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– Car je suis en ce moment près de vous, Maurice, continua Fernande, pour imposer mon autorité, pour exercer mon empire, dans votre intérêt, dans celui de votre femme, dans celui de votre mère.

Et elle ajouta en appuyant sur cette dernière phrase:

– Dans celui de toute votre famille, enfin.

– Alors parlez vite, dit Maurice, que je sache ce que je dois craindre, ce que je dois espérer.

Le mouvement d’impatience que venait de manifester Maurice avertit Fernande du danger qu’il y aurait à parler sans ménagement. Ce qu’elle avait à lui dire était d’une telle importance, qu’elle ne put s’empêcher de tressaillir, car elle éprouvait un embarras extrême à la seule idée de troubler cette joie profonde qui avait presque miraculeusement rendu la force à cette jeune organisation affaiblie par la douleur. La santé, la vie, l’avenir de Maurice dépendaient de ce dernier entretien. Fernande perdit sa confiance, un léger frisson l’agita.

– Eh bien, s’écria Maurice, qu’y a-t-il donc? Vous gardez le silence, vous tremblez. Au nom du ciel, expliquez-vous, Fernande; Fernande, parlez, je vous en conjure.

Le courage est un céleste secours que Dieu a placé en nous pour nous soutenir et nous guider dans les occasions suprêmes, et qui vient en aide à la force physique quand elle fléchit. Voilà pourquoi les hommes justes sont ordinairement des hommes courageux. La justice n’est que la fille aînée du courage.

Fernande fit mentalement un appel à Dieu, et elle se sentit le courage de continuer, sans s’écarter de la voie qu’elle s’était prescrite, sans faillir à la mission qu’elle s’était imposée.

Seulement elle puisa des forces dans tout ce qu’elle crut pouvoir lui en donner, réunissant contre son propre cœur tous les moyens, non pas de combattre Maurice, mais de se combattre elle-même.

– Hélas! Maurice, dit-elle en sentant ses genoux trembler sous elle, n’allez pas croire que je sois plus forte que je ne le suis réellement. Non; quelque puissance qu’on ait sur soi-même, avec quelque volonté qu’on réprime ses instincts, il arrive toujours, dans les grandes catastrophes et à la suite de longues émotions, un moment où la résistance se trouve en défaut, où la fermeté qu’on oppose à la douleur se fatigue et plie, où les ressorts de notre frêle organisation se détendent, et où il semble que tout notre être va se dissoudre. La résolution soutient, mais elle use. Tenez, Maurice, je sens qu’il m’est impossible de rester debout plus longtemps, et je veux m’asseoir.

Maurice étendit le bras vers un fauteuil.

– Non, dit Fernande l’arrêtant, non. Deux fois, ce soir, j’ai vu votre femme, cette belle et chaste Clotilde, assise sur votre lit, tenant vos deux mains dans les siennes, interrogeant vos yeux de ses regards. Eh bien, c’est ainsi que je veux être. Le permettez-vous? Placée où elle était, et comme elle était, son souvenir me protégera. Je n’ai ni ses droits ni sa pureté, mais votre cœur m’a élevé un trône, mais vous m’avez dit que je régnais sur vous. Eh bien, je réclame de mon sujet l’obéissance et la soumission.

À ces mots, elle prit les mains de Maurice dans les siennes et les pressa, ainsi qu’elle avait vu Clotilde les presser; puis elle s’assit, elle la maîtresse purifiée, à la place où la femme qui avait failli se perdre s’était assise, et plongea son regard, animé d’une expression toute-puissante, dans le regard indécis de son amant.

Alors, appelant à elle la force magnétique du sentiment et de l’attraction, elle lui dit:

– Et maintenant que je suis forte et calme, Maurice, écoutez-moi.

Et Maurice, subissant l’influence d’une nature supérieure à la sienne, demeura dans une muette attention.

Depuis cinq minutes déjà, les deux femmes, la tête appuyée à la porte de l’alcôve, ne perdaient pas un mot de cet entretien.

CHAPITRE XXV

– Maurice, dit Fernande, laissez-moi d’abord vous remercier comme on remercie Dieu; les seuls jours heureux de ma vie, je vous les dois. Quand je serai seule, isolée et vieille, je me retournerai vers le passé, et la seule époque lumineuse de mon existence sera celle que votre amour aura éclairée. Quand je serai sur mon lit de mort et que mon repentir aura expié mes fautes, ce que je demanderai à Dieu, c’est un paradis qui ressemble à ces trois mois tombés du ciel.

– Oh! dit Maurice, merci pour ce que vous venez de dire.

Fernande sourit tristement en voyant le jeune homme se tromper si étrangement à ce début.

– Oui, Maurice, reprit-elle; mais ce qui fait que je remercie Dieu de cet amour, c’est que non-seulement il a éveillé mes sens, mais c’est surtout qu’il a retrempé mon âme; c’est qu’il m’avait fait oublier qu’il existait un monde corrupteur et corrompu, c’est qu’il m’inspirait à la fois l’oubli du passé et l’insouciance de l’avenir, c’est que pour la première fois je me sentais heureuse et fière du sentiment que j’éprouvais; c’est que ce sentiment était si pur, qu’il me relevait de mes fautes, si miséricordieux, que je les pardonnais à ceux qui me les avaient fait commettre. Je ne vivais plus qu’en vous, Maurice; vous étiez l’unique but de mes pensées. Je m’endormais dans de doux rêves, je m’éveillais dans de douces réalités. Mon bonheur était trop grand pour qu’il durât, mais je remercie le ciel de me l’avoir accordé; les regrets me tiendront lieu d’espérances, et je marcherai dans l’avenir les regards tournés vers le passé.

» Aussi, quand je découvris que vous m’aviez trompée, Maurice, tout entière à ma douleur, aveuglée par elle, je ne compris pas que c’était pour vous une nécessité d’agir comme vous l’aviez fait. Je sentis que quelque chose se brisait dans ma vie; j’éprouvai l’amer besoin de la souffrance, et cependant la solitude et le silence m’effrayaient, car je me redoutais surtout moi-même. Il me fallait le bruit, l’agitation, la vengeance même. Malheureuse que j’étais, de ne pas songer que, lorsqu’on aime véritablement, c’est toujours sur soi-même qu’on se venge! Je voulus donc élever entre vous et moi une barrière insurmontable. Vous voyez bien, Maurice, que je vous aimais toujours, puisque je doutais ainsi de moi. Je me replongeai dans le désordre de ma vie passée. En votre présence, la courtisane avait disparu; mais je vous l’ai dit, vous étiez mon bon génie, Maurice: votre absence la fit revivre. Oh! je fus bien coupable, écoutez-moi, ou plutôt je fus bien folle. Au-dessus de cette misère qui parfois fait l’excuse des femmes flétries, je discutai avec un nouvel amant le prix de ma personne. – Oh! oui, oui, pleurez, dit Fernande au jeune homme, qui ne pouvait retenir un sanglot, pleurez sur moi, car j’atteignis alors à un degré de honte que je n’avais jamais atteint. Après avoir retrouvé le sentiment de la vertu, j’eus le cynisme du vice, j’affectai le luxe, je jouai la femme impudente, et par conséquent la femme heureuse.

» Eh! tenez, hier encore, quand, rieuse et sans remords, vos amis me conduisaient chez vous sans que je susse où j’allais, quand je venais briser mon apparente insouciance à l’angle de votre cercueil, aveugle que j’étais, je croyais encore à la possibilité d’une existence pareille; hier, repoussant le respect des usages que je gardais enfermé dans mon âme, oubliant les pieux enseignements donnés à ma jeunesse, franchissant, à l’aide de mon incognito les distances sociales, je suis entrée dans cette demeure la tête haute. Maurice, j’ai vu votre mère, j’ai vu votre femme, je vous ai revu, et toute mon impudence est tombée à mes pieds comme tombe au premier coup une armure mal jointe et mal trempée. Maurice, ce n’est point le hasard qui a conduit tout cela, qui a permis que ces hommes frivoles dont j’étais le jouet m’amenassent ici. Le secret que j’aurais voulu me taire à moi-même n’aura pas été divulgué inutilement; en vibrant tout haut, le nom de mon père a brisé le lien qui m’attachait à la honte, il a réveillé au fond de mon cœur le sentiment social que j’y avais refoulé, il m’a rendu le désir des actions nobles et la possibilité d’une vie pure. Maurice, j’avais eu le courage de vous cacher que j’étais une pauvre fille de noblesse qu’on avait poussée des hauteurs du monde dans les basses régions de la société. Je ne voulais pas que vous vissiez la distance que j’avais parcourue pour descendre où vous m’aviez trouvée; mais vous, cœur élevé et clairvoyant que vous êtes, vous l’aviez devinée, n’est-ce pas? Je n’avais jamais osé vous dire que mon pauvre père, mort sur le champ de bataille entre les bras d’un fils de France, appartenait à cette vieille noblesse toujours prête à verser son sang, sinon pour son pays, du moins pour son roi. J’ai retrouvé dans votre aristocratique maison mes aïeux, qui avaient le droit d’y être reçus en pairs et en égaux. Maurice, je les appelle à mon aide, je les évoque pour ma défense, et moi, en échange du secours qu’ils m’auront donné contre vous et surtout contre moi-même, oh! je leur promets du fond du cœur de laver avec mes larmes la tache que j’ai faite à leur blason.

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