’écria Fernande; est-ce que le malade se nomme Maurice?

– Oui, madame, répondit la baronne. Ne savez-vous donc pas chez qui vous êtes, je suis la baronne de Barthèle.

– Maurice de Barthèle! s’écria Fernande. Ô mon Dieu, mon Dieu! ayez pitié de moi!

À ces mots, elle porta la main à son front, et, après avoir chancelé un instant elle tomba sans connaissance entre les bras de Clotilde et de la baronne, qui, en la voyant pâlir et s’affaisser, s’étaient avancées pour la recevoir.

CHAPITRE VII

La femme qui causait tant de trouble dans la famille de madame de Barthèle se souvint, en reprenant ses sens, de la situation dans laquelle on venait de la placer malgré elle. Par une puissante réaction, elle retrouva sa présence d’esprit, et rappela cette force de volonté qui lui donnait tant d’assurance; car, pour quiconque n’était pas intéressé à connaître le fond de son existence, la vie de Fernande était pure de tout scandale.

Il y a plus, Fernande s’était, pour ainsi dire fait un rang dans le monde parisien, et, par ce mot, il faut entendre ce cercle de jeunes gens riches, nobles et élégants, qui, du boulevard des Italiens, donnent le ton au monde. Quoique l’on eût connu à Fernande peu de relations intimes, tous la connaissaient pour avoir été reine, sinon dans son boudoir, du moins dans son salon, centre des gens d’esprit qui se faisaient présenter à elle, comme autrefois on se faisait présenter à Ninon de Lenclos. L’entourage de Fernande était donc une véritable cour, un hôtel de Rambouillet, moins le pathos philologique et les haines littéraires, un tribunal de goût par lequel les gens ayant prétention à l’élégance ou à l’esprit devaient passer, et du milieu duquel les jugements rendus se répandaient avec force d’arrêt chez les artistes et chez les gens du monde. Il en était résulté que les soupers de Fernande avaient acquis une grande réputation, et que l’on disait tout haut dans le salon le plus aristocratique du faubourg Saint-Germain, et dans l’atelier le plus élégant de la Nouvelle-Athènes: «J’ai soupé hier chez Fernande;» puis, si l’on demandait avec qui, il arrivait presque toujours que les noms des convives appartenaient à la liste des noms illustres de la France. Il en était résulté que l’esprit de justice, si rare cependant chez nous, avait assigné à Fernande une position exceptionnelle, et qu’on ne la confondait pas avec les femmes vulgairement appelées femmes entretenues, sans cependant qu’on eût pour elle toutes les déférences accordées aux femmes mariées, quelque galantes quelles soient.

Cependant le besoin qu’on avait de l’ange déchu dans la maison de Fontenay-aux-Roses donnait, sans qu’on y prît garde, aux soins qu’on lui rendait quelque chose de la tendresse que l’on a pour les siens et pour soi-même. Madame de Barthèle et Clotilde, en voyant Fernande s’évanouir, n’avaient point voulu s’en rapporter, peut-être un peu par crainte et par prudence, aux soins de leurs femmes de chambre pour la faire revenir; elles avaient donc pu se convaincre par elles-mêmes, en rendant à la belle évanouie ce petit service d’épingles à ôter et à remettre, que le bon goût n’était point chez Fernande une apparence de toilette, mais qu’au contraire l’habitude d’un luxe intérieur se révélait chez elle par cette recherche minutieuse que les femmes qui l’ont elles-mêmes peuvent seules apprécier; chez la douairière, cette remarque alla même si loin, qu’elle en vint à soupçonner que Fernande devait être d’une naissance distinguée, et que le nom de baptême, ou plutôt d’adoption, sous lequel elle était connue, cachait quelque grand nom de famille.

En se voyant l’objet des attentions de la mère et de la femme de Maurice, Fernande referma d’abord ses yeux entr’ouverts, et cela par un mouvement spontané, par l’effet instinctif de la pudeur de l’âme, par la force d’un sentiment dont son cœur avait le secret; mais, presque aussitôt, elle sentit que plus tôt elle sortirait de cette situation, mieux vaudrait pour elle et pour les autres. Alors, rouvrant, comme nous l’avons dit, les yeux par la force de sa volonté, elle recueillit un instant ses esprits, et, sans chercher à exciter l’intérêt par des minauderies affectées, elle fit entendre un remercîment naïf. Les hommes, qui s’étaient éloignés, reçurent alors la permission de rentrer au salon, et revinrent animer par leur intérêt réel ou simulé cet intermède où chacun semblait se préparer à la scène qui devait se passer dans la chambre du malade. En effet, pour tout le monde, le drame devait être là; mais, pour Fernande, il était déjà dans le fond de son cœur.

– Madame, dit-elle en s’adressant à Clotilde, c’est vous qui me conduirez au chevet du malade; je ne consens à paraître aux yeux de M. de Barthèle qu’entre vous et sa mère.

Puis, s’adressant à Fabien et à Léon:

– Messieurs, dit-elle, c’est une leçon terrible que vous me donnez: elle ne sera pas sans profit pour moi, et je vous en remercie.

Il fallait à la courtisane le courage qui vient de l’âme pour qu’elle se soutînt entre ces deux femmes respectées, car elle aimait Maurice avec toute la puissance d’un sentiment profond; c’est pour lui seul, et par lui seul, qu’elle avait ressenti la première impression de l’amour; cet amour avait été le principe des développements moraux que sa nature supérieure lui réservait grâce à une multitude de germes féconds apportés par Fernande en naissant. En effet, sous des apparences de légèreté, Fernande, nous l’avons dit, cachait de nobles facultés que l’éducation qu’elle avait reçue, et une grande finesse de tact qui lui était naturelle, défendaient éternellement contre les suggestions involontaires de la coquetterie et les dépravations sociales dont son existence exceptionnelle avait nécessairement dû l’entourer.

C’était aux courses de Chantilly que Maurice et Fernande s’étaient vus pour la première fois. Ces courses, comme on le sait, étaient devenues, sous le haut patronage qui les dirigeait, le rendez-vous de toutes les sommités parisiennes. Maurice, qu’un voyage en Italie avait éloigné de France, que les soins qu’il avait donnés à son hôtel de la rue de Varennes et à sa villa de Fontenay avaient préoccupé à la suite de ce voyage, faisait en quelque sorte sa rentrée dans le monde. Deux chevaux à lui couraient, Miranda et Antrim, et il devait monter un de ces chevaux lui-même, la dernière course étant une course de gentilhommes riders.

Au moment de partir, madame de Barthèle s’était trouvée indisposée; Clotilde alors avait déclaré qu’elle restait près de sa belle-mère. Maurice avait voulu se retirer et se contenter de faire courir son jockey; mais on sait quelle grave question c’est qu’une pareille retraite: d’ailleurs, Maurice avait une réputation de sportman à conserver. Les deux femmes insistèrent pour qu’il ne changeât rien aux dispositions arrêtées. Maurice, s’étant assuré près du docteur que l’indisposition de sa mère ne présentait aucune gravité, se décida à aller à Chantilly. Maurice se retrouva donc au milieu de toutes ses anciennes connaissances de garçon. Fabien aussi faisait courir. Comme Maurice, il avait deux chevaux engagés, Fortunatus et Roland; comme Maurice, il devait courir lui-même: l’ancienne rivalité des deux jeunes gens allait donc renaître.

23
{"b":"125322","o":1}