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Ce fut la tête inclinée par cette haute pensée, le cœur affermi par cette sainte espérance, que Fernande monta, entre madame de Barthèle et Clotilde, l’escalier qui conduisait à la chambre de Maurice.

CHAPITRE X

Il y avait, comme nous l’avons dit, deux portes à la chambre de Maurice: l’une qui donnait du corridor dans la chambre, l’autre placée à la tête du lit, et qui était une porte de dégagement. C’était, placées à cette porte, que madame de Barthèle et Clotilde avaient, la veille, écouté la conversation qui avait eu lieu entre Maurice et les deux jeunes gens.

On s’arrêta devant la porte du corridor.

– Entrez avec précaution, madame, dit la baronne en indiquant à Fernande la porte qu’elle devait ouvrir; le docteur ne nous dissimule pas ses craintes. Le comte de Montgiroux vous a dit l’état de délire où est le malade. Madame, je ne vous prescris rien; je ne vous recommande rien; je vous renouvelle cette prière, voilà tout; je suis mère, rendez-moi mon fils.

Clotilde gardait le silence.

La courtisane les regardait l’une et l’autre avec un attendrissement involontaire; il n’y avait là personne qui pût tourner en dérision leurs situations respectives. Elle comprit quelle puissance exerçait l’amour sur le cœur de la mère, et quelle touchante résignation la sainteté du mariage donnait à la contenance de l’épouse. Elle se vit, en dépit des lois de la morale et des préjugés sociaux, revêtue d’une sorte de sacerdoce que le sentiment sanctifiait à des titres différents. Elle fit donc aux deux femmes un signe d’acquiescement. Elles allèrent prendre leur place au poste qu’elles s’étaient réservé, et Fernande, restée seule, posa la main sur le bouton de cristal de la porte, qui s’entrouvrit.

Un éblouissement passa sur ses yeux; elle s’arrêta.

En même temps, elle entendit la voix de Maurice, qui, enveloppé par les rideaux du lit, ne pouvait la voir, et qui cependant par cette puissance d’intuition si développée chez les malades, l’avait devinée.

– Laissez-moi, laissez-moi! s’écriait Maurice avec un accent âcre et doux à la fois, et se débattant entre les mains du docteur; laissez-moi, je veux la voir avant que de mourir.

Et Maurice prononça ces derniers mots avec un accent si douloureux, qu’il produisit le même effet sur les trois femmes, qui toutes trois, par un sentiment irréfléchi et instantané, s’élancèrent en avant. Madame de Barthèle et Clotilde surgirent donc de chaque côté du chevet du lit, tandis que Fernande apparaissait au pied.

Il y eut un instant de silence étrange.

Le jour pénétrait faiblement dans la chambre; cependant Fernande put voir Maurice soulevé sur son lit, pâle comme un spectre, le regard ardent de fièvre, et fixant tour à tour, avec une expression qui tenait de la folie, son œil dilaté sur sa mère, sur Clotilde et sur Fernande.

La mère et l’épouse, que la conscience de leur position rendait hardies, soutenaient Maurice entre leurs bras, tandis que Fernande, humble et tremblante, clouée à sa place à la vue de ces deux anges gardiens qui semblaient défendre Maurice contre elle, se retenait à un fauteuil et n’osait faire un pas en avant. Maurice poussa un soupir, et, comme si, convaincu qu’il était en proie au délire, il eût renoncé à rien comprendre de ce qui se passait autour de lui, il ferma les yeux et laissa retomber sa tête sur l’oreiller.

Madame de Barthèle et Clotilde allaient pousser un cri de terreur, lorsqu’un geste impératif du docteur arrêta ce cri sur leurs lèvres. Elles s’arrêtèrent donc, immobiles, muettes, et debout de chaque côté du chevet. Pendant ce temps, Fernande avait jugé l’importance de la situation, la crise était arrivée; tout dépendait d’elle.

Elle fit un puissant effort sur elle-même, et, se glissant avec le pas d’une ombre jusqu’au piano entr’ouvert entre les deux fenêtres, elle s’assit; puis, laissant courir ses doigts sur les touches, elle préluda lentement à l’air Ombra adorata, qu’elle fit entendre à demi-voix avec une telle puissance de sentiment, qu’aucun des spectateurs de cette scène n’échappa à l’influence de cette mélodie, qui, pareille à une voix venant du ciel, à une consolation merveilleuse, à un écho mystérieux du passé, flotta un instant dans l’air, et vint s’abattre sur le malade. En proie à une émotion intime, Maurice alors rouvrit lentement les yeux, et, se soulevant comme en extase, sans chercher à savoir d’où venait le prodige, il écouta, comme si tous ses sens s’étaient réfugiés dans son âme, tandis que le médecin recommandait à tous l’immobilité et le mutisme. Rien ne troubla donc Fernande pendant toute la durée de l’air, et la dernière note vibra et s’éteignit au milieu d’un silence religieux. Maurice, qui avait écouté en retenant son souffle, respira comme si un poids énorme lui était enlevé de dessus la poitrine. Alors, encouragée par l’effet qu’elle venait de produire, Fernande osa se montrer.

Elle se leva du fauteuil où elle était assise, se tourna vers le lit, et s’avança du côté du malade, tandis que le médecin ouvrait un des rideaux qui interceptaient le jour. Fernande se révéla aux yeux de Maurice comme une apparition surhumaine, toute resplendissante d’une sorte d’auréole que le soleil formait autour d’elle.

– Maurice, dit la courtisane en tendant la main au malade, qui la voyait s’approcher de son lit avec l’anxiété du doute, Maurice, je viens à vous.

Mais le jeune homme, se rappelant instinctivement la présence de sa mère et de sa femme, se retourna du côté où il devinait qu’elles devaient être, et, les apercevant toujours à la même place:

– Clotilde! s’écria-t-il, grâce! Ma mère, ma mère, pardonnez!

Et une seconde fois il retomba sur son lit, sans force, les yeux fermés, et dans le plus profond accablement.

Alors Fernande sentit que le moment était venu de se placer au-dessus des considérations de délicatesse qui l’avaient retenue jusqu’à cette heure, et de recourir à l’ascendant que la passion de Maurice lui assurait. Elle s’empara donc de la main dont le malade couvrait ses yeux, et, sans paraître remarquer le frémissement que son simple toucher faisait courir par tout ce corps affaibli:

– Maurice, dit-elle avec une fermeté d’accentuation qui le fit tressaillir, et en le forçant à subir en même temps l’influence de son regard et la prépondérance de sa voix; Maurice, je veux que vous viviez, m’entendez vous? Je viens au nom de votre mère, au nom de votre femme, vous ordonner de reprendre courage, d’appeler la santé, de recouvrer la vie.

Et, comme à son agitation elle sentit qu’il allait répondre:

– Écoutez-moi, continua-t-elle en interrompant sa pensée; c’est à moi de parler, c’est à moi de me justifier. Croyez-vous que le caprice ait seul réglé ma conduite? croyez-vous que j’aie vécu calme, sans souffrance, sans regrets, sans remords, moi qui n’ai pas de mère pour pleurer dans mes bras, moi qui n’ai pas d’amis dans les bras de qui je puisse pleurer, moi qui suis déshéritée à jamais des joies de la famille, moi qui regarde, triste et stérile, les autres femmes accomplir sur la terre la sainte mission qu’elles ont reçue du ciel? Dites, Maurice, croyez-vous que j’aie été heureuse? croyez-vous que je n’aie pas horriblement souffert?

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