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– Oh! Fernande! Fernande! s’écria Maurice en tendant la main à la courtisane, vous valez mieux que moi cent mille fois: c’est vous qui me relevez avec votre parole, et non pas moi qui vous soutiens avec mon bras.

La pauvre femme saisit avec ses deux mains la main brûlante que le jeune homme lui tendait, et tous deux gardèrent le silence pendant quelques minutes, silence éloquent dans sa muette expression, et pendant lequel leurs deux âmes se confondaient dans le sentiment d’une même douleur.

– Eh bien? dit Fernande après quelques moments, en suppléant par le charme de l’accent et par la puissance du regard au laconisme de la demande.

– Oui, je comprends que c’est nécessaire, répondit Maurice, mais parfois la nécessité est bien cruelle.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! je vous remercie, s’écria Fernande; ce ne sera donc pas inutilement que je serai venue.

– Mais c’est à une condition, Fernande.

– À laquelle?

– C’est que vous me ferez une promesse sacrée.

– Je regarde ainsi toutes les promesses.

– Eh bien, c’est qu’un jour nous nous reverrons.

– Oui, je vous le promets, si je sais que vous êtes heureux.

Maurice sourit tristement.

– Vous éludez ma demande, dit-il.

– Maurice, j’espère vous revoir plus tôt que vous ne le pensez.

– Mais vous? demanda Maurice, avec une certaine hésitation.

– Eh bien, moi? dit Fernande en souriant à son tour.

– Vous, qu’allez-vous devenir?

– Écoutez, Maurice, dit Fernande. Oui, je comprends; ceci, c’est le dernier tourment de votre cœur, et je vous en remercie malgré l’égoïsme qui le cause. Oui, vous êtes tourmenté de cette idée que vous pourriez me voir côte à côte avec un autre homme que vous dans une voiture, apercevoir derrière moi une ombre au plafond d’une loge, entendre dire Fernande était aux eaux des Pyrénées, de Baden-Baden ou d’Aix, avec tel prince russe ou tel baron allemand. Voyons, soyez franc, Maurice; n’est-ce pas là le fond de votre pensée lorsque vous me demandez ce que je vais devenir?

– Hélas! Fernande, dit Maurice, il n’y a pas moyen de vous tromper, et vous voyez au plus profond de mon cœur.

– C’est que votre cœur est limpide et transparent comme l’azur du ciel. Eh bien, Maurice, écoutez-moi. Il y a une chose dont je me suis aperçue; c’est que la véritable douleur d’une rupture n’est pas dans la rupture même, mais dans la crainte que cette âme et ce corps qui nous appartenaient n’appartiennent ensuite à un autre. Eh bien, Maurice, rassurez-vous. Par mon amour pour vous, par cette petite chambre virginale où nul n’était entré avant vous, où nul n’est entré depuis, où nul n’entrera jamais, par votre belle et chaste Clotilde, ange du ciel que je laisse pour vous mener, comme une autre Béatrix, à la porte du paradis, Maurice, Fernande n’appartiendra jamais à personne.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria Maurice, quelle créature divine vous êtes, Fernande! Comme vous savez tout comprendre, tout deviner! Et renoncer à vous pour jamais! oh! c’est impossible.

– Vous me dites cela, Maurice, au moment même où, pour la première fois, vous en concevez au contraire la possibilité.

Maurice se tut, preuve que Fernande avait deviné juste.

– Mais, reprit Maurice après un instant de silence, vous renoncez donc au monde?

– Qu’entendez-vous par le monde, Maurice? Si c’est cette société aristocratique et polie qui fait l’opinion parce qu’en apparence elle vit sans reproches, vous savez bien que je ne puis y prendre ma place. Si ce que vous appelez le monde, au contraire, est la foule où j’ai vécu sans scrupule jusqu’à présent, vous savez bien encore que je ne veux plus en faire partie; il n’y a donc plus de monde pour moi.

– Alors, vous quittez Paris?

– Oui, Maurice.

– Et où allez-vous?

– Oh! ceci est mon secret.

– Comment! je ne saurai pas même où vous êtes? comment, j’ignorerai les lieux où vous respirez! comment, je ne pourrai pas me représenter les objets qui vous entourent!

– Écoutez, dit Fernande, je comprends ce dernier désir; vous recevrez une lettre de moi qui contiendra tous ces détails. Vous pourrez donc me revoir encore avec les yeux de la pensée, jusqu’au moment où vous m’aurez oubliée.

– Oh! pour cela, Fernande, jamais! jamais!

– Bien, je vous crois, ou je fais semblant de vous croire; et maintenant que tout est dit, adieu, Maurice.

Maurice poussa un soupir, mais ses lèvres se refusèrent à prononcer aucune parole; leurs yeux seuls se rencontrèrent humides de pleurs. Ils sentirent tous deux qu’ils ne pouvaient prolonger d’un seul instant cette entrevue. Fernande se leva; Maurice, la tête renversée sur son oreiller, les mains étendues sur son lit, ne chercha pas même à la retenir. Ils échangèrent un dernier signe de tête, et cette séparation, qui devait être éternelle, se fit dans la solennité du calme de la nuit et dans le silence de la résignation.

CHAPITRE XXVI

Les sentiments sublimes sont le refuge des âmes fortes et la consolation des grandes douleurs. Le cœur s’y trompe et prend la tension de la volonté pour le calme de l’esprit.

Maurice et Fernande s’étaient si puissamment encouragés eux-mêmes par l’effort d’une passion réciproque dégagée de toute influence sensuelle, qu’ils ressentirent de part et d’autre, après la séparation, cette placidité suave qui est la récompense de tout sacrifice terrestre. Le malade demeura le regard fixé vers la porte qui venait de se refermer sur Fernande comme s’il eût cherché cette trace lumineuse que laissent dans le ciel ces étoiles filantes, qui ne sont peut-être rien autre chose que le passage d’un ange. Quant à la courtisane, elle marcha d’un pas assuré vers sa chambre; mais à peine arrivée au milieu du corridor, elle entendit derrière elle des pas légers et un frôlement de robe. Elle s’arrêta, et au même instant, pressée par une double étreinte, elle entendit la voix de la baronne qui, en l’embrassant sur les deux joues, s’écriait:

– Merci! cent fois merci!

Et les lèvres plus timides et plus reconnaissantes encore de Clotilde, qui, en s’imprimant sur la main que Fernande voulait vainement dégager, murmuraient:

– Soyez bénie.

– Et vous, dit Fernande, soyez heureuse, et que le bonheur que j’aurais laissé dans cette maison me fasse pardonner le trouble que, sans le savoir, j’y avais porté.

– Vous êtes un ange, murmurèrent les deux voix, et Fernande sentit qu’elle était libre de continuer son chemin.

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